Bas nylon et un roc sur un rocher

 

Un roc sur le rocher

Parmi les gens de noble ascendance et régnant sur un territoire, on trouve assez souvent des hommes d’affaires, des militaires, des politiciens, rarement des esprits éclairés. Il y a cependant quelques notables exceptions. Même en allant un peu plus loin, on peut affirmer que certains considèrent régner comme une véritable corvée. Ce fut assurément le cas d’Albert 1er, dit le Prince savant, prince de Monaco de 1889 à 1922.

Ce rocher qui baigne dans une mer aux reflets d’argent, un des beaux double-sens sur Monaco

Monaco au 18ème siècle

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, la principauté prit un essor considérable. A comparer à ce qu’elle est aujourd’hui, elle faisait vraiment figure misérable par rapport à d’autres territoires gouvernés par un souverain. L’année 1848 amena un bouleversement qui remania passablement la carte de l’Europe. Peu de gens le savent maintenant, mais le territoire de Monaco s’étendait alors jusqu’à Menton. Suite à l’imposition d’une taxe par Florestan 1er, sur les agrumes, citrons et oliviers, les producteurs déclarèrent la sécession avec Monaco et se mirent sous la protection du royaume de Sardaigne. La principauté perdit ainsi sa principale source de revenu et 90% de son territoire.

En 1856, Charles III devient le souverain et recherche les moyens de relancer l’économie de Monaco.

Ce n’est pas facile, l’endroit est complètement isolé, pratiquement désert, et entouré de territoires qui lui sont en principe hostiles. Heureusement, sa mère Caroline devient à partir de ce moment-là plutôt une bonne visionnaire. Ce sera même la naissance d’une complicité qui ne prendra fin qu’à sa mort en 1879. L’idée principale est d’ouvrir un casino et des maisons de jeu. L’idée est bonne, car en France et en Italie les casinos sont interdits. Le premier est ouvert en 1857, mais ferme aussitôt par manque de clients. Le principal problème sont les voies d’accès. Il n’existe que des sentiers pour y accéder, on tente de créer un service de bateaux, mais c’est insuffisant.

En 1860, les territoires perdus, Roquebrune, Menton, votent leur rattachement à La France. D’une certaine manière, ils peuvent encore moralement appartenir à Monaco, mais les choses s’arrangent après quelques prises de becs. Un traité franco-monégasque accorde la souveraineté à Monaco sous la forme de son territoire actuel et quelques millions de francs de dotation. On en profite également pour demander que la principauté soit reliée par chemin de fer au reste du monde, ce qui sera fait.

En 1863, Charles III fait rouvrir le casino et crée la Société des bains de mer, qui existe encore aujourd’hui, et la confie à François Blanc, redoutable homme d’affaires et spécialiste des jeux.

Monaco vers 1900

Le succès est presque immédiat, on aménage le territoire avec le but d’attirer une clientèle fortunée, hôtels luxueux, concerts, spectacles, plages, ports, et aussi pour profiter du climat assez exceptionnel de l’endroit, l’un de ses meilleurs atouts. En 1866, en hommage au souverain, on nomme le quartier du casino du nom de Monte Carlo, nom qui deviendra une sorte d’indicatif de Monaco. On accourt de tous les coins de l’Europe, c’est l’endroit qu’il faut voir pour être vu, chose qui ne s’est pas encore démentie aujourd’hui.

Monaco, le casino et le port à la Belle Epoque

Si les affaires de Monaco reprennent, elles suscitent certainement quelques jalousies. Les mauvaises langues voient volontiers l’endroit comme un lieu de débauche et de perdition. Un peu dans le style des bulletins météo, on compte les suicides et les revers de fortune qui s’étalent dans la presse, surtout celle qui est publiée très loin de la principauté. Soyons justes, personne n’est amené dans les salles de jeux sous la menace d’un revolver, on s’y précipite même et ceux qui perdent des millions en une soirée, ne le font pas sur un emprunt à la banque. Le jeu a toujours existé, très souvent clandestinement, et là on peut se consoler en le perdant sans enfreindre aucune loi. Parler de morale quand on incite à perdre de l’argent qui n’est pas toujours gagné avec le vertu reste une situation assez cocasse.

Lors de son décès en 1889, les journaux étant emplis de faux-culs, on fait l’éloge de ce prince. Il n’est plus question de roulette et et de suicides. Il fut comme tous les autres, un homme remarquable.

 

Et Albert 1er dans tout cela?

Eh bien il est né en 1848, il est le fils de Charles III. Comme tous les fils de bonne famille, il fait de solides études. Selon la tradition d’alors qui veut que les fils de noble famille passent dans les rangs de l’armée, il effectue son service militaire dans l’armée espagnole, puis dans la marine de guerre française pendant la guerre de 1870.

A vrai dire, il est peu conscient de son rang de probable futur prince. Sa passion est ailleurs, il a un esprit scientifique, curieux de tout et avide de savoir. Même s’il se marie une première fois avec Mary Victoria Hamilton, une cousine de Napoleon III, dont il a un fils Louis (le père de Rainier III), il ne s’intéresse pas vraiment à la vie de famille et même semble oublier qu’il est père de famille. Il divorcera en 1880, mais se remariera avec Alice Heine, parente du poète allemand. Pas plus que lors de son premier mariage, il ne sera très complice avec son épouse.

Comme dit précédemment, sa véritable passion est la recherche scientifique. A partir de 1870, il se passionne pour l’océanographie, la paléontologie, la géographie et devient un véritable marin et un explorateur. Comme il n’est pas dans le besoin, il finance diverses expéditions entouré de scientifiques avisés, sur des navires spécialement dédiés qu’il fait construire. Il fera 28 campagnes.

Lors d’une expédition

Durant ses explorations, il découvre de nouvelles espèces de poissons, fait un inventaire de la flore de la méditerranée et établit une cartographie du Svalbard, un archipel norvégien situé dans l’océan Arctique, qui font encore référence aujourd’hui. Il soupçonna l’existence de créatures abyssales inconnues, en examinant les contenus des estomacs des créatures  pêchées Un des membres de son équipe, Charles Richet, est aussi à l’origine de la découverte de l’anaphylaxie, un aspect de l’immunité du corps humain face à certaines maladies de type allergique. Cette découverte lui valut le prix Nobel de la médecine en 1913.

Même s’il ne fut pas un scientifique a qui l’on peut attribuer une découverte comme la pénicilline, il joua sa meilleure carte, celle d’en assurer la pérennité pour les générations futures.

 

En 1889, année de son accession au pouvoir, il fonde l’institut océanographique de Monaco et à sa suite le musée du même nom qui existe toujours à Monaco et qui sera ouvert en 1910. Lors du discours d’inauguration il prononça sa belle phrase : « Ici, messieurs, vous le voyez, la terre monégasque a fait surgir un temple fier et inviolable dédié à la divinité nouvelle qui règne sur les intelligences. »

En 1906, il crée la fondation Albert 1er afin que sa  tâche se perpétue.

Il fonde aussi à Paris en 1910, en lien avec une seconde fondation Albert 1er et découlant de son intérêt pour la paléontologie, l’institut de paléontologie humaine.

Il fut aussi membre de diverses sociétés à but scientifique.

Dans un tout autre domaine, il crée en 1911, le Rallye de Monte-Carlo et fut un grand collectionneur de timbres. Sa collection et celle de son fils permirent plus tard la création du Musée des Timbres et des Monnaies de Monaco.

Rallye de Monte-Carlo en 1912 et Grand Prix en 1932

Politiquement son rôle dans la principauté est moins connu à l’extérieur. Il eut aussi à faire face à une fronde qui aboutit en 1911 à une refonte politique qui dota le pays d’une constitution qui est encore en vigueur aujourd’hui après quelques remaniements.

Le phénomène est bien connu. L’afflux d’argent dans la principauté fut la cause d’une inflation galopante. Même si les citoyens monégasques ne paient plus d’impôts depuis 1869, ils ne sont en réalité qu’un douzième de la population résidente et ne profitent guère de l’argent qui roule dans les casinos, ni des emplois qu’ils peuvent procurer.  La Société des bains de mer notamment, a recours à du personnel extérieur. L’anisette se paye au prix fort dans les bistrots et de plus, ils ont en principe l’interdiction absolue d’aller jouer au casino, règlement encore en vigueur.  Albert 1er, même s’il est un prince plutôt débonnaire, n’a pas toujours une vision très réelle de la situation et place des gouverneurs chargés de la gestion courante, qui ne font de loin pas l’unanimité et qui prennent parfois les citoyens de haut. Il semble ignorer ou fait semblant, que le principauté fait l’objet d’attaques constantes de pratiquement l’Europe entière, qui la considère comme un endroit de perdition. Il y a sans doute une part de jalousie dans la réussite de ce petit état. Et ce n’est pas les têtes couronnées et les riches voyageurs qui affluent pour y séjourner, qui militeront pour un changement. Charbonnier est maître chez soi.

En 1910, lors d’une exposition sur les bateaux

Suite à des mouvements d’humeur de plus en plus virulents, la principauté qui est alors une des deux seules monarchies absolues de l’Europe, l’autre étant la Russie, décrète une constitution en 1911, qui donne plus de privilèges aux véritables citoyens de Monaco. C’est encore la cas maintenant avec quelques changements au cours des ans.

Sur un plan plus international, il fut un ardent défenseur du pacifisme et créa un institut pour la défense de la paix en 1903, au rayonnement assez limité. Il tenta sans résultat de convaincre Guillaume II de ne pas déclencher la première guerre mondiale. A son éclatement, il déclara la principauté neutre, sauf pour une aide aux malades et aux blessés.

Il meurt en 1923, à l’age de 73 ans, succédé par sons fils Louis II. En hommage, les îles Kerguelen sont rebaptisées les îles du Prince de Monaco. Son arrière-petit-fils Albert II, actuel souverain de Monaco, est celui qui semble le plus attaché à perpétuer l’oeuvre de son ancêtre, en y ajoutant un côté glamour. 

Il reste un ces étranges personnages qui traversent parfois l’histoire, animé par une passion pour laquelle sa venue au monde ne le prédestinait pas, il en décida autrement. Dans l’interminable suite des souverains qui présidèrent à la destinée de ce petit pays, il occupe une place à part et pour le moins attachante.

 Sources : Galica, BNF, DP