L’Italie en nylon

Ah l’Italie! Combien de fois ne me suis-je pas perdu en rêveries sous son  ciel d’azur? Le charme de son hospitalité, sa cuisine, ses vins. Cette langue qui chante sans notes. Ce peuple qui rit quand il est triste et qui pleure quand il est gai. Et ces filles belles à damner un saint, Maria, Irene, Paola, Rosa, Lucia, Patricia et tant d’autres dont j’oublie les noms…

C’est aussi là que les femmes sont très souvent élégantes et que j’ai eu l’occasion d’admirer quelques paires de jambes gainées de bas. En remontant le fil de mes souvenirs apparaissent quelques histoires, à différentes époques, mais qui sont encore bien vivantes. Et puis je suis aussi la moitié d’un Italien… 

La première et la plus vieille remonte en 1963 et paradoxalement, n’a rien à voir avec une belle Italienne. Encore petit, j’étais parti en colonies de vacances, non pas dans le Tanger de Pierre Perret, mais dans un grand village au bord de l’Adriatique, Cesenatico. La vie dans cette colonie était organisée autour de groupes de cinq à six enfants  et menés par un moniteur ou une monitrice. Pour moi c’était une. Elle devait avoir dix-huit ans à tout casser, cheveux courts et  lunettes, elle était plutôt jolie. Un soir, alors que nous avions organisé un jeu de nuit, j’ai remarqué qu’elle avait mis des bas sous son pantalon. Mais oui, je m’intéressais déjà à la chose, si cela vous interloque. J’en fus un peu surpris, car il était très loin de tomber des flocons de neige en ce mois de juillet. Je me souviens très bien que j’ai failli lui en faire la remarque, ce qui n’aurait sans doute pas manqué de l’étonner, mais je n’en fis rien. Je me suis régalé autant que possible du spectacle de la bosse des jarretelles, bien visibles. Marie-Thérèse, si d’aventure c’est le nom de la personne qui lit ces lignes et qui était monitrice en colonies de vacances du côté de Cesenatico, il y a bien longtemps, il pourrait bien s’agir de la même personne. Alors, étonnée de voir quel souvenir j’ai gardé de toi? Si tu habites toujours dans le même coin qu’à l’époque, moi aussi, alors on pourrait prendre un verre ensemble, non?

Bien que je sois retourné plusieurs fois en Italie les années suivantes, il ne s’est rien passé de particulier. Remuons le sablier du temps et arrêtons nous en 1976. Nous avions décidé ma mère et moi, d’aller faire un tour dans sa ville natale, Milan. Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais dès que je vais dans ce pays, j’ai envie d’acheter des habits et surtout des souliers. Il n’y a rien de tel que les pompes italiennes pour faire des pas de géant dans la vie avec un maximum de confort. Ma mère se sentait dans son élément et nous avons parcouru la ville, la Scala, la Galleria del Corso, en passant par la rue de son enfance. A propos de cette rue, juste à côté de sa maison natale, j’avisai une petite boutique où je pensais pouvoir trouver  chaussette à mon pied.  Sans le savoir je suis entré dans un magasin assez branché sur la lingerie traditionnelle et ancienne. La propriétaire des lieux, une belle femme dans la cinquantaine, semblait vouloir être une adapte de la marchandise qu’elle exposait. Sous une magnifique jupe grise très serrée, on devinait très bien les marques d’un porte-jarretelles qui tenait d’authentiques bas à couture. Il y a bien longtemps que je n’en avais pas vu. Dans ce style, c’est un des plus beau spectacles que j’ai eu l’occasion d’admirer. Et cela a duré longtemps, car ma mère a longuement fait la conversation avec la dame. Finalement je suis reparti, pas tellement la queue basse, mais avec des chaussettes tout de même.
Passons deux ans et nous voici à Rome, gare Termini en plein mois de juillet. J’étais sorti faire un tour dans les environs et en revenant j’attendais pour traverser un passage piétons, exercice assez périlleux dans cette ville.  En face de moi, une dame faisait la même chose. Quand la voie fut libre, elle s’avança dans ma direction et je vis très distinctement sous son pantalon blanc la présence d’un porte-jarretelles de même couleur.  C’était tellement visible que l’on devinait vraiment toutes les formes de son accessoire, y compris le lisière des bas. J’ai pensé, après, aux risques d’accidents qu’une telle vision pouvait provoquer dans la Ville Eternelle, si d’aventure cette personne déambulait le long des trottoirs.  Ce fut aussi un beau spectacle et un souvenir inoubliable.

Et cette charmante jeune dame rencontrée dans un train entre Vérone et Milan, je ne saurais l’oublier. Elle qui nous annonça que sa présence et la nôtre dans ce train tenait du miracle, car les conducteurs de train étaient en grève. Pour moi le miracle, c’était ses jambes gainées de noir par cette belle journée d’été. Coincidence du jour, un journal régional parlait dans sa partie magazine d’un retour du bas au détriment du collant sur les jambes des dames de la Botte. Or nous étions en 1980, une traversée du désert pour les voyeurs à l’affût d’un moindre bout de jarretelle. Je ne sais pas si elle avait participé à l’enquête en tant que témoin, mais il est certain que j’eus l’occasion d’apercevoir la lisière du bas à plusieurs reprises et qu’il y avait de grandes chances qu’un porte-jarretelles servait à les tenir. Où êtes-vous bientôt trente ans après? Mettez-vous toujours des bas? J’ose l’espérer!

Par la suite, j’ai pas mal séjourné dans les environs de lac de Garde, un endroit parmi les plus charmants de l’Italie. Ma mère, qui commençait à devenir âgée, avait retrouvé dans un petit village des amis de jeunesse. Elle m’offrait quelques jours de vacances tout frais payés, si je l’emmenais à F… chez ses amis. Pour moi ce n’était pas trop une corvée, car j’adorais cet endroit, déserté par les touristes, profondément ancré dans l’Italie profonde. Et puis c’était pour moi l’occasion de me remettre à parler la langue du pays. Nous séjournions dans une petite auberge tenue par une famille du coin, dont la mère était une copine de la mienne, elles ne s’étaient pas vues depuis trente ans. A part nous, il y avait quelques autres pensionnaires dont un couple dans la cinquantaine de la région de Cremone.  Le soir, nous avions l’habitude de nous retrouver dans le café pour parler de choses et d’autres avec les gens du village, tous plus ou moins clients de l’auberge. Pour mes délices, la dame du couple était toujours en jupe et visiblement portait des bas tous les soirs. Comme ses jupes étaient assez serrées, les bosses de ses jarretelles ne manquaient pas d’apparaître, assez discrètement d’ailleurs, aux endroits stratégiques. Autant que possible, je m’arrangeais pour avoir le spectacle dans mon champ de vision. Au fil des soirs, je me suis régalé de ce spectacle, assez inattendu dans un lieu dont je n’aurais pas misé une thune pour espérer le trouver. Un matin, j’ai fait une petite expédition dans une petite ville voisine, endroit réputé pour les sports d’hiver. A la terrasse d’un bar, je prenais mon apéritif sous forme d’un de ces vins doux « frizzante », qui coule facilement dans les verres  à l’heure des discussions toujours très philosophiques  sur le « giro » ou la dernière victoire du AC Milan.  En face de moi, il y avait deux jolies femmes qui discutaient sans doute d’autre chose, mais qui n’y mettaient pas moins de passion. Malgré une température plus que agréable, il y en avait une qui avait les jambes recouvertes de nylon. C’était quelque chose comme des bas jarretières, bien visibles à la limite de sa jupe plutôt courte. Par distraction ou volontairement elle ne faisait rien pour cacher le spectacle. Elle en rajoutait même un peu en les ajustant de temps en temps. Ce genre de bas, pour être honnête, m’attire assez peu. Mais entre les dizaines de jambes nues qui passaient devant le bar, le spectacle ne manquait pas d’un certain charme.

 

Voici
Qu’un ciel penche ses nuages
Sur ses chemins d’Italie
Pour amoureux sans bagages

Paroles d’une chanson peu connue de Jacques Brel, je fus cet amoureux sans bagages. Que ces souvenirs me paraissent lumineux à côté des éternels objets de pacotille que l’on ramène en souvenir.