Gourmandises en nylon

Je vois souvent dans les blogs féminins des dames qui nous parlent de cuisine. C’est très bien, j’y suis très sensible. Une manière de me charmer ne consiste pas seulement à porter des bas, mais aussi de partager un art en perdition, celui d’un bon repas. J’ai un peu mélangé les deux genres faits de souvenirs, l’un comme l’autre peuvent me faire planer.

Nous les gourmands, nous savons que l’heure de passer à table approche, bien avant que les aiguilles de la pendule ne déclenchent le carillon annonçant midi, son cortège de fourchettes et de couteaux. Mais en attendant le moment fatidique, il n’est pas interdit de rêvasser.

De la cuisine sortaient les senteurs qui s’étalaient en volutes invisibles dans tout l’appartement. Moi encore endormi, mon subconscient prenait le relais pour parfumer un rêve où je devais me trouver dans un paradis aussi lointain qu’improbable. Ramené à des nécessités plus terrestres, mon estomac chassait les derniers limbes de la nuit dans un brouillard diffus. J’ai faim! Ce cri aussi silencieux qu’arraché à la réalité me laissait augurer d’un délectable repas dominical.

Mais le sommeil m’enveloppe à nouveau de ses effluves, les odeurs s’estompent et me voilà reparti dans un monde qui enclenche la machine à rêver. Ah oui, je suis à l’école, c’est la leçon de chant. Une leçon où rien ne ressemble aux autres cours. Pas de pupitres, pas de salle de classe aux murs parcourus mille fois par les égarements de la pensée. Une grande chambre avec des chaises en fer à cheval. En face de moi, il y a la fille aux bas nylons. Elle croise les jambes, me dévoilant une jarretelle blanche sous l’ombre de sa jupe. Son regard croise le mien quand je remonte mes yeux. Une fois, deux fois, trois fois, ses jambes gardent la même position, Joue-t-elle un jeu ou est-elle ignorante du spectacle qu’elle m’offre? Je l’ignore et le jeu continue, moi indifférent à la leçon et si je chante, c’est sûrement en sourdine.
Mais petit à petit, le mélodie s’éloigne, chassée par mes yeux qui s’ouvrent. Mais que se passe-t-il dans le monde réel?

La maîtresse de maison avait gagné la cuisine tôt le matin et commencé par sortir le morceau de viande qui baignait dans une préparation juteuse connue d’elle seule. Comme une mère qui soigne son petit, elle l’avait dorloté avec tendresse en mille gestes et assaisonnements pour le rendre meilleur. La porte du four avala le rôti dodu qui allait s’attendrir au fil de la cuisson. Un fois la porte refermée sur son secret, la cuisinière laissa le silence envahir les lieux, seul le murmure de la cuisson troubla le sérénité de la cérémonie. Passent les minutes, bercé comme par les rayons d’un soleil tropical, la viande allait dorer et prendre de l’allure.

Le monde des songes vient à nouveau agiter le carillon qui donne le signal à la brume des rêveries de se répandre autour de moi. Cette fois je suis dans la rue, je marche derrière la fille qui file d’un pas décidé vers je ne sais quel rendez-vous. Sa robe est plutôt courte, trop courte pour cacher la lisière de ses bas qui se fait indiscrète à mon regard. Tout les trois au quatre pas, elle tire sur la bas de sa robe car elle redoute un peu de s’offrir en spectacle. Mais la robe prend un malin plaisir à se remettre à la place où elle estime que mes yeux pourront raisonnablement jouer au découvreur de trésors. Tandis que le bitume résonne des dizaines de pas qui qui vont et viennent,  je regarde cette étoile filante visible en plein jour, en formant le voeu qu’elle ne disparaîtra de sitôt sur la voûte de mon ciel bleu de rêveries.
Mais j’entends d’autres pas, mes yeux s’ouvrent…

Nouvelle apparition de la fée de mon enfance qui d’un coup de baguette magique à peine brandi, allait continuer la préparation du festin. Elle enleva d’un geste pudique la robe des pommes de terre qui ne tardèrent pas à frissonner dans leur nudité. Plus tard coupées en dés, elles se réchaufferaient en rissolant dans la poêle avec pour compagnes toutes les épices saupoudrées d’une main experte. De leur côté, les légumes attendaient leur tour, résignés au sort qui allait les transformer en jardinière, alors noble promotion pour ces produits de la terre, aujourd’hui si méprisés. Venue du jardin voisin sous le bras d’un aimable cultivateur amateur, la salade n’allait pas nous en conter, elle finira simplement sa matinée par un mariage. La noce aura pour invités les oignons, l’huile d’olive, le vinaigre de vin rouge et sans doute une pointe d’ail. Horreur, il manque les délices venus des bois. Mais non ils sont bien là, baies petites et grandes, encore enivrés de leurs senteurs, sous l’ombre fraîche et vivifiante, un peu mystérieuse, d’une forêt qui ensorcelle les esprits qui s’y égarent. Récolte de roi, il est facile de l’imaginer cachée sous des vapeurs de crème, tels des nuages blancs, immobiles dans le ciel de l’été. Nuages précurseurs d’une averse, qui goutte à goutte, imbibera le cher dessert de quelques pleurs d’une fine liqueur. Le palais encore frémissant de toutes les splendeurs qui l’ont enchanté, l’arôme subtil d’un café venu d’une plantation bénie des dieux, nous fera gentiment glisser vers une rêverie soyeuse et sans retour. Dieu que j’ai bien mangé!

Les vapeurs d’un vin bu en fidèle compagnon de route des plats qu’il magnifie appellent la sieste et ses désirs irrésistibles de nirvana ensorcelant. Pays des songes, je songe en vous. Pleurez violons de l’automne, vous me ramenez vers les temps de fraîcheurs où les bas  font la parade au cortège du nylon. Voici Yvette, Christiane, Arlette, Sylviane, Sylvia, qu’importe qui vous êtes. Voici les automnes de jadis où je guettais cette mutation qui faisait de vous presque des dames. Dames vous êtes devenues, mais le tourbillon de la vie ne m’a laissé de vous que des images, ces images qui repassent fidèlement dans ma mémoire. Mais viendront les automnes de maintenant, ceux qui amèneront d’autres fraîcheurs, d’autres cortèges. Maintenant je peux partir mettre mes rêves dans le sablier du temps, qui finira bien par les poser là où il me fera savoir que l’heure est venue. Que l’automne, plus belle saison des plaisirs de la table et des belles en nylon est là.


6 réflexions sur “Gourmandises en nylon

  1. J’adore, j’adore, j’adore votre prose !
    Et si, vu l’heure, je vous laisse volontiers le vin, je me repais de tous ces mets, y compris le rôti de bonne femme bien réchauffé qui tente de s’échapper de la robe complice
    Bisous gourmands

    • Merci Cassiopée,
      Ici c’est mon côté rêveur et bonne bouffe, ajoutez-y une femme qui porte des bas nylon et je ne suis pas pressé d’aller au paradis là-haut. Ca doit être d’un banal et très convenu.

      Bisous très gourmands

  2. Humm la gourmandise de la bonne chaire 😉 … « un » de mes pêchés mignons est la gourmandise, et j’adore préparer des petits plats… en toute simplicité, convivialité et en y mettant les formes parfois 😉 !
    Bisous Boss !

    • Merci Miss,

      Côté cuisine il est vrai que je me considère comme un bon gastronome. On me l’a fait souvent remarquer, je ne pense qu’à bouffer. J’ai la faculté de pouvoir manger n’importe quoi. Quand je vais dans un endroit, je mange toujours ce que je connais pas de préférence. Si j’aime les plats raffinés, je sais aussi aimer les choses simples, mais soigneusement préparées. J’évite au maximum toute la cuisine industrielle, ainsi que les restaurants qui la servent.
      Côté nylon, c’est plus simple, bas à couture, sauce jarretelles!

      Gros bisous et bon appétit!

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