Bas nylons et toujours un petit caporal

 

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Pendant son séjour en prison apparaît un autre personnage jusque-là dans l’ombre, Rudolf Hess. Sorte de secrétaire pour Hitler, il a aussi participé au complot et est aussi condamné. Chose assez rare dans l’entourage d’Hitler, c’est un homme plutôt cultivé, en plus de l’allemand il parle le français, l’anglais et un peu d’arabe étant né en Egypte. Il aidera à la rédaction de fameux « Mein Kampf » (mom combat), qui sera le livre de chevet des nazis. Contrairement à Röhm, il n’a aucune ambition personnelle, sauf celle d’être un fidèle serviteur. Il sera plus tard le numéro trois du régime, derrière Göring. Ce dernier était aussi présent lors du putsch, il commandait en fait les SA, Röhm en tant que soldat en était le chef d’état-major, un théoricien contre un praticien. Göring échappa à la prison en s’enfuyant en Autriche, en Italie, et finalement en Suède, sa femme est une Suédoise. En 1927, il est de retour et renoue avec Hitler de manière plutôt discrète. Il lui faudra patienter avec de se trouver assis à la droite du père.

Il manque encore un personnage dont l’influence va devenir prépondérante et de plus en plus redoutable, celle de Heinrich Himmler. Il était présent lors du putsch, mais n’a joué qu’un rôle secondaire, celui de porte-drapeau. Il échappe à toute poursuite, en partie à cause de son jeune âge. Son activité dans le parti sera longtemps subordonnée à celle de Röhm. Ce sera un des plus fanatiques serviteurs de la cause hitlérienne, bien qu’il ne fera jamais partie des intimes d’Hitler.

Himmler à gauche et Hess à droite

La suite du putsch sera une période assez sombre pour Hitler. Sa condamnation ne sera pas le seul élément qui lui mettra les bâtons dans les roues. Il est menacé d’expulsion vers l’Autriche, car il a toujours cette nationalité. Mais l’Autriche refuse l’accueillir, ce qui oblige l’Allemagne à le garder, d’autant plus qu’il a été soldat pour son compte. Il est aussi interdit de parole en public dans plusieurs endroits jusqu’en 1927. D’autre part, le parti va un peu dans tous les sens, des dissensions se font sentir. Elles amèneront Hitler a réorganiser les bases.

Un des plus important remaniement sera l’apparition de la SS (Schutzstaffel – escadron de protection), qui est subordonnée aux SA. Hitler veut un groupe discipliné, ce qui n’est pas le cas des SA, trop prompte a faire le coup avec n’importe qui pourvu qu’il soit d’un autre bord politique. Hitler sent bien que s’il veut conquérir le pouvoir, il devra y aller en souplesse, du moins dans un premier temps. Il confie la direction de cette troupe, alors toute petite, à Himmler. Elle devient une garde rapprochée de Hitler avant de devenir une troupe d’élite, sans doute la plus prestigieuse mais aussi la plus redoutable du nazisme. Elle est incluse dans les SA, Röhm en est le chef, mais elle prête allégeance uniquement à Hitler. Röhm sentant un peu le vent tourner part en Bolivie en 1928. Il deviendra instructeur dans l’armée.

Il reste encore à Hitler à « faire le ménage » dans le parti. Il veut en être le chef suprême, le Fuhrer. Il s’y emploie en mettant en place tout un cérémonial dans lequel chacun fait allégeance à la personne du chef. Dès 1926, il est le seul et unique dirigeant, maintenant il peut partir à la conquête du pouvoir. Lors des élections de 1928, il n’a obtenu que 2,62 % des voix, ce qui le laisse loin derrière, mais il est seulement en train de tisser le début de sa toile.

Lors de la crise de 1929, l’Allemagne n’a pas vraiment de grande tradition démocratique à revendique, malgré la république de Weimar instaurée après la guerre. La nostalgie des grandes années plane encore dans l’esprit de certains, pour eux la démocratie est une chose peu faite pour le pays. Dirigée par le maréchal Hindenburg, élu en 1925, il n’a pas trop le sang démocrate qui coule dans ses veines et le pays n’a pas trouvé en l’homme fort idéal malgré sa popularité.

Hitler est tapi dans l’ombre, il va profiter de la crise et intensifier sa propagande. Tout le monde s’agite et lui plus encore que les autres. Chacun veut apporter des solutions, mais sans réussir à agir de manière visible. Hitler va le faire de manière plus perceptible, en partie grâce à ses talents d’orateur et une efficace propagande régie par un vieux du parti encore dans l’ombre, Joseph Goebbels. Ce dernier considère à juste titre que la politique est un spectacle qui doit avoir sa mise en scène propre. Par la suite, il fera tout pour qu’il en soit ainsi. On assistera à des shows qui seront réglés comme des opéras, le Fuhrer en étant la vedette hissée au rang de dieu. C’est encore aujourd’hui un rituel qui arrive à fasciner certains.  

En 1930, Hitler peut constater que sa vision qui doit le conduire au pouvoir est juste. Son parti obtient 18,3 % des voix et en fait le deuxième parti au Reichstag. Cette fois il a une tribune pour se faire entendre. Il n’est certes pas encore au sommet, mais il enfonce le clou vis à vis des autres et leur impuissance à faire bouger les choses. Les partis de droite peinent et les communistes s’accrochent à une idéologie qui n’a pas l’air de faire le bonheur des Russes sous Staline, on ne manquera pas de le leur faire observer. Souvent dans les séances du Reichstag, les nazis ne manquent jamais une occasion de ridiculiser les autres. Hitler rappelle Röhm en Bolivie pour lui faire reprendre la tête des SA, qui comptera 400 000 hommes en 1932, donc ce n’est pas juste une bande de joyeux lurons, mais bien une armée. Le rappel de son copain est dictée par l’opportunisme, nul ne sait à ce moment là faire marcher une armée au pas aussi bien que lui et il est toujours extrêmement populaire dans l’opinion publique. A cette époque, il est le réel no 2 du régime dans sa visibilité. Tout le monde, y compris ses ennemis, le reconnaissent si d’aventure il apparaît à quelque part.

Première grosse victoire électorale pour Hitler, septembre 1930 dans Le Petit Parisien.

En 1932, ce sont les élections à la présidence. Dans un premier temps les partis de droite proposent la réélection tacite de Hindenburg, ce que les nazis refusent. L’organisation d’un scrutin devient nécessaire. Hitler bien évidemment se présente, mais il a quand même un problème, il est Autrichien ! Par un petit tour de magie politicarde, il devient citoyen allemand. Bien qu’il totalise plus de 13 millions de voix, il est quand même battu par Hindenburg. Un peu plus tard aux élections législatives, les nazis deviennent le premier parti au Reichstag avec 37,3 % des voix, Goering en devient le président.

Elections présidentielles, mars 1932 selon Le Figaro. On remarquera la troisième position de Ernst Thaelmann, représentant le parti communiste, il fait un assez beau score. Trop aligné sur Moscou, il provoqua une dissidence chez les communistes allemands faisant ainsi sombrer la principale force qui pouvait contrer les nazis. Entre une dictature fasciste et communiste, il fallait faire un choix, mais le pire n’a pas été évité. Thaelmann sera arrêté en 1933 et mourut au camp de Buchenwald en 1944.

A partir de là tout est possible, mais il y a encore à faire. Comme dans toute les partis qui arrivent au pouvoir avec de belles promesses et une majorité, on constate assez vite qu’il y a loin de la coupe aux lèvres et le parti connaît une baisse de popularité. Hitler en fait les frais le premier et il doit adapter son discours, parfois avec la plus belle hypocrisie. Il veut être élu chancelier, ce que Hindenburg qui le considère comme « un petit caporal autrichien », refuse avec plus ou moins de vigueur. De plus, les SA menacent d’organiser un soulèvement, ce dont Hitler ne veut à aucun prix.

Finalement, le 30 janvier  1933, il est élu chancelier à la suite de quelques manoeuvres et pressions politiques, mais il n’est pas un élu du peuple, par le peuple, dont une partie ne lui accorde pas forcément sa sympathie. Mais le but est atteint, il est arrivé au pouvoir tout à fait légalement.

Une caricature assez gratinée dans L’Humanité, le quotidien français le plus virulent envers Hitler

La nomination du nouveau chancelier dans Le Figaro fin janvier 1933. Le journal n’est pas franchement enthousiasmé par la nouvelle. Hitler peut ainsi former son gouvernement qui ne contient pas encore les « stars » du nazisme, seul Goering est présent comme ministre sans portefeuille.

Le seul obstacle encore présent reste Hindenburg, le vrai chef en apparence c’est lui, bien que souvent les historiens ne lui accordent qu’un rôle passif, il a 85 ans. Il dirigera le pays en théorie jusqu’à sa mort le 2 août 1934. Mais dans l’ombre Hitler va commencer ses petites intrigues, d’une part destinées à mettre l’Allemagne au pas, et de l’autre asseoir son rôle de guide. Il organise les SA et les SS en milices de police, pas forcément dans le but de faire respecter les lois, mais d’en instaurer des autres bien plus arbitraires et qui concernent plus spécialement les adversaire politiques, on ne parle pas encore de religion.

Un premier aperçu des nouvelles méthodes fut l’incendie du Reichstag, le 27 février 1933. On ne sait pas encore avec certitude qui furent le ou les pyromanes. Soit ce fut les nazis eux-mêmes ou un communiste d’origine hollandaise. Bien évidemment les nazis accusèrent les milieux communistes d’en être les instigateurs. Vrai ou faux, ils récupérèrent l’événement à leur avantage et en profitèrent pour supprimer plus de libertés, la dictature avance à pas de plus en plus grands.  Le 5 mars 1933, les parti nazi remporte les élections sans avoir fait le plein des voix. Les jours suivants, les nazis s’emparent par la force de tous les poste clés à travers l’Allemagne, il n’y a plus vraiment d’opposition. Hitler s’accorde les pleins pouvoir à l’unanimité de sa propre voix. Il n’est plus tenu de respecter les lois de la république de Weimar, il se donne carte blanche pour ses sinistres ambitions.

L’incendie selon Le Figaro.

Il y a toutefois encore un obstacle pour accéder à la liberté totale, ce sont les SA. Comme nous l’avons vu, Hitler a eu comme force d’appui pour conquérir le pouvoir, les SA et les SS. Les premiers sont une armée du peuple, c’est à dire q’elle est surtout composée de petites gens venus de tous les horizons, dont certains tentent de se donner un semblant de pouvoir. Ils sont peu disciplinés, bagarreurs, le gosier en pente, et font plutôt régner la terreur plus que l’ordre. En 1934, ils sont plus de deux millions, avec Röhm a leur tête, c’est assez considérable comme effectif. Les SS c’est le contraire, bien moins nombreux à cette époque, c’est une troupe d’élite avec de strictes conditions pour en faire partie, avoir des idées humanistes n’est pas le critère prépondérant. La discipline, contrairement aux SA, y est de fer. Mais celui qui en fait partie en est fier, ils deviendront un état dans l’état qui sera sera craint de tous, c’est aussi une machine à tuer sans distinction.

Tout dévoués qu’il soient à leur grand chef, les jalousies des plus petits chefs ne sont pas absentes. Il y en a spécialement un qui n’est pas le bon camarade de Röhm, caché dans sonombre, c’est l’ambitieux Himmler qui veut faire passer ses SS devant les SA. A ce moment là, Röhm est un des seuls qui a vraiment un potentiel en hommes auxquels il peut éventuellement donner les ordres qui peuvent présenter un danger. On peut aussi imaginer qu’il pense jouer un rôle dans les hautes sphères, mais son image d’homme d’action ne parle pas en sa faveur.

Hitler ne doit pas en penser moins, et les SA représenter à ses yeux une cassure dans l’organisation de l’Allemagne. Il est donc décidé de se passer de ses services, non pas en le mettant en congé, mais en le faisant disparaître définitivement. Comme il fallait un semblant de légalité pour le faire, on monta un dossier de toutes pièces. Cette séquence d’histoire a un nom célèbre, digne d’un roman de série noire : la Nuit des Longs Couteaux.

La plupart des journaux au lendemain de l’événement parlent de la théorie du complot, on ne fait que répéter ce que la propagande veut bien laisser dire. Les recherches historiques généralement admises donnent une version un peu différente, c’est une histoire montée pour se débarrasser de Röhm par l’entourage d’Hitler, Röhm aurait été payé par la France pour écarter Hitler. Ce dernier s’il n’en est probablement pas l’instigateur, n’en était pas dupe pour autant. Il trouvait ces SA de plus en plus gênants et son chef un possible empêcheur de tourner en rond.

Voici ce qui s’est passé : 

Dans ans la nuit du 29 au 30 juin 1934, il lance les SS d’Heinrich Himmler, avec le soutien de l’armée, dans une opération d’envergure. De Berlin à Munich, plusieurs centaines de SA et d’opposants devront être arrêtés ou assassinés. Pour ce faire, Himmler et son adjoint direct, Reinhard Heydrich, chef du service de sécurité de la SS, fabriquent un dossier de fausses preuves prétendant que Röhm avait été payé douze millions de marks par la France pour renverser Hitler, dossier que les principaux dirigeants de la SS découvrent le 24 juin, ce qui fonde l’accusation contre Röhm suspecté de fomenter un complot contre le gouvernement (le Röhm-Putsch).

Le 30 juin à h 30, Hitler arrive à la pension Hanselbauer à Bad Wiessee où le gratin des SA avaient l’habitude de séjourner ensemble pour leurs vacances. Pistolet au poing, il entre en trombe dans la chambre de Röhm, le traite de traître et le déclare en état d’arrestation, Hitler, le pistolet toujours au poing, poursuit sa course et cogne contre la porte d’une chambre voisine : il y découvre le chef de la SA de Breslau, Edmund Heines, qui a manifestement passé la nuit avec un membre de la SA de dix ans son cadet.

Röhm est brièvement emprisonné à la prison de Stadelheim à Munich, Hitler hésitait sur le sort à lui réserver, notamment compte tenu des services rendus par Röhm au mouvement nazi. Röhm ne peut pas être retenu en détention indéfiniment, ni exilé. Un procès public rendrait inévitable un examen minutieux de la purge, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. Sous la pression de Göring, Himmler et Heydrich, Hitler ajoute le nom de Röhm à la liste des personnes à exécuter, sur laquelle il ne figurait pas

Le 2 juillet, à la demande de Hitler, Theodor Eicke et Michel Lippert rendent visite à Röhm dans sa cellule. Ils lui remettent un pistolet chargé d’une seule balle et la dernière édition du Völkischer Beobachter qui parle de sa « trahison » et lui expliquent qu’il a dix minutes pour se suicider, pour éviter une exécution. Röhm refuse et déclare que « si je dois être tué, laissez Adolf le faire lui-même ». Après le temps imparti, les tueurs reviennent dans la cellule de Röhm où ils le trouvent torse-nu dans un geste de bravade. Les derniers mots de Röhm sont « Mon Führer, mon Führer », auxquels Eicke répond par « Il fallait songer à tout cela un peu avant, maintenant il est un peu tard ». Lippert l’assassine à bout portant.

 

Officiellement, il fut exécuté pour homosexualité. Pour une grande majorité des Allemands, ce massacre renforce leur confiance dans le régime, et ils estiment alors que Hitler a sauvé l’Allemagne du chaos. Quand le fidèle serviteur est devenu inutile, il cède la place à l’ambition sans partage.

Nous avons vu à travers ces faits historiques comment un dictateur arrive à ses fins et se sert des idiots qui l’aident en espérant un monde meilleur. Comme je vous le disais en préambule, il faut prendre garde de tout ce qui peut déstabiliser une démocratie. C’est souvent dans les époques troublées que des petits malins se glissent dans les allées du pouvoir pour essayer de modeler le monde à leur façon. Rien n’est jamais acquis, tout peut se changer en un coup de baguette magique. Pour cela, il faut qu’ils puissent se hisser au sommet de la pyramide. Et dans une démocratie, c’est vous, c’est moi, qui décidons dans la mesure de nos possibilités, alors attention…

Un citation du Marquis de Sade, qui avait des considérations philosophiques assez pertinentes.

Les tyrans ne naissent pas de l’anarchie, vous les verrez apparaître seulement derrière l’écran des lois.