Bas nylon et Noël en catastrophe

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Nous avons vu dans un précédent post la catastrophe ferroviaire de la vallée de la Mauricienne qui est à ce jour la plus meurtrière du chemin de fer en France. Il y a en une autre qui fit un nombre considérable de victimes 16 ans plus tard. Pour cause de secret militaire, la première fut plus ou moins passée sous silence. Par contre le seconde fut amplement documentée, car il s’agissait d’un accident civil. Mais comme nous le verrons, on ne peut pas affirmer avec certitude que la première servit à éviter la seconde, au moins au niveau du matériel encore trop vétuste. Elle frappa d’autant plus les esprits qu’elle se produisit deux jours avant Noël.

C’est bien connu la période de Noël est l’occasion pour les familles de se retrouver pour fêter ensemble. Il suffit d’imaginer dans une ville comme Paris qui si un habitant sur dix décide de partir en banlieue dans sa famille, ou inversement un habitant reçoit sa famille à Paris, cela fait pas mal de monde en déplacement. En 1933, chaque famille est encore loin de posséder sa propre voiture, de plus si on possède une voiture, les routes en décembre sont plutôt glissantes par suite d’enneigement et les moyens à disposition pour le déblaiement sans doute assez archaïques par rapport à aujourd’hui.

Le train constitue alors le moyen de déplacement idéal et presque incontournable. Pas trop difficile d’imaginer que dans les gares c’est un peu la pagaille, les trains sont pris d’assaut et on a atteint la limite de saturation du circuit du fait de nombreux trains supplémentaires prévus.

La compagnie concernée est ici la Compagnie des chemins de fer de l’est, ce n’est pas encore la SNCF qui sera mise en forme à partir de 1938. Sa gare de trafic est bien entendu la gare de l’Est. Ce 23 décembre le temps est exécrable, il gèle et il y a du brouillard. La logistique chargée de préparer les rames pour les amener à quai à l’air insuffisante et débordée. il y a des retards jusqu’à deux heures.

A 19 h 22, l’express no 55 Paris-Nancy au départ initialement prévu à 17 h 49 quitte la gare. Il est suivi neuf minutes plus tard par le rapide 25bis Paris-Strasbourg. Les deux trains empruntent le même parcours. Pour l’instant, c’est un tronçon à 4 voies avec signalisation lumineuse automatique qui prend fin à après la gare de Vaires à l’est de Paris.

C’est justement cette signalisation qui semble avoir posé problème. Alors il n’est pas inutile de rappeler quelques principes du fonctionnement de cette signalisation et ce qu’elle était à l’époque. Aujourd’hui dans la plupart des pays, la signalisation est automatique et lumineuse et de manière générale on retrouve les mêmes schémas. Les exemples ci-après correspondent en gros à la situation qui prévalait au moment de l’accident. Depuis la situation a passablement évolué, on rencontre par exemple des feux qui clignotent, des feux en étoile qui sont valables pour certains types de trains et pas d’autres. Aux couleurs de base s’ajoutent le blanc et le violet.

Résumé de prescriptions en 1933.

Rouge c’est un arrêt obligatoire.

Jaune, veut dire attention, indique principalement que le signal suivant est rouge, donc il faut commencer à ralentir. Combiné avec d’autres feux ou doublé, il peut dire qu’il faut adopter une certaine vitesse prescrite pour prendre un embranchement par exemple. En dehors des gares, un signal qui doit agir comme signal d’arrêt absolu est toujours précédé d’un signal avancé, entre 1000 et 1300 mètres qui lui indique l’état du signal suivant, la mécanicien doit pouvoir freiner à temps le cas échéant.

Vert, la voie est libre, sauf bien sûr les éventuelles restrictions ou limitations de vitesse.

Chaque voie est divisée symboliquement en cantons ou blocks dont un signal à sa fin est la frontière à franchir, feu vert ou orange, ou à ne pas franchir, feu rouge. Selon les voies et l’importance du trafic ce canton est plus ou moins long, mais la distance est calculée afin que chaque convoi qui doit s’arrêter dans le canton suivant puisse le faire aisément. Avec la signalisation automatique, il est théoriquement possible d’accéder au canton suivant si le signal d’entrée de ce canton est jaune, et le suivant rouge, mais devra marquer un arrêt devant ce feu rouge. Il se peut que le signal rouge passe entre-temps au vert, dans ce cas le train peut reprendre de la vitesse et passer. En cas de surcharge ou d’imprévu, l’impossibilité de circuler peut remonter jusqu’à la gare précédente, dans ce cas le train ne quittera pas cette gare. Sur une ligne peu fréquentée avec de grandes distances entre les gares, les cantons peuvent s’étaler sur des dizaines de kilomètres. Il n’y pas de raison de ne pas faire partir un train si le train précédent est déjà arrivé à la gare suivante ou si le canton est libre sur une ligne où il y a un train toutes les heures ou plus.  Ce n’est pas trop le cas en France et en Europe, le circulation est dense et les gares assez rapprochées. Dans les cas de voie unique, ce sont en général les gares qui servent de fin ou limite de canton. Voyons un cas avec une gare A et B et un train Y et Z et W

Si le  train Y n’a pas atteint la gare B suivante :

Le signal de la gare A reste rouge pour le train Z, si le train Y n’a pas franchi le signal d’entrée de la gare B.

Le feu de la gare A sera vert, si le train Y a franchi le signal d’entrée de la gare B ou est dans la gare B, le signal d’entrée de la gare B sera rouge, le signal avancé de la gare B sera jaune.

Si le train est parti de la gare B, tous les feux peuvent être mis au vert pour le train Z, sauf celui de sortie de la gare B si le train Y n’est pas encore dans la gare C ou franchi son signal d’entrée.

N’oublions pas que si un train W arrivant en sens inverse, de la gare B vers la gare A, le feu sera rouge pour le train Z, tant que le train W ne se sera pas arrêté ou franchi la gare A.

Sémaphores allemands, la forme est un peu différente mais la fonction la même. Ici le signal est ouvert pour la voie du milieu et fermé pour la voie de droite. De manière générale, le signal est posé coté extérieur de la voie, à droite s’il y a plusieurs voies qui sont parallèles. Toutefois chaque compagnie peut avoir des règlements qui lui sont propres. De manière simplifiée le mécanicien doit pouvoir identifier du premier coup d’oeil quel signal le concerne.

Types de sémaphores anciens des chemins de fer français

Nous avons vu plus haut qu’à partir de la gare Vaires, les signaux automatiques lumineux étaient remplacés par les fameux sémaphores à palette. Ce système de signalisation archaïque était en phase d’être remplacé, mais ce n’était pas encore le cas partout. En gros, la palette levée signifiait vert et la palette baissée rouge, parfois avec une double palette, l’une levée et l’autre baissée était l’équivalent d’un avertissement. Il y avait bien un système de couleurs, mais éclairé par une lampe à huile avec un code couleur différent et surtout peu visible la nuit. Ces signaux étaient annoncés au mécanicien par un panneau en tôle en dehors des gares. En pratique, il y avait aussi sous les locomotives des patins, dits crocodiles, qui devaient transmettre au mécanicien, par le courant électrique actionnant un sirène, qu’un signal était rouge. On employait aussi des pétards pour ce genre d’informations qui devaient éclater sous la locomotive lors de son passage. Comme on peut le comprendre et par rapport à la technologie moderne, tous ces systèmes étaient rudimentaires, mais cela pouvait passer comme moderne en des temps plus reculés. Malgré toute la modernité des systèmes de sécurité d’aujourd’hui, les accidents de train n’ont pas complètement disparus. Le système des sémaphores n’est pas encore abandonné partout, certains lignes en sont encore équipées. Combinés à une signalisation lumineuse performante le jour, ils offrent l’avantage à un mécanicien de voir de loin l’information du signal si la voie n’est pas exactement alignée avec le signal. 

Pas mal de trains à cette époque étaient encore tirés par des locomotives à vapeur. Ces dernières étaient conduites par deux personnes, un chauffeur et un mécanicien. Le chauffeur était surtout occupé à remplir la chaudière, tandis que le mécanicien s’occupait de la conduite et c’est lui qui mettait le nez à la fenêtre et observait ce qui se passait devant la locomotive et en bord de voie. Vous pouvez imaginer la difficulté de conduire une locomotive, pas seulement au niveau technique mais pratique. A l’intérieur il fait plutôt une chaleur à crever et au dehors la température est en dessous de zéro comme ce fut le cas ce jour-là. Mettez votre tête par la fenêtre de votre voiture quand vous roulez à 100 par ce genre de froid et, c’est le cas de la dire, vous en prendrez plein la gueule ! Lui est obligé, il doit observer la signalisation tout en surveillant sa machine, température de la chaudière, pression d’eau etc…

Donc il fait nuit, il y a du brouillard et le train file, nous sommes après la gare de Vaires. Un omnibus est en train de se manoeuvrer dans l’évitement de Pomponne sur une voie secondaire, trois kilomètres avant la gare de Lagny. Le signal du canton est fermé et le train no 55 arrêté. Jusque-là tout va bien. La voie est libérée et le 55 se remet en marche. Arrive le train no 25, celui parti un peu plus tard de Paris. Lui est en plaine vitesse, entre 90 et 110 km/h, il n’a pas vu vu les signaux ou ceux-ci n’étaient pas fermés. Il percute le train en mouvement d’accélération et c’est le drame.

Le choc est terrible. La locomotive du 25 pulvérise le fourgon de queue et les quatre voitures qui le précèdent, et est soulevée par la ferraille qui constitue l’armature de ces wagons avec des cages en bois. Les occupants sont écrasés parmi les débris. Dans une catastrophe il arrive quelquefois un coup du destin qui permet de ne pas aggraver le malheur. Un incident technique mais opportun, suite au choc, ferma involontairement le signal à un train qui arrivait en sens inverse.  Il réussit à s’arrêter juste avant le lieu de choc.

Les secours arrivèrent dans un laps de temps que l’on peut considérer comme correct pour les premiers arrivés sur place, l’accident fit un tel fracas qu’il s’entendit loin à la ronde. La plus gros problème fut que l’endroit était plongé dans la nuit noire, il fallut d’abord pourvoir à un éclairage de secours et de fortune. Dans l’immédiat, on alluma des feux avec les débris de bois qui jonchaient le sol. Si on ne pouvait plus rien faire pour les personnes écrasées dans la queue du train, il y avait de nombreux blessés, certains très gravement, dans le reste des convois. Un tel choc n’est pas subi de manière innocente par les passagers. Certains sont projetés dans tous les sens et se heurtent aux parois, au sièges des wagons, ou projetés à terre. Des objets, des valises, sont autant de projectiles qui peuvent blesser de manière sérieuse.

Un témoin raconte : « de la queue du train montaient des hurlements comme je ne pensais pas qu’il put en sortir de gosiers humains ».

On s’organise tant bien que mal dans le froid, la températures est -5 degrés. L’état de choc additionné de froid glacial fait aussi des victimes ou aggrave l’état des blessés. Des secouristes, certains improvisés, font ce qu’ils peuvent. On mobilise toutes les ambulances possibles, des trains ramènent des blessés sur Paris dont certains meurent pendant le voyage. La salle des bagages de la gare de l’Est sert d’entrepôt aux cercueils. L’endroit devint un point de ralliement pour les curieux, mais surtout pour les familles qui pouvaient penser qu’un des leurs figurait parmi les victimes. Un important service d’ordre faisait le tri aux entrées.

Au petit jour, on put se faire une idée plus précise de l’immense étendue des dégâts. On estima tout d’abord le nombre de morts à un centaine faute de renseignements plus précis. Mais au fil des heures, le bilan s’alourdit pour s’arrêter au chiffre officiel de 214 morts et plus de 300 blessés.

Dès le lendemain la presse se fit l’écho du drame, d’abord de manière succincte, puis de manière plus précise et on en vint ensuite à rechercher les causes du drame, d’autant plus que des politiciens connus étaient parmi les victimes ou les blessés. Cela peut aider à y voir plus clair et plus rapidement.

Dans le Figaro du 24 décembre, on mentionne l’accident de manière résumée, on ne connait que les gros détails. Selon les journaux, on annone tel ou tel nombre de victimes. Mais tous s’accordent à admettre qu’il y a au moins une centaine de morts.

Le lendemain, jour de Noêl, le Figaro fait un récit plus détaillé du drame sur plusieurs pages. On commence à se poser quelques questions sur les causes. Même un an après, lors du procès, on avait toujours des doutes. J’ai choisi les plus significatifs.

 

 

 

Dans L’Humanité le ton est bien évidemment différent. On met le doigt là ou ça fait mal, il n’est pas inutile de se poser les questions autrement. Que tout aie bien fonctionné ou pas, il y a un une certitude, il y a plus de 200 morts. Une partie des articles porte la plume de Louis Aragon, qui ne fut pas qu’écrivain ou poète, mais aussi journaliste.

Il apparut très vite que la signalisation était la clé de l’accident, avait-elle ou n’avait-elle pas fonctionné correctement, toute la question était résumé dans ces quelques mots. Les conditions atmosphériques, mauvaises mais pas extrêmes, furent longtemps discutées. Il fallut quant même envisager que la commande de fermeture mécanique des signaux avait pu être bloquée par le gel. De même, les crocodiles recouverts d’au moins 3 centimètres de glace avait pu empêcher le courant déclenchant l’avertissement de ne pas passer correctement ou pas du tout. Un fait certain qui met la compagnie ferroviaire en cause est que la technique dite du « pétrolage » qui évitait la formation de glace sur le crocodile avait été abandonnée à titre d’essai.

Une année plus tard, lors du procès, la compagnie essaya de se blanchir en affirmant que tout était en ordre et avait fonctionné correctement, que le mécanicien de la locomotive du 25, toujours vivant, était le seul responsable. De nombreux témoins à décharge affirmèrent au contraire que la probabilité d’un mauvais fonctionnement était envisageable. Un ingénieur de la compagnie dut reconnaître que ce jour-là les crocodiles éraient recouverts de glace, ce qui empêchait le passage du courant. De plus, la boîte témoin de l’envoi du signal d’avertissement n’avait rien enregistré.

Le procureur fut assez impartial dans son réquisitoire, il fit part de sa conviction intime que les signaux étaient fermés, il proposa une condamnation avec les plus larges circonstance atténuantes tout en affirmant que s’il y avait un doute, si minime soit-il pour les jurés, celui-ci devait profiter à l’accusé.  Le jugement alla dans le sens du procureur, admettant qu’il y avait effectivement un doute sur le fonctionnement de la signalisation. Le mécanicien fut acquitté. Personne ne fut réellement mis en cause du côté de la compagnie, du mois de manière officielle.

Comme toujours, on fit des belles promesses sur la sécurité et on promit de l’améliorer. Cependant ce n’est que trente ans plus tard, que les fameux wagons en bois si fragiles en cas de choc, furent enfin définitivement mis à la casse.

Souces Gallica, BNF, DP

8 réflexions sur “Bas nylon et Noël en catastrophe

  1. Bonjour à vous…

    Toujours la même incompétence dans la gestion… On ne tire jamais de leçons des évènements. Et pourtant… L’Histoire est un éternel recommencement .
    Comme le dit le proverbe: « Passée la fête, oublié le Saint ». Triste réalité.
    Je me souviens du récit d’une catastrophe survenue dans une houillère du Pas-de-Calais vers fin 19è. siècle et relaté dans un livre ( « les grandes catastrophes » en 4 volumes – Editions François Beauval – 1976). En résumé:
    Un éboulement avait isolé des ouvriers qui travaillaient dans une galerie de charbon et malgré maints efforts, ils n’avaient pu être dégagés.
    Par négligence et soucis d’économie (et de gains !), les équipes disposaient d’aucun masque pour respirer sous terre en cas de problèmes.
    Après maintes tergiversations, la Direction consentit enfin à faire appel à une compagnie de mineurs de Westphalie qui, elle, était équipée du matériel adéquat et pu enfin après deux ou trois jours parvenir dans la « poche » où s’étaient réfugiés les infortunés mineurs. Les pauvres hommes en furent réduits à boire leur propre urine pour ne pas succomber à la soif. Malheureusement, la Compagnie déplora quelques victimes.
    Après ce drame, les équipes furent mieux équipées qu’auparavant…
    Triste constat.
    Bonne journée. Peter Pan.

    • Hello Peter,

      Je pense que vous faites allusion au drame de la mine de Courrières en 1906. Il existe un film allemand de 1931 réalisé par GW Pabst, qui j’ai vu il y a très longtemps mais dont je me souviens encore, et qui retrace cette histoire.

      Bonne soirée

  2. Bonsoir Mr Boss,

    Je n’ai pas vérifié mes sources mais il me semble que vous êtes dans le vrai.
    Dans un contexte social tendu à l’époque, il y avait eu le drame de Fourmies en Flandre française fin 19è. siècle. Et comment ne pas évoquer le roman « Germinal » de Zola…
    En revanche, je ne connais pas le film de Pabst de 1931. Merci pour cette information. Pabst fut-il un metteur en scène qui a travaillé avec Lang ou Murnau avant-guerre ?
    Bonne fin de soirée.
    Peter Pan.

    • Hello Peter,

      Pabst fut surtout un réalisateur et aussi un peu comédien. Il n’a pas laissé un souvenir aussi fort que Lang ou Murnau, mais juste quelques films intéressants. C’est un des premiers viennent en suite. Il fut aussi celui qui révéla Greta Garbo.

      Bonne soirée

  3. Bonsoir Mr Boss,

    Ah la mystérieuse Greta Garbo qui fut surnommée  » la Divine ».
    Une personnalité que je rapprocherais de Marlène Dietrich.
    Enfin ,c’est mon humble avis. Rires.
    Bon WE. Peter Pan.

    • Hello Peter,

      Oui il y a du vrai, mais je pense que Dietrich était plus sensuelle, du moins c’est mes goûts et j’ai aussi vu beaucoup plus de films avec elle. Mais Garbo a aussi tourné à une époque où le cinéma était plus pudibond et les rôles de Dietrich furent quand même plus légers dans pas mal de films.

      Bonne semaine

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