Eclats de nylon et vieilles stars sur voie ferrée
Les vieux papiers ou comment les journaux et autres nous donnent une vision de ce que furent la vie et l’actualité en d’autres temps.
Au début du 20ème siècle, malgré des moyens médiatiques encore assez balbutiants, le phénomène de star prit son envol. Il devint possible d’admirer quelqu’un sans pour autant aller le voir sur scène ou dans un endroit donné. On pouvait commencer de cultiver son idolâtrie avec ce qu’offrait le progrès. A la Belle Epoque, un des moyens les plus sûrs, juste pour avoir son idole accessible à la demande, restait le gramophone. Cela concerne bien sûr les documents sonores, le film n’avait encore que peu d’impact. L’ancêtre de nos platines ne tourna pas toujours à 78 tous/minute, mais à 100, 90, 80 tours avant l’adoption définitive de 78 tours dans les années vingt. Les diamètres varient, mais c’est finalement celui de 25 cm qui prévaudra. Posséder un gramophone, bien qu’onéreux, n’était pas totalement impossible. La production de disques suivit l’évolution de la demande, on offrit un choix de plus en plus grand et de plus en plus varié. Dès le début du siècle, l’industrie proposera ou tentera d’imposer divers talents.
L’une des ces grandes idoles internationales fut un chanteur d’opéra, Enrico Caruso (1873-1921). D’origine très modeste, il est à considérer comme l’une des premières stars de la production phonographique et l’un des premiers millionnaires du disque. Dès la fin du 19ème siècle, il devient célèbre d’abord en Italie, ensuite en Europe et en Amérique au tournant du siècle. On dirait presque que ce statut de grosse vedette a été involontairement inventé par lui, tant sa réputation était énorme. On le connaît partout, on veut le voir l’admirer et surtout l’entendre. Artistiquement, il possède une voix de ténor et consacre l’essentiel de sa carrière à l’opéra. Mais ses origines napolitaines le poussent aussi à enregistrer et interpréter des musiques typiquement napolitaines comme « O Sole Mio ». Au hasard de ses récitals, il se trouvait à San Francisco lors du tremblement de terre qui anéantit la ville, le 19 avril 1906. Son premier réflexe fut de chanter un air pour voir si sa voix était toujours intacte.
Il avait la réputation d’être un personnage plutôt affable, bon vivant, on le voit plutôt souriant ou débonnaire sur les photos qui existent de lui. Il chanta assez souvent pour des oeuvres de charité renonçant à tout cachet. Il eut 5 enfants de deux femmes différentes, dont une seule se maria avec lui. Etrangement pour un chanteur d’opéra, il était un gros fumeur. Il meurt prématurément en 1921, âgé de 48 ans.
Deux extraits de presse datant de 1910
L’annonce de son décès, on exagère son âge
Il existe une pléthore d’enregistrements de Caruso, bien évidemment avec les moyens de l’époque qui ne lui rendent sans doute pas justice. Le voici dans un extrait de Rigoletto de Verdi, enregistré probablement en 1908.
Le développement des voies de communications à partir du 19ème siècle, chemin de fer notamment, a toujours buté contre un obstacle de choix, les montagnes. La France ne s’en tire pas trop mal, les hautes montagnes s’étalent plutôt du côté des frontières, les Alpes au sud-est et les Pyrénées au sud. Si les Alpes peuvent encore se contourner pour une liaison avec l’Italie, les Pyrénées forment pratiquement un mur de l’ouest à l’est, seules les parties extrêmes, celles qui baignent dans l’eau, sont franchissables sans trop de complications, sinon des tunnels qui partent à basse altitude.
Il apparut bien vite que l’axe est, celui qui tend vers l’Italie et Turin, nécessitait un raccord à travers les Alpes pour éviter un détournement trop long par le sud. Le percement du tunnel du Mont Cenis, aussi appelé tunnel de Fréjus, achevé en 1871, rasa cet obstacle et relia la Savoie à l’Italie. Le tunnel est situé a plus de 1100 mètres d’altitude, 13688 mètres de long, un tube pour deux voies. Il est encore aujourd’hui le second plus long tunnel ferroviaire français, battu par celui sous la Manche.
On pensa de même à propos des Pyrénées, il fallait une liaison par chemin de fer qui passerait par le milieu de la chaîne de montagnes. Elle offrirait l’avantage d’une liaison directe à Saragosse et à Madrid, qui se trouve pile au centre de l’Espagne. On en parla dès le milieu du 19ème siècle, sans penser qu’il faudrait presque 80 ans pour que cette ligne ne devienne une réalité. On compara les diverses possibilités qu’offraient ou n’offraient pas les obstacles du terrain accidenté. Toutefois il y avait quelques quasi certitudes, la ligne partirait de Pau, elle emprunterait la vallée d’Aspe, il faudrait percer un tunnel relativement long. Ce fut un peu son percement qui alimenta pas mal les discussions et retarda le projet à sa manière. Certains passages nécessitaient un tunnel plus court, mais il fallait grimper plus haut. De plus certains hivers étant très rigoureux, cela impliquait une accessibilité restreinte, voire un paralysie de la ligne, alors la question de l’altitude joua aussi son rôle. Finalement et tardivement, en 1880, on se décida pour une percée par le col du Somport, qui aboutirait à Canfranc côté espagnol et partirait d’un lieu-dit, les Forges d’Abel, côté français. La décision prise, on ne s’emballa pas pour autant. Le percement du tunnel, d’une longueur de 7875 mètres commença en 1908 et fut terminé en 1915. Il est prévu pour une voie unique.
L’un des articles vers l’année 1880 qui fait état d’une sision du projet
L’entrée du tunnel côté Espagne
L’entrée du tunnel côté France
Un peu de technique, revue Génie Civil, 1911
Maintenant, et avant le percement du tunnel, il fallut accorder les violons avec l’Espagne pour que la ligne devienne aussi une réalité côté espagnol, sinon les efforts français ne serviraient à rien, le but ultime étant une liaison internationale. Toutefois, les Espagnols semblaient plus motivés que les Français pour qu’un jour cette ligne devienne réalité. La France commença les travaux à Partir de Pau vers Oloron en 1880 et les termina en 1883. La suite fut plus hasardeuse, car le suite du tracé ne fut vraiment terminée qu’après le première guerre mondiale et la ligne finalement inaugurée en 1928.
Techniquement c’est une réalisation difficile, mais très bien maîtrisée. La déclinaison entre Pau et Canfranc est de 1000 mètres, plus de vingt tunnels, dont un hélicoïdal, et une multitude de ponts furent nécessaires pour rejoindre la frontière, un pente de 40 pour mille à certains endroits. Mais ce qui est sans doute le chef d’oeuvre de la ligne, c’est la gare de Canfranc. Un gare que l’on s’attendrait plutôt à trouver à Paris ou à New York, que dans un village de quelques centaines d’habitants. La gare est plus grande que le Titanic, tout y est démesuré, elle est aussi un miroir, la moitié est le reflet exact de l’autre. On frise le surréalisme, voire le surnaturel, chose qui attire les amateurs du genre. Elle est malheureusement en piètre état.
Intérieur du tunnel hélicoïdal de Sayerce, 1793 mètres. Ce tunnel fait une boucle sur lui-même, ce qui permet de monter ou descendre de 60 mètres dans la montagne.
Dans le paysage, on voit la ligne en bas et la sortie du tunnel en haut
Construction de la ligne
La gare de Canfranc à l’époque de son inauguration
Le 18 juillet 1928, c’est l’inauguration, présentation, bla bla, on cire les pompes en grande pompe
Le roi d’Espagne passe les troupes en revue
Malheureusement, l’exploitation ne tint pas ses promesses, peu de voyageurs surtout côté français. Ce fut pourtant pendant la seconde guerre mondiale que la ligne connut sa plus belle apogée. Un moment en zone libre, elle devint une sorte de train de la liberté pour ceux qui fuyaient l’occupation. Elle fut aussi utilisée par la résistance et pour certains échanges commerciaux, et même un histoire de trafic d’or. Après la guerre, elle continua son déclin avec une fréquentation anecdotique. En 1970, un accident détruit un pont métallique coté français. Depuis la ligne est fermée, seule une partie de la ligne entre Pau et Oloron a été réactivée. Par contre côté espagnol, la ligne fonctionne toujours depuis Canfranc. Un mouvement citoyen se bat pour la réouverture de cette ligne, quelques lueurs semblent poindre, surtout depuis qu’un tunnel routier, dont le tunnel ferroviaire sert de voie de délestement a été inauguré. On parle de ferroutage, mais c’est un combat de longue haleine.
Une promenade le long de cette ligne, dont il existe de nombreux vestiges, devrait constituer un parcours de rêve pour les amateurs de chemin de fer, dont je suis toujours féru côté histoire. Alors si par hasard, un visiteur de la région me lit, qu’il me contacte, je serais charmé de m’organiser un petit voyage dans le coin avec sa complicité. Merci d’avance. Et puis, les Pyrénées c’est tellement beau!
Documents source: Gallica et DP