J’ai toujours eu une passion pour le cinéma d’une certaine époque, qui s’arrête en gros vers la fin des années 60. Je suis même assez féru au niveau culture en ce qui concerne le cinéma entre 1920 et 1970. J’avais lu assez attentivement à l’époque, j’avais 13 ou 14 ans, une Histoire illustrée du cinéma publiée chez Marabout en trois volumes. On y parlait bien évidemment de tout ce qui avait compté peu ou prou dans son histoire jusqu’à sa publication. Mes parents étant du genre plutôt généreux, j’avais assez souvent l’occasion d’aller de me faire une toile. Evidemment, les films que je voyais alors étaient plutôt destinés à un jeune public. Mais il m’arrivait de filer en douce voir des choses un peu plus « adultes », ma grande taille et mon physique assez mûr me permettait d’entrer sans que l’on me pose trop de questions sur mon âge. Quelques films m’ont marqué, il y avait Le Voleur de bicyclette de De Sica, Quelle était verte ma vallée de John Ford, King Kong dans sa version années 30, M le maudit de Friz Lang, La Grande illusion de Renoir, Freaks de Tod Browning. Plus généralement, j’aimais le cinéma fantastique ou d’épouvante, Dracula, Frankenstein, les productions des studios Hammer en particulier. J’ai vu des dizaines de films, mais si certains me plaisaient sur le moment, ils ne me laissaient pas un souvenir impérissable. C’est un peu comme goûter des dizaines de plats gastronomiques, il y en a que vous trouvez bons, mais si deviez en manger à nouveau un ou deux, vous feriez un choix sélectif.
Via la télévision ou les cinés clubs, j’en ai découvert un tas d’autres, de quoi me constituer un bagage de cinéphile. Si je devais établir une liste des dix films que je préfère, il faudrait que je réfléchisse pour savoir lesquels et à quelle place je les mettrais. Mais il y en a incontestablement trois ou quatre qui me viennent à l’esprit dont La Nuit du chasseur de Charles Laughton.
Difficile de dire pourquoi j’aime ce film, peut-être simplement parce qu’il est beau, c’est une raison suffisante. Pour être plus précis, il y a l’histoire, une de ces histoires comme je les aime. La vedette est un salaud de la pire espèce, les gens qu’il croise sont des cons pour la plupart incapables de distinguer le bien du mal, et il est le mal. Et puis il y a le film, l’image, échappée des films muets, ceux de l’expressionnisme allemand, de Lang, de Murneau. Un film où l’on trouve ici et là, une de ces grandes scènes qui font les grands films. Et puis aussi parce qu’il fut malmené par la critique, tout aussi incapable de distinguer le beau et le laid, avant de se raviser.
Le film se déroule dans les années 30 en Virginie, période de crise, celle commencé en 1929 par le crash de Wall Street. L’histoire est librement inspiré de faits réels, ceux d’un tueur en série, Harry Powers, sorte de Landru version oncle Sam. Le titre du film est celui d’un roman de Davis Grubb, publié en 1953, qui raconte à sa manière le personnage de Powers. L’histoire est remarquée par celui qui va la mettre en scène, Charles Laughton.
Je n’apprendrai rien aux cinéphiles en situant Laughton dans l’histoire du cinéma. C’est un immense acteur, sans doute l’un des dix plus grands de l’histoire du cinéma, homme de théâtre également. D’origine anglaise, à l’instar de Chaplin il a tenté sa chance aux USA, il a réussi, pointant vers une carrière très internationale. En 1937, il joua même à Paris et en français, langue qu’il maîtrise parfaitement, le Médecin malgré lui de Molière à la Comédie-Française. Très à l’aise dans n’importe quel rôle, du moins ceux que son physique lui permettent de jouer, il veut passer derrière la caméra. Passer derrière, c’est le mot, car il a toujours été devant, il n’y connaît presque rien, à peine comment la mettre en marche. Mais quand on est une star comme lui, on peut assez facilement trouver de l’aide. Il engage Stanley Cortez, une fine gâchette si la caméra avait été un fusil. Avec sa complicité, Laughton pourra mettre en images sa vision de l’histoire, et c’est bien là que ce dernier excelle. C’est un peu dans son esprit comme s’il jouait tous les rôles du film avec son jeu bien à lui qui frise souvent la perfection.
Il lui fallait des acteurs, il en a trouvé. Son choix définitif s’est porté sur Robert Mitchum pour le rôle principal, celui du salaud. Ce n’est pas son premier choix, mais le tournage d’un film étant assez long, il lui fallait quelqu’un de disponible pendant les deux petits mois durant lesquels le réalisateur était libre. C’est donc Mitchum qui s’y est collé et c’est sans doute une grande chance pour le film. En 1954, année du tournage, il était déjà une star, et avait figuré au générique de films marquants. A quelque part les rôles principaux sont tenus par des enfants, ils sont deux, un garçon et une fille. Le garçon, John (Billy Chapin), est un garçon d’une dizaine d’années et sa soeur, une petite peste de 5 ans, Pearl (Sally Jane Bruce). Elle est à l’heure actuelle la seule survivante des acteurs principaux apparus dans le film. Le rôle principal féminin est assuré par Shelley Winters, une actrice qui a déjà quelques succès à son actif. Pour le second rôle féminin, Laughton tenait a avoir une actrice célèbre au temps du muet, Lilian Gish. C’était pour lui une sorte d’hommage à lui rendre car il l’admirait. Elle accepta et connut ainsi un regain d’intérêt dans sa longue carrière. Elle mourut d’ailleurs presque centenaire en 1993. Nous trouvons également un acteur qui deviendra assez célèbre plus tard dans la série Mission Impossible, Petre Graves. Le reste des interprétations sont tenus par des habitués des seconds rôles, rôles qu’il ne faut pas négliger, car ils aident plus souvent qu’on ne le croit à la réussite d’un film.
Le début du film : nous assistons à une poursuite, Ben Harper (Peter Graves) a commis un vol de 10000 dollars et tué deux personnes. Il est poursuivi par la police mais parvient à arriver jusque chez lui. Il donne l’argent à ses deux enfants, John et Pearl, en leur demandant de cacher l’argent qui serait pour eux plus tard, les mettant à l’abri du besoin. Il sait qu’il sera condamné à mort. Sa femme (Shelley Winters) qui est dans les environs ignore ce secret.
Lors de son incarcération avant son exécution, il a pour compagnon un certain Harry Powell (Robert Mitchum), un tueur de femmes éplorées qu’il assassine après avoir mis la main sur leurs économies. Il se fait passer pour un prêcheur, citant de nombreux passages de la Bible. Signe particulier du bonhomme, il a love and hate (amour et haine), tatoué sur les doigts. Il séjourne en tôle juste pour 30 jours à la suite d’un vol de voiture, la police ignorant son passé de tueur. Dans son sommeil, Harper parle à voix haute et Powell comprend que l’argent du vol est caché à quelque part et que sa famille est plus ou moins au courant.
A sa sortie de prison, Powell compte bien mettre la main sur les dollars et se pointe dans le village de la famille Harper.
Voilà le film est lancé, le reste est à découvrir. Il existe pour cela un édition prestigieuse en coffret de ce film. Il comprend :
Deux supports l’un en DVD, l’autre en Blue Ray. Le film a été complètement restauré, l’image est impeccable. La version française est disponible.
Un livre de 200 pages en français, écrit par Philippe Garnier, raconte le tournage du film avec une multitude de photos.
Dans les suppléments très nombreux, plus de 3 heures, on revit le tournage du film à travers les rushes et l’on voit ainsi Laughton en action. Pour ceux qui ne savent pas ce que c’est les rushes, un mot d’explication :
Quand on tourne un film, on tourne en général plusieurs fois la même scène et l’on garde celle qui semble la meilleure en écartant les autres, c’est celles-ci que les Anglais appellent les rushes. On revoit pratiquement le film une deuxième fois avec tous les petits incidents qui peuvent se produire lors d’un tournage. C’est très instructif sur la manière de faire un film. Un acteur bafouille, se trompe, recommence dix fois la même scène etc.. On se rend compte de l’importance des décors, les trucages sont expliqués, cela désacralise un peu le cinéma. Par exemple, dans un dialogue supposé entre Mitchum et Winters et montrant alternativement les acteurs, c’est le réalisateur qui récite le texte de celui que l’on ne voit pas.
On trouve aussi les bandes annonces du film, des interviews dont une de Mitchum en 1982 à propos de ce film.
C’est une chance d’avoir eu a disposition ce matériel pour compléter l’attrait de ce coffret. Pour la petite histoire, c’est la veuve de Laughton, Elsa Lanchester, qui les a soigneusement conservés jusqu’à sa mort en 1986 et transmis à sa succession. Précisons encore qu’elle fut aussi une actrice et même assez célèbre. Elle fut notamment la Fiancée de Frankenstein dans le film de 1935 réalisé par James Whale avec Boris Karloff, dans lequel elle tient en fait deux rôles, celui de Mary Shelley, la femme écrivain qui imagina la célèbre créature et la fiancée du monstre. A noter que contrairement à son mari, elle avait un physique tout à fait charmant. La preuve :
Plus tard, Mitchum aurait dit de La Nuit du chasseur que c’était, parmi les films dans lesquels il a joué, son favori.