Billet gagnant à la loterie du nylon – 1er tirage

Si vous êtes un joueur de loto, de loterie, vous avez souvent l’impression que le sort s’acharne à tirer les numéros que vous n’avez pas choisis. A l’inverse, il peut vous favoriser sans que vous ne lui ayez rien demandé. C’est un peu ce qui m’est arrivé au cours d’un fameux après-midi d’automne, il y a une vingtaine d’années. Je me promenais en ville sans idée précise, un jour de semaine. Il y avait pas mal de monde, profitant des dernières douceurs en attendant la venue de l’hiver. Un général aurait trouvé que c’était un temps idéal pour faire un défilé, ni trop chaud, ni trop froid, surtout pas de pluie à l’horizon. Le défilé allait pourtant avoir lieu et s’il y avait des canons, ils n’avaient rien de militaire. Tout commença par un jeune couple qui se dirigeait vers le banc sur lequel j’avais posé mes fesses. La demoiselle portait un jupe rouge à hauteur du genou. C’est ce qui attira mon attention. Jetant un oeil sur la chose, à ma grande surprise, le remarquai deux petites  bosses sur le devant. Ah ben tiens, si ce ne sont pas des jarretelles qui font ça, je veux bien mourir sur le champ. Comme vous le remarquerez, je suis toujours en vie, alors. Le fait me fut confirmé quand ils se rapprochèrent, on  devinait même la silhouette des élastiques. Elle portait du nylon clair, légèrement brillant.  Le couple entra dans une pharmacie et comme je n’avais décidément pas mal à  la tête, ni  une ordonnance dans ma poche, je ne les ai pas suivis.  J’ai sagement attendu qu’ils ressortent pour profiter encore du spectacle  tout en pensant que le jeune homme avait bien de la chance, une fille qui porte des bas pour aller faire les courses, c’est une brave fille comme dirait l’autre. Je pensais que mon après-midi était réussi, mais n’anticipons pas, il n’était pas trois heures. Tout à mes rêveries, le temps passait et j’ai senti que j’avais besoin d’un petit café avec une bonne clope. Quelques toussotements et un petit séjour sur un terrasse sans qu’il se passe quelque chose de spécial,  me revoilà en route vers de nouvelles aventures.

L’aventure commence à l’aurore, c’est une blague. Elle commença ou plutôt se poursuivit d’une manière assez spéciale. Une charmante dame marchait devant moi, jambes ornées de bas foncés.  Je compris bien vite qu’elle était en proie à un tourment plutôt gênant. Coquine dans l’âme elle avait choisi de mettre des bas pour aller faire ses courses. Trouvant plus simple de porter des bas jarretières et n’étant probablement  pas une adepte du porte-jarretelles, son bas droit avait une certaine tendance à vouloir choir sur ses talons. Tous les dix pas, d’un geste  aussi discret que possible , elle tirait la lisière du bas vers le haut (sympathique bizarrerie de la langue française), afin d’empêcher le contestataire de lui faire monter le rouge aux joues. L’exercice était d’autant plus difficile qu’elle devait avoir dévalisé la moitié des magasins (peut-être un porte-jarretelles dans ses achats!) le tout fourré dans trois sacs qu’elle devait tenir de sa main gauche, la droite étant occupée ailleurs. A un moment, elle se mit dans un coin un peu discret vers une porte d’entrée, afin de poser ses paquets et mettre de l’ordre dans ses affaires. Après un remaniement ministériel, elle repart. Mais ce damné bas ne veut rien savoir, il est décidément épris de liberté comme au plus beaux jours de mai 68. A vrai dire, j’avais plutôt de la peine pour elle, et je décidai de l’aborder. Dans ce genre de situation, on peut passer pour un dragueur et être remis en place, mais je pris le risque.

– Madame, je vois que vous avez des problèmes un peu particuliers et je vais vous aider.
Air étonné de la dame, mais je vis dans son regard un soupçon de reconnaissance. Bon, la baffe ce n’est pas pour aujourd’hui. Renseignement pris, elle tentait de regagner sa voiture parquée trois centaines de mètres plus loin.

– Je vais vous accompagner en portant vos sacs et marcher derrière vous en vous cachant le mieux possible, ainsi vous pourrez  tenir votre bas.

Affectant l’air innocent du condamné à mort qui file discrètement quand le bourreau a le dos tourné, nous arrivons enfin, c’est certainement ce qu’elle a pensé, à sa voiture. Elle ouvre sa portière, lève discrètement sa robe et tire franchement son bas.

-Vous devriez mettre des jarretelles, je lui suggère.

– Oui, mais ce n’est pas très pratique avec des bas jarretières. Je vais d’ailleurs les enlever pour rentrer chez moi.

Sa réponse me laisse deviner qu’elle doit aussi avoir un porte-jarretelles dans son tiroir de lingerie. Il a bien fait de rester là-bas, car cette sympathique petite histoire ne serait jamais arrivée.
Je la quitte, après avoir été chaudement remercié, mais de rien, je vous en prie, ce fut un plaisir pour moi.

Nous verrons dans un prochain épisode,  le tirage suivant qui m’a foi, me permit de gagner plus qu’un lot de consolation.