Eclats de nylon et quand une femme fait parler le fusil
Les vieux papiers ou comment les journaux et autres nous donnent une vision de ce que furent la vie et l’actualité en d’autres temps.
L’Exposition universelle de Paris en 1889 est restée assez célèbre, car c’est lors de la manifestation que fut inaugurée la Tour Eiffel. Le président de la République en exercice est Sadi Carnot qui en assume bien sûr l’inauguration. C’est un homme qui n’est pas en odeur de sainteté parmi les milieux anarchistes qui commencent à se manifester un peu partout. Il fera notamment voter des lois sur la restriction de la liberté individuelle, chose que les anars ont en horreur. Ils auront d’ailleurs sa peau en l’assassinant en 1894 par la main de Sante Geronimo Caserio, un pur anarchiste italien.
Si vous êtes attentifs, vous aurez remarqué que l’on fête aussi le centenaire de la révolution de 1889. Il faut bien reconnaître qu’elle n’a rien résolu, qu’il y a toujours une classe dominante bourgeoise, que les clochards n’ont pas déserté les rues, qu’on s’amuse assez bien à Paris, mais que la vie est assez austère dans les campagnes. Le Figaro, dans lequel je puise une partie des informations de cet article, est bien dans l’air du temps de cette pseudo élite de l’époque. Il n’est pas un jour sans qu’il parle, à travers de la rubrique mondaine, des petits faits de noblesse et de la bourgeoisie. C’est juste si on apprend pas que le comte Lemur-Deberlin souffre de constipation, que l’ambassadeur de Boulonie a assisté à l’inauguration d’une usine de fabrication de farces et attrapes, que Son Altesse Sérénissime Roublard 1er, a fait cadeau de ses chaussettes usagées à une oeuvre pour les nécessiteux dont il est le fondateur. Le moindre petit fait est mis en exergue, comme si tout ce qu’ils faisaient était digne d’un remarquable intérêt.
On ne se prive de rien, la preuve le journal étale en première page, deux menus qui ont été servis lors des réjouissances pour l’inauguration. Au point de vue gastronomie c’est parfait, mais que pourrait penser un simple quidam qui a juste de quoi se nourrir? Remarquez que la description commence par « très brillant », bien évidemment on allait pas se mettre le gouvernement sur les dos en mettant « quelconque » à la place. A part le fait que c’est un menu avec lequel il faut ne pas regarder à la dépense pour se l’offrir, il est composé de très classiques, mais bons, plats de la cuisine française. Une truite sera toujours une truite, une côtelette d’agneau idem, la plus belle mention reviendra au dindonneau truffé et sa sauce Perigueux, qui comme chacun le sait est une sauce à base de truffes. Evidemment on allait pas mettre une sauce avec des lardons sur un plat truffé.
Un second banquet dans le même style, à mon avis supérieur au précédent, mais celui-là ne comptait pas moins de… 600 invités.
Une des attractions de l’Exposition fut la venue de William Frederick Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill. En effet, il est à la tête d’un troupe ambulante gigantesque qui tente de reproduire avec force attractions, ce que fut la conquête le l’ouest américain. Il n’est pas étranger aux rêves que pourront susciter les histoires de cowboys et l’avènement du film western, pas plus qu’il ne l’est pour avoir forgé lui-même sa légende. Bref, le cinéma n’existe pas encore et l’on ignore ce qu’est réellement la vie en Amérique, on est prêt à tout avaler.
Voici une affiche d’époque qui étale en superlatifs tout ce que le show promet. Pour les plus humbles, le prix d’entrée est de 1 franc. En comparaison le prix d’un journal est de 20 centimes.
Dans cette troupe, il y a une authentique légende, une femme du nom d’Annie Oakley, un petit bout de femme d’un peu plus de 1,50 m, née en 1860 dans l’Ohio. Elle a une maestria absolument époustouflante au tir au fusil. Elle forgea son art dès l’âge de 9 ans pour nourrir sa famille, ils sont 8 et la mère est veuve. A cette époque, la chasse est pratiquement libre en Amérique, c’est dire qu’elle peut ferrailler à sa guise. A 16 ans, elle défie et bat un autre tireur d’élite, Frank Butler, qui a l’habitude de se produire dans les foires et défier les spectateurs. Beau perdant, il la drague et finit par l’épouser, elle n’a alors que 16 ans. Il s’effacera, deviendra son assistant et une sorte de manager tout au long de leur mariage. C’est aussi une belle histoire d’amour, car son mari mourut de chagrin quelques jours après sa mort en 1926. Eh oui, les belles histoires d’amour existent aussi sous le ciel américain.
Avec un fusil elle est capable à 28 mètres de couper une carte en deux, dans le sens de l’épaisseur bien sûr. Elle toucha 4772 boules sur 5000 mille envoyées en l’air, ceci en neuf heures de temps, qui donne un tir toutes les 6 à 7 secondes. Elle est aussi capable d’enlever la cendre d’une cigarette que son mari tient à la bouche. Elle fit la même chose avec l’empereur d’Allemagne Guillaume II sur sa demande, elle le pria toutefois de tenir sa cigarette à la main. Elle pouvait aussi faire rebondir une carte à jouer lancée en l’air et lui faire cinq ou six trous avant qu’elle ne touche le sol. Elle est aussi capable de tirer de dos en regardant dans un miroir. Elle se produisit devant la reine Victoria.
Assez bizarrement, le Figaro ne s’attarde pas trop sur son cas, il mentionne juste son nom dans un article.
Plus tard un autre journal de montre plus élogieux.
Et encore un autre
J’ai fait d’autres recherches pour essayer d’en savoir plus sur la dame. J’ai trouvé pas mal d’infos dont je vous en soumets quelques unes.
Elle a bien sûr été se balader sur la Tour Eiffel. Elle a pris l’ascenseur jusqu’au sommet. Elle y a acheté des souvenirs pour ses connaissances restées en Amérique. Elle a expédié une carte postale depuis là en date du 16 août (le show se produisait durant toute la durée de l’Exposition de début mai à fin octobre 1889).
Un fait intéressant qu’elle raconte dans ses mémoires, elle semble avoir tenu un journal, fut l’accueil du peuple parisien vis à vis du spectacle. Au début, il semblerait que cela fut plutôt froid. Les Parisiens n’avaient aucune idée de la vie américaine, s’imaginant sans doute à tort que la conquête de l’ouest s’est faite dans les salons. Quand elle arrivait sur scène, ils s’attendaient presque à trouver une dame en tenue de soirée avec une voilette et un fusil. Or ce n’était pas le cas, elle se produisait avec des costumes de scène qu’elle concevait elle-même, simples et sans aucune fioriture. Mais laissons-là parler:
– Quand j’arrivais sur scène, l’accueil n’étais pas amical, ils étaient comme des icebergs. Ils pensaient on va voir ce que tu sais faire. Au fur et à mesure que je faisais mon show, l’ambiance se détendait, ils crient ah! bravo! (en français dans les texte), à la fin les dames jetaient les mouchoirs et les ombrelles sur la scène.
Les observateurs admettent que le spectacle de Buffalo Bill, à l’accueil assez mitigé et ne satisfaisant qu’à moitié les spectateurs parisiens, fut sauvé par la prestation de la tireuse.
La troupe parcourut ensuite l’Europe pendant trois ans, c’est ainsi que le couple séjourna comme touristes à Venise, à Rome, à Naples, en Allemagne, en Espagne.
Par la suite dans son pays elle devint une icône, la plus populaire du genre. Ses tenues vestimentaires étaient reprises par les demoiselles, elle se mit à écrire des pensées qui font encore référence aujourd’hui. Victime d’un accident de chemin de fer en 1901, elle subit 5 opérations, mais recouvra entièrement son habilité au tir. Elle quitta le show, mais continua de se produire à titre personnel, et ce pratiquement jusqu’à sa mort à 66 ans, sans pour autant trembler des mains et rater sa cible.
Quelques faits sur sa vie et illustrations.
Lors de son séjour à Paris, la poudre étant monopole d’état et ne satisfaisant pas à ses besoins, elle fabriqua elle-même de la poudre que l’on pourrait qualifier de contrebande.
Au sommet de sa gloire, elle gagnait 150$ par semaine, alors qu’un ouvrier n’en gagnait pas 500 par an.
Elle collectionnait les autographes, elle en a récolté de fameux.
Aujourd’hui, son autographe certifié authentique, vaut plusieurs milliers de dollars.
Elle s’occupa financièrement d’élever 18 orphelins.
Les 200 premiers dollars qu’elle gagna, elle les donna à sa mère pour finir de payer sa ferme.
Le fameux compositeur Irving Berlin composa un show pour Broadway, « Annie Get Your Gun ».
Elle fut adoptée symboliquement par le chef sioux Sitting Bull, celui qui battit les troupes américaines à la bataille de Little Big Horn. Il la surnomma Little Sure Shot (petit coup sûr).
Un article de presse mal renseigné la déclara morte, alors qu’elle était en tournée en Europe. Par la suite, très soucieuse de son image de marque, par ailleurs très droite et vertueuse, elle n’hésitait pas à attaquer en justice toute fausse information sur sa personne.
Le bled à côté d’où elle naquit dans l’Ohio s’appelle… Versailles. Une majorité de résidents d’origine française habitaient l’endroit et demandèrent en 1837 que le nom anglais soit abandonné, ce qui fut fait. Cela explique peut-être son prénom francisé. Un de ses frères s’appelait Daniel.
Son père et sa mère avaient 33 ans de différence d’âge, lorsqu’elle naquit, le père avait 60 ans.
Malgré qu’elle aie passé la moitié de sa vie avec un fusil à la main, elle était unanimement considérée comme une personne affable, chaleureuse et très simple.
De nombreux films et séries tv s’inspirent de sa vie.
Voici un petit film qui vous en dira un peu plus
Pour conclure, l’Amérique était l’un de ces pays capable de fabriquer des héros et héroïnes avec presque rien. On y retrouve bien la fascination de ce peuple pour les armes, en posséder une est un signe de virilité ou de puissance, cela n’a pas beaucoup changé. Le cas de Annie Oakley n’échappe sans doute pas à cette fascination, bien qu’elle-même empoigna un fusil avant tout pour faire manger sa famille à un âge ou d’autres se passionnent pour les contes de fées. Ce fut sans doute ce hasard qui lui fit découvrir une sorte de sixième sens, presque diabolique, pour atteindre un cible à un endroit précis à une distance plus que respectable. Elle disait, sans doute un peu par plaisanterie, que si elle n’avait pas peur d’aimer un homme, elle n’avait pas non plus peur de le tuer. Elle milita tout au long de sa vie pour que les femmes soient reconnues comme l’équivalent de l’homme pour la possession d’une arme, ne serait-ce que pour se défendre. Elle fut pourtant tout le contraire d’une personne belliqueuse, aimable, abordable, respectueuse d’autrui, sachant se faire aimer, sont les qualificatifs qui reviennent sans cesse à son propos. Si avec un fusil elle était capable de damner le pion à un homme, elle n’en prit jamais l’aspect. Toujours en robe, sauf certaines scènes à cheval, elle assuma son rôle de femme jusqu’au bout, tout en vivant un beau roman d’amour avec son mari, un mariage qui ne semble n’avoir connu aucun nuage. Même spirituellement, elle semble avoir marché sur les traces de ses parents qui étaient des quakers, un mouvement d’obédience très pacifiste.
Aujourd’hui, l’Amérique reconnait en elle une héroïne incontournable et lui voue un véritable culte. Sa tombe est un lieu de pèlerinage toujours couru. Les visiteurs déposent des pièces de monnaie pour l’entretien de la tombe, et celle de son mari juste à côté, car elle n’a pas de descendance directe. Elle a choisi de se faire enterrer là ou retentirent ses premiers coups de fusils. Il ne fait pas de doute que certains résonnent encore aux oreilles des admirateurs de ce petit bout de femme…