Léo, un ancien chanteur de charme devenu tenancier de bistrot, est un amoureux et inconditionnel du bas nylon. Il se rappelle avec nostalgie d’une époque où toutes les femmes portaient des bas et de toutes les coquineries que son status de vedette lui permettait pour assouvir sa passion, notamment les nombreuses photos qu’il prenait de ses conquêtes. Un soir, une dame en bas coutures pénètre dans son établissement. En observant ses chaussures, il remarque un détail qu’il avait jadis imaginé pour une de ses conquêtes. Les souvenirs envahissent les pensées de Léo. Il se souvient de sa rencontre avec un ministre et de la belle Léa, sa secrétaire. Mais les pièces d’un étrange puzzle s’assemblent peu à peu dans son esprit, Léo le sent, tandis qu’il descend à la cave chercher une bouteille de champagne offerte par un client. Entre deux coupes de champagne, il repart dans ses rêves
– Il paraît que l’on rêve en noir et blanc, je sais pas j’ai entendu ça, mais moi avec du champagne je rêve en gris. C’est une couleur plus légère que le noir, c’est le rêve d’un soir où le gris est venu bercer un moment de ma vie.
– Tu es bien mystérieux avec tes noirs et tes gris, on dirait que tu ne connais pas l’arc-en-ciel…
Léa pouvait certainement briller comme un arc-en-ciel dans la vie de Léo, un arc-en-ciel qui avait illuminé la nuit, la nuit où il savait rencontrée. Il avait patienté une journée avant de l’avoir en face de lui, seul à seul.
Léa jouait de ses charmes, elle n’avait aucun besoin de forcer son interprétation comme le font parfois les artistes de théâtre. Son coin de robe relevée, l’amorce de la lisière de son bas, le soupçon d’une jarretelle, mettait Léo en spectateur devant la plus grande scène, de la plus grande pièce de théâtre, mise en scène spécialement pour lui par un artiste de génie.
D’un geste accompagné d’un sourire moqueur, elle laissa tomber sa robe qui masqua le spectacle comme le rideau qui s’abat à la fin de la pièce.
Léo aurait bien bissé la scène, mais il savait bien que Léa jouait aussi le rôle qui lui était dévolu, celui de l’allumeuse qui doit faire jaillir le feu du spectateur. Et il se doutait bien que l’acte final ne se jouerait pas encore maintenant, ce n’était même pas l’entracte.
– Tu vieux bien ouvrir la bouteille de champagne ?
C’était, il l’imagina, le moyen que la diablesse avait trouvé pour le faire languir encore plus. Toutefois, il estima que la trouvaille n’était pas si désagréable, il n’aurait su citer une boisson qui s’accordait mieux avec ce qu’il vivait.
– Je vois que tu as pensé à tout !
– Mais bien sûr, tu n’imaginais pas que je buvais de l’eau minérale ?
– En étant la secrétaire d’un ministre, j’imagine que tu ne dois pas en boire beaucoup?
– Tu as raison, même qu’il lui arrive de le servir d’une étrange manière.
– Ah bon ?
– Tu sais on raconte beaucoup de choses sur mon ministre, que je suis sa maîtresse par exemple.
– J’en ai entendu parler, mais c’est bien récent. Quand le directeur de la salle de concert m’a parlé de sa venue, il m’en a touché un mot.
– Et que t’a-t-il dit ?
– Que lui et sa femme, c’était pour la galerie et surtout un mariage de raison, financièrement parlant. Toi, tu t’occupais de la partie récréative, si je puis dire.
– Je vais te confier un secret d’état, je sais que tu sauras le garder, bien que ce soit un peu celui de polichinelle pour ses collaborateurs. Tout le monde est certain que je suis sa maîtresse en plus d’être sa secrétaire. Je dois t’avouer qu’il ne m’a jamais baisée, mais je suis sa partenaire pour ses petits jeux.
– Ses petits jeux ?
– Figure-toi que ce cher ministre aime bien se travestir, oui il s’habille en femme, avec bas et des porte-jarretelles et mignonnes petites culottes.
Léo était soufflé. Ainsi un grand monsieur qui donnait des ordres à gauche et à droite jouait au travesti. Léo était lancé, il voulait connaître la suite.
– Il ne fait pas ça dans son bureau quand même ?
– Non, non, il possède une jolie maison dans la banlieue où il n’y a jamais personne. C’est là que nous allons, il y a toujours du travail à faire le soir. Il a bien évidemment besoin sa secrétaire, il ne sait pas taper à la machine.
– Et à quels jeux jouez-vous ?
– Il a ses petites manies. Il commence toujours par s’habiller, j’ai toujours une panoplie dans mon sac qui lui est spécialement destinée. Tu sais, il adore la lingerie de fabrication familiale, c’est à dire celle que ma famille fabrique en Italie. J’en reçois des tonnes, ainsi je suis en quelque sorte sa secrétaire et aussi son habilleuse. Ma place de travail est assez bien rétribuée, mais je me fais un bel argent de poche entre les séances où il joue à elle et la fourniture des accessoires, il est très généreux.
Léo buvait du petit lait, entrecoupé de champagne. Mais il avait surtout soif de connaître la suite.
– Le jeu commence invariablement de la même manière. Je dois faire semblant de le surprendre en travesti. Tu verrais l’homme qui donne des ordres et des remarques parfois cinglantes à ses adversaires, se transformer en petit garçon pris sur le fait en train de voler des bonbons. Je joue alors la dame offusquée de le voir porter des sous-vêtements qui me sont destinés. Je décide qu’il mérite une punition que je lui administre sur le champ. Selon ses envies du jour, je saisis l’objet qu’il a posé sur son bureau, il y a de quoi administrer des fessées pour tous les goûts. Et en avant la musique!
– Il aime les fessées, c’est toujours ainsi ?
– Le début, oui. Il y a aussi un truc qu’il aime en guise de suite, je dois mouiller mes bas avec du champagne et lui son fin plaisir, c’est de les lécher. Il n’en loupe pas une goutte. Arrivé à ce stade, monsieur le ministre a joui, sans que je lui fournisse une aide quelconque. Le seul problème pour moi, c’est que j’ai les bas qui puent le champagne, je dois en changer. Il en profite pour les mettre dans sa collection.
– Alors Léo, encore perdu dans tes rêveries, mon champagne fait toujours son effet ?
– Ah ça, une bouteille de champagne en amène une autre, mais la seconde était dans mon esprit et elle se buvait d’une étrange manière.
– Tu vas nous dire qu’après un ministre, tu as rencontré une fée au coin du bois?
– C’est possible, oui. Ah tiens, Marly qui s’en va avec sa conquête.
– Salut Marly, à la prochaine et merci !
Léo regarda Marly et sa compagne filer vers la sortie. Il ne put s’empêcher de regarder encore une fois les talons de la fille d’un œil connaisseur mais dubitatif. Ce petit cœur en or le ramenait vers d’autres souvenirs. Il les chassa.
– Bon dis donc, il va bientôt être l’heure de fermer, je voudrais pas vous foutre à la porte, mais je suis vanné et aussi un peu pompette. Allez, on finit la bouteille, d’ailleurs elle est bientôt morte. Un de ces soirs, on boira la suite sur mon compte, c’est promis.