La piscine sans Delon, ni Schneider

30 030213-1Une histoire qui a rejailli dans mes souvenirs d’une manière tout à fait inattendue. Je ne sais trop pourquoi elle avait disparue du côté de la fosse aux oubliettes. En fait, c’est grâce au commentaire de mon fidèle visiteur, Daniel, que je me suis dit comme le célèbre commissaire Bourrel: « Bon sang, mais c’est bien sûr ».

C’est presque inexcusable de ma part, car elle se produit en pleine période de disette pour les admirateurs de bas, dans la première partie des années 80. De plus, il m’a fallu certaines circonstances assez spéciales pour que cela arrive. Ce n’était pas juste une simple rencontre dans la rue.  Je peux même en citer l’époque précise, car au moment des faits, voyez je parle comme Bourrel, on parlait de la guerre des Malouines dans les infos à la radio. Bon, la guerre des Malouines, j’en avais rien à cirer, d’autant plus que je ne travaille pas dans l’embellissement des parquets. Ah oui tiens le Parquet, nous voilà encore dans les idées justice et police, décidément ce Bourrel, y m’lâche pas. Le déroulement de cette histoire est un peu due au hasard, surtout la manière qui m’amena dans les lieux où elle se produisit. Je dois à un copain bricoleur la suite des événements. Ce copain avait monté sa petite entreprise, genre bricolage et dépannages en tous genres. Ses affaires allaient plutôt bien. Un  soir il me téléphone, me sachant en vacances, si je ne voulais pas lui donner un coup de main le lendemain.

– On va où et on fait quoi?

– Chez la belle M… à X… elle a des problèmes avec sa piscine

Connais pas la dame, le bled oui, les piscines et leur entretien pas tellement. Je ne suis pas tellement bricoleur. J’arrive à planter un clou avec un marteau en me tapant sur le doigts seulement une fois sur trois, alors les piscines. Comme je pense que s’il fait appel à moi, c’est qu’il estime que je suis capable de remplir ma mission, peut-être a-t-il besoin de quelqu’un pour aller chercher des bières, alors je dis oui. Nous nous retrouvons le lendemain matin et il me met au courant lors du trajet, c’est là que l’on parle de la guerre des Malouines à la radio. Nous allons chez la belle M, il l’appelle ainsi parce que c’est vrai. C’est la femme d’un industriel  en vue qui a une entreprise avec 250 employés. Il me plante un peu le topo de ce couple. Il dirige l’entreprise avec sa femme. Ils ont un peu la réputation d’avoir transposé dans le village l’ambiance de « Germinal » de Zola. Etant une des seules sources d’emploi dans le village où ils sévissent, ils font un peu la pluie et le beau temps. Notre travail consistera à réparer le store qui recouvre la piscine intérieure et déboucher une baignoire qui ne digère plus très  bien l’eau qu’on voudrait lui faire avaler. Il faudra que l’on s’arrête à l’usine pour prendre la clef.

Nous arrivons à l’usine, et par curiosité, je le suis à l’intérieur. Il s’enquiert de la dame M, coup de fil, et la voilà qui s’amène. C’est vrai qu’elle est plutôt bien roulée. Si elle n’avait pas fait une carrière de directrice adjointe, elle aurait pu sans trop de problèmes travailler chez Chanel. Tailleur, jambes en nylon, cheveux blonds tombant sur les épaules, on appellerait pas police secours si elle avait l’intention de nous violer. Le premier effet passé, j’actionne ma machine à détecter les caractères et elle clignote sur la case emmerdeuse. Malgré tout, elle accueille mon copain avec une certaine jovialité, elle semble satisfaite de ses services passés. Il me présente et me gratifie d’un bref bonjour. Après un ou deux recommandations plus techniques que sécuritaires, nous filons sur les lieux du crime, Bourrel dixit.

30 030213-2

La maison est assez cossue, pas vraiment une villa de gens . Elle est perchée sur une petite colline un peu en dehors du village, entourée de murs assez décoratifs. Le portail est ouvert et nous parquons la bagnole dans  la cour. A l’intérieur, c’est un ravissement et extrêmement bien décoré, avec des bibelots qui ne doivent pas venir de chez Ikea. Devant le salon, une baie vitrée laisse voir une piscine intérieure de dimensions très acceptables pour accueillir une bonne dizaine de nageurs en natation synchronisée, le truc de riche. Selon la saison, c’est bien sûr chauffable et l’on peut prendre un bain le 24 décembre à minuit sans risquer de s’enrhumer, bonjour les économies d’énergie. Le copain m’explique le boulot, le store qui recouvre automatiquement  la piscine ne fonctionne plus, le moteur a probablement foiré. Il faut qu’on le déroule manuellement pour qu’il puisse intervenir sur la moteur plus facilement, c’est la qu’il faut que l’on soit deux. Pendant qu’il auscultera la machine, je devrai essayer de déboucher la baignoire, il va me monter comment. Je m’attendais à ce qu’il m’emmène dans le salle de bains, mais non, nous allons dans la chambre à coucher. Encore un truc de miséreux, la chambre à coucher est pourvue d’une baignoire surélevée dans les tons roses qui peut facilement accepter  deux baigneurs sans qu’ils soient à l’étroit, sans toutefois avoir besoin d’un porte-voix pour la conversation. Le genre de gadget qui permet le bain sous toutes les formes de coquineries. J’imagine volontiers que les mouches doivent avoir le spectacle assuré certains soirs. Pour l’instant, c’est bouché et les propriétaires doivent bien espérer que cela fonctionnera ce soir. Le copain me laisse et j’ausculte la baignoire comme un toubib qui se trouverait devant une maladie qui le laisse perplexe sur le traitement à prescrire. En fait, ce n’est pas complètement bouché, mais l’eau s’écoule à raison d’un décilitre à la minute. D’après mon conseiller technique et chef du jour, le meilleur moyen est mettre un produit décapant et de laisser agir et voir ce que cela donne. J’attends que la baignoire soit à peu près vide et je verse un produit contenu dans un bidon avec une tête de mort, qu’il vaut mieux éviter de boire. Je mets et je laisse agir. Pendant ce temps, mon regard divague dans la pièce. Le lit est encore défait, la femme de ménage n’est pas encore engagée où n’est pas encore venue, c’est assez bordélique avec tout qui traîne un peu partout. C’est alors que je vois posé sur la commode quelque chose qui dépasse d’une pile d’habits posée en vrac, quelque chose qui ressemble à du nylon. Je m’approche et je constate que la belle enfile parfois des bas, car il y a un porte-jarretelles noir et des bas qui font joujou avec d’autres pièces de lingerie. Cela ne m’étonne pas vraiment, j’imaginais que le couple devait avoir un certain raffinement dans la galipette. Même un peu plus, car vous savez, ces petits rubans qui cachent les jarretelles, il en manquait deux. Le commissaire Bourrel en aurait déduit un tas de choses, moi j’ai juste souri en imaginant des scènes plutôt chaudes.

30 030213-3

Sur le coup de midi, il est arrivé, seul. Je ne me faisais pas une image très exacte de lui. Pas un séducteur à vraiment parler, plutôt un type assez quelconque, ni beau, ni laid. Il avait même un léger défaut d’élocution. J’imagine que madame l’avait choisi pour des raisons qui doivent plus à une certaine idée de standing. Par contre, il est d’un abord beaucoup plus sympathique que sa dulcinée, il nous offre même de partager sa bouffe, ce sera à la bonne franquette, des pizzas congelées agrémentées d’un bon petit rosé. Il nous sert sur la terrasse, car il fait plutôt beau et la température est agréable. Il a l’air plutôt content de l’avance des travaux, la baignoire est débouchée et je le plaisante un peu sur sa fonctionnalité. En riant, il me dit que c’est une bonne mise en forme, sans préciser pourquoi. J’ai presque envie de lui demander, si sa femme se baignait avec lui en porte-jarretelles, mais je ne le fais pas.

C’est la première et la dernière fois que je le vis. Vous voulez savoir la suite? Alors, la voici. Quelques années  plus tard, on l’a retrouvé mort dans une forêt. La commissaire Bourrel dépêché sur les lieux a conclu au suicide. Peut-être que sa belle ne voulait plus porter que des collants?

30 030213-4