Bas nylon et sable chaud

Cinéma

La Légion Etrangère a souvent représenté représenté une sorte de fascination pour les aventuriers de tous poils, du moins jusqu’à la fin des années 50. Dans une moindre mesure, cette fascination existe encore, mais on s’y engage aujourd’hui pour des raisons sans doute différentes. Dans les années 30, époque dans laquelle se situe le film dont nous allons parler, on pouvait y ajouter le goût d’une certaine aventure qui se résumait à découvrir des régions qui apparaissaient alors plutôt lointains comme le Moyen Orient et plus tard l’Indochine. A l’heure où l’on peut, à la seconde près, entrer en relation avec un correspondant à l’autre bout du monde cela peut faire sourire. Mais supposons un pays comme l’Algérie où la connaissance de l’endroit se résumait à un chameau avec un Bédoin sur une carte postale, l’imagination devait en travailler quelques uns, surtout ceux sans le sou. La Légion offrait alors un passeport et un transport tous frais payés pour aller humer l’odeur du sable chaud.

L’une des forces de cet organe, fondé par Louis-Philippe en 1831 rappelons-le, est aussi d’offrir une sorte de nouvelle virginité à l’engagé, faisant table rase de son passé, du moins pendant son temps de service. C’est une sorte d’armée dans l’armée obéissant à ses propres règles et surtout ouverte aux nationalités étrangères. Ce sont en quelque sorte des soldats professionnels qui seraient des mercenaires sous d’autres cieux. Voilà pour quelques repères, car mon propos ici n’est pas de retracer l’histoire de la légion, mais bien de planter le décor d’un film. Ce dernier se déroule en fait dans la Légion espagnole, un pendant de sa cousine française, fondée plus tardivement par Franco au début des années 20. L’appellation espagnole donne le titre du film.

« La Bandera » est un film de Julien Duvivier, déjà presque un vétéran du cinéma lors de sa sortie en 1934. Il s’inspire d’un roman de Pierre Mac Orlan dont Duvivier a racheté les droits après une discussion avec Jean Gabin lors du tournage de son précédent film, l’excellent « Golgotha », dans lequel il tenait le rôle de Ponce Pilate, tous deux sont passionnés par cette histoire. Gabin n’est pas encore tout à fait une star, mais il commence à être très connu, son rôle dans le film va faire monter la pression d’un cran. Pour Duvivier ce sera aussi un atout de plus vers sa renommée. On est un peu dans les histoires de famille, car Duvivier confie aussi un rôle à sa vedette de Golgotha, Robert Le Vigan. Pour le reste, les rôles principaux sont attribués à quelques noms connus ou vedettes en devenir de l’époque, Annabella, Margo Lion, Viviane Romance, Raymond Aimos, l’incontournable Gaston Modot et Pierre Renoir, le frère de Jean. 

Le plot

PIerre Gilieth a commis un meurtre à Paris et est recherché par la police qui offre une jolie prime pour sa capture. Il se réfugie en Espagne, à Barcelone, et tente de se refaire une santé. Il y rencontre une femme légère (Vivianne Romance) qui tente de le consoler alors qu’il se fait dérober son argent et ses papiers. Sans moyens d’existence, il a recours à un engagement dans la Légion ce qui a au moins a l’avantage de lui fournir une prime d’engagement pour parer au plus pressé. Il finira par partir dans le Rif combattre sous drapeau espagnol, dans une guerre qui est la première guerre vraiment anticoloniale. Il tombera follement amoureux d’une indigène (Annabella) qui donnera une couleur particulière à sa vie de légionnaire. Ce qu’il ne sait pas, parmi les légionnaires, il y a un indicateur de police et intrigant chasseur de primes (Robert Le Vigan) qui va tenter de percer son secret et encaisser la prime. 

Le film est avant tout un témoignage sur la vie des légionnaires, sans doute très impartial dans sa manière de présenter la vérité pour mieux la dénoncer. Il fait abstraction de toute considération politique, on se bat contre un ennemi sans savoir qui a tort ou raison. Duvivier se plait à inverser les clichés, Gabin qui est un assassin en devient sympathique, tandis que le Vigan, à la solde de la police est antipathique à souhait. Les indigènes apparaissent sous un jour serein, des victimes de la colonisation qui sont sans doute moins méchants que les envahisseurs. Assez étonnamment on peut apercevoir une danseuse avec les seins nus dans une scène du film. Même 80 ans après son tournage, il n’a pas pris de rides et conserve la saveur qui lui fit obtenir un grand succès lors de sa sortie. 

En résumé c’est un film qui mérite le détour, il a une certaine valeur de documentaire. On peut le mettre en parallèle avec un autre film de la même année « Le Grand Jeu » de Jacques Feyder interprété par Pierre Richard-Willm, Charles Vanel, Françoise Rosay, Georges Pitoëff. Ce film traite aussi de la vie des légionnaires, mais plus en toile de fond. Les années 30 auront quand même été une décennie remarquable pour le cinéma français. 

Interprétation

  • Jean Gabin (Pierre Gilieth, meurtrier légionnaire)
  • Annabella (Aïscha, la Slaoui)
  • Margo Lion (Planche-à-Pain)
  • Viviane Romance (La fille de Barcelone)
  • Génia Vaury (La fille du restaurant)
  • Claude May (La femme ivre)
  • Robert Le Vigan (Fernando Lucas, le mouchard)
  • Pierre Renoir (Le capitaine Weller)
  • Gaston Modot (Le soldat Muller)
  • Raymond Aimos (Marcel Mulot)
  • Charles Granval (Le Ségovien)
  • Robert Ozanne (Le tatoué)
  • Maurice Lagrenée (Siméon)
  • Louis Florencie (Gorlier)
  • Noël Roquevert (Le sergent dans le train)
  • Marcel Lupovici (Un légionnaire dans le fortin)
  • Robert Ancelin (Le lieutenant)
  • Raphaël Médina (Un légionnaire du fortin)
  • Pitouto (Le garçon d’étage)
  • Paul Demange (Le plaisantin)
  • Raymond Blot (Le patron de la maison de danse)
  • Eugène Stuber (Le voleur)
  • Robert Moor (Un légionnaire)
  • Jésus Castro-Blanco (Le sergent)
  • Reine Paulet (Rosita)
  • Little Jacky (Weber)
  • Philippe Janvier
  • José Casado

Autour du film

A l’origine le film était dédié à Franco, la mention sera supprimé lors de la guerre civile espagnole où il apparut comme un dictateur.

Dans les années 30, la télévision qui existait déjà de manière très confidentielle, avait fait des repérages pour une future diffusion de films à travers ce moyen. Un liste de plus de 200 films « télévisionnables » fut établie. Le film de Duvivier y figurait.

Après la guerre les affiches du film font abstraction du nom de Robert Le Vigan. Ce dernier a été condamné à 10 ans de prison pour faits de collaboration, de propagande, de positions violemment antisémites. Il fut un proche de Céline. Il s’exila en Argentine où il mourut en 1972 après avoir vécu chichement.

En dehors de toute polémique, il faut laisser à Le Vigan l’étoffe d’un très grand acteur. Il avait sans doute un grain de folie en lui, c’est parfois perceptible à travers ses rôles. Celui de Jésus dans « Golgotha » est absolument époustouflant. Mais dans le cinéma comme ailleurs, le grain de folie peut se ressentir comme une vertu. Où en serait l’humanité si quelques unes de ses légendes n’avaient pas eu ce grain de folie ?

Colette dit, après l’avoir vu jouer, que Le Vigan est un acteur « saisissant, immatériel, sans artifice, quasi céleste »