Des bas nylon et un ange noir

Le cinéma érotique est un genre que je ne dédaigne pas, mais il faut qu’il remplisse certaines conditions à mes yeux essentielles. La banale histoire du couple qui est prétexte à filmer des scènes érotiques m’ennuie et je suis poli. Il m’ennuie aussi dans l’autre extrémité. Quand un couple a envie de s’envoyer en l’air, je trouve tout aussi idiot que la caméra lâche le couple pour filmer le tableau suggestif qui est dans le décor ou le soleil se couchant en enflamment l’horizon. Entre les deux, il me semble que l’on peut trouver un juste milieu entre le ni trop, ni trop peu.

Le film dont je vais vous parler répond à ces critères de juste milieu. Il y a une histoire, même quelques passages avec un bon suspense. Il se veut aussi documentaire par certains faits relatés, propres à une période de l’histoire. Elle est plutôt bien reconstituée, au niveau des costumes il remporte même un prix, le seul qu’il aie eu. Il s’agit en toile de fond de la relation d’un couple entraîné dans le tourbillon de l’histoire. Il y a plusieurs scènes érotiques, même très chaudes, avec quelques brèves visions de nu intégral, mais c’est presque anecdotique. On ne tombe jamais dans une quelconque pornographie. Qu’on aime ou non le cinéma érotique, je ne peux que le conseiller aux amateurs du genre.

Tinto Brass est un cinéaste italien né à Milan, qui s’est fait une assez belle réputation dans un cinéma érotique de catégorie supérieure. Ce genre d’étiquette pourrait le classer dans une certaine facilité auprès du public, s’il n’y mettait une certaine classe. Pourtant ce n’est pas n’importe qui, venu  par hasard dans le cinéma érotique, à défaut de mieux. Il fut l’assistant de Fellini et Rosellini, deux très grands cinéastes qui brillent dans l’histoire mondiale du cinéma. Fort de ces expériences, une fois lâché en solitaire il fait d’abord du film un peu anarchiste, le premier en 1963. Il dirige des grands noms comme Alberto Sordi, Silvana Mangano, Jean-Louis Trintignant, Vanessa Redgrave. Son premier film érotique date de 1975 avec « Salon Kitty ».  Comme souvent depuis, Brass inclut une part de vérité historique, même si l’érotisme est au centre de l’écran. Ce salon a réellement existé, un bordel de luxe à Berlin, exploité par les renseignements nazis pour cueillir en quelques sorte, les confidences sur l’oreiller.  Dans le film qui nous intéresse ici, il renoue avec la période fasciste, mais cette-fois-ci l’histoire se passe en Italie.

L’histoire

L’histoire est tirée d’un récit, Senso, qui se passe au 19ème siècle alors que Venise est encore sous domination autrichienne. Visconti en tirera une première adaptation cinématographique en 1954 en laissant le récit à l’époque ou l’histoire se passe. Tinto Brass reprendra l’histoire à son compte, mais en la transposant dans les derniers jours de la seconde guerre mondiale.  Alors que l’Italie du nord est sous le gouvernement de la république de Salo, petite ville au bord du lac de Garde, le fascisme vit ses derniers instants. Entre ceux qui veulent encore y croire, ils savent bien qu’ils ne sont que des marionnettes qui cesseront de s’agiter quand ceux qui les manient l’auront décidé, il y a les autres. Les opportunistes, les nouveaux résistants, ceux qui font table rase du passé, les opprimés qui réclament vengeance. Tout un monde que Brass examine de son oeil ironique, tout en nous offrant des scènes érotiques aussi chaudes que les plus belles journées d’été sur la Botte.

Le sujet

La belle Livia, interprétée par la sensuelle Anna Galiena, est l’épouse d’un ministre fasciste vieillissant. Elle est certes une dame que l’on respecte, mais au fond d’elle-même voudrait plutôt qu’on ne le fasse pas. Sa vie routinière est bouleversée par l’apparition d’un beau et jeune lieutenant SS, Helmut, interprété par Gabriel Garko. Ce bel aryen dépravé aux cheveux blonds devient son amant et l’entraîne dans un monde de luxure où elle devient sa chose, prête à tout pour le garder. La trame du film se déroule lors d’un voyage vers Venise où elle part le rejoindre en voiture, avec comme chauffeur un prétendant éconduit qui accepte de l’emmener, en échange d’une nuit avec elle. Ce voyage a probablement lieu à travers la République dite de Salo, lieu de villégiature au bord du lac de Garde, où se trouvent réfugiées toutes les huiles fidèles à Mussolini, à partir de la fin 1943. Le voyage est difficile, pleins d’obstacles, il faut passer pour des partisans quand on les rencontre et de bons fascistes quand c’est l’inverse, l’occupation réelle du territoire par les uns ou les autres est très mouvante. Au cours du trajet elle se rappelle, flashback dans le film, de tous les moments passés avec Helmut, de sa rencontre avec lui et de toutes les folies qu’elle a faites pour lui. L’arrivée à Venise, lui réserve une surprise que je ne raconterai pas ici.

Critique

Tinto Brass se pose en maître quand il filme l’érotique, au moins dans ce film. La photographie est poétique, romantique, musique Ennio Morricone, une référence.  Il mélange divinement le noir et blanc et la couleur selon l’instant qu’il raconte. Les acteurs, principalement venus du théâtre, sont un peu l’équivalent des belles ou sales gueules que l’on retrouve dans le western spaghetti, ils sont parfaits dans les rôles qu’ils interprètent. Les deux protagonistes principaux sont vraiment à la hauteur et portent bien le film, là cinéaste veut les emmener. Le film raconte une histoire, Brass y ajoute quelques souvenirs personnels et fait aussi quelques clins d’oeil à ses maîtres. Il est sans doute un peu aussi fétichiste et ne manque pas de nous montrer de belles lingeries et de belles paires de jambes avec des bas, bien sûr. Les amateurs du genre seront comblés. Un anachronisme, sans doute, dans une scène dédiée, la vision de jarretelles en plastique. Je suis sûr qu’à cette époque, seules les attaches métalliques étaient employées.  En résumé, un film érotique assez chaud, une histoire troublante dans un monde troublé. Même si elle est imaginaire, on est presque certains qu’elle est inspirée de faits réels imaginaires. C’est un peu la magie de Brass qui opère.

Fiche technique. Réalisateur: Tinto Brass – Titre original: Senso ’45 – Titre français/anglais: Black Angel – Année 2002 – Durée 128 mn – Pays: Italie, Eagle Pictures – Musique: Ennio Morricone – Interprètes: Anna Galiena (Livia Mazzoni) – Gabiel Garko (Helmut Schultz) – Franco Biancaroli – Antonio Salines – Loredana Canata –  Erika Savastani – Simona Borioni.