Bas nylons et des femmes avec des fusils

Nous allons parler dans le post de deux femmes qui devinrent célèbres à l’époque de la Conquête de l’Ouest. L’une est plus célèbre que l’autre, mais l’autre a certainement une légende qui est plus proche de la réalité. Commençons par la plus célèbre, Calamity Jane…

La personne a réellement existé, mais entre légendes et vérités, le chemin est parfois difficile à parcourir sans tomber dans les pièges du sensationnel. Ce qui est sûr c’est qu’elle est née Martha Jane Canary, en 1850, 1852 ou 1856 dans le Missouri, vous voyez ça commence bien. Elle semble être l’ainée d’une famille qui comptait probablement six enfants. L’intention du père de famille était de relier Salt Lake City, la ville des mormons, étant lui-même un adapte de cette religion ou joueur et ivrogne invétéré, fuyant les dettes selon certaines sources. Il semble avoir disparu vers 1867 et la mère serait morte pendant le voyage en 1866.  A partir de là, la légende semble commencer…

De cette légende on peut sans trop se tromper tirer quelques certitudes. La première, c’est qu’elle sera célèbre de son vivant, du moins dans ce qui représente les états centraux américains, notamment le Dakota du Sud. Elle aime bien s’habiller en homme, chose qui n’est pas tout à fait en odeur de sainteté au Far-West. Mais sur les nombreuses photos qui existent d’elle, on peut la voir aussi habillée en femme, et ma foi dans ses jeunes années elle n’est pas si mal foutue que cela. Il paraît qu’elle avait des jambes sublimes. Ce qui est certain aussi, c’est qu’elle monte à cheval à la perfection et sait parfaitement manier les armes à feu. Elle manie tout aussi bien la bouteille et devient ce que l’on peut appeler une alcoolique, elle abrégera sa vie en partie à cause de cela. Elle exercera plusieurs métiers, enfin disons qu’elle aura des occupations plutôt masculines, cherchera même à se faire enrôler dans l’armée. Elle y réussit mais pas comme soldat, plutôt dans des missions d’éclaireur ou de courrier. C’est sûr, elle n’a pas froid aux yeux, et les missions périlleuses ne lui font pas peur. Elle semble aussi avoir les Indiens en horreur, mais dans le contexte de l’époque ces derniers sont surtout  de farouches guerriers qui défendent leur terres. L’origine de son surnom est plus tendancieux, il lui aurait été donné en plaisantant par une capitaine de l’armée à qui elle aurait sauvé la vie, ou alors par son penchant à faire les choses de travers plus spécialement quand elle avait un verre de trop. Quoi qu’il en soit, ce surnom l’accompagnera jusqu’à la fin de ses jours. Par contre, il semblerait qu’elle ne se soit jamais servi de son arme autrement que pour se défendre, notamment au cours de ses missions dans lesquelles tout le monde n’avait pas envie de lui donner des bouquets de fleurs.  Elle doit une partie de sa gloire pour avoir fréquenté des célébrités de l’époque comme le général Custer, Buffalo Bill, le fameux Wild Bill Hickok, dont il n’est pas impossible qu’elle en fut éperdument amoureuse. Par la suite, elle s’attribuera la naissance d’une fille qu’elle aurait eue avec lui, mais il est plus probable que ce soit un officier de l’armée qui en soit le père. Car sentimentalement elle n’est pas de marbre, de nombreuses liaisons ponctuent sa vie, et on lui connait au moins deux maris. Avec le premier elle aura un fils mort très jeune et une fille avec le second. Parfois son parcours semble se calmer pour un temps, on la retrouve comme cuisinière, accessoirement elle soigne des malades pendant les épidémies et semble s’être particulièrement dévouée dans ce domaine. Elle fut même bistrotière avec un de ses maris. Même si elle s’habillait parfois en homme, elle ne refusait pas de paraître avec des atours plus féminins et semblait tenir à une certaine coquetterie.

Une autre partie de sa célébrité, qui contribuera plutôt à faire tomber la vérité historique dans un pot de goudron fut l’apparition d’écrits qu’on lui attribua, ses mémoires, une brochure remplie d’imprécisions et de faits imaginaires parue en 1896,  et surtout ses « Lettres à ma fille » qui semblent être des faux, car il est quasi certain qu’elle était illettrée. Elles contribuèrent surtout à faire grandir une légende enveloppée dans du papier de soie. En 1941, une dame se faisant passer pour la fille qu’elle aurait eue avec Hickok, lit ces lettres dans une émission radiophonique. Calamity Jane aurait confiée cette fille à un riche anglais. Pour d’aucuns, ces lettre sont très  douteuses. et plus personne aujourd’hui ne leur prête foi. Malheureusement, elles contribuèrent à faire de la vie de Calamity Jane un roman dont on ne sait plus très bien où est la vérité.

Ce qui reste comme certitudes tient surtout au fait qu’elle a connu une vie à nul autre pareille et qu’elle fut sans doute une des premières femmes libérées des temps modernes. Comment l’imaginer en prostituée occasionnelle dans certains endroits dédiés, tout le contraire de la femme qui ne veut qu’une liberté librement choisie, comme elle choisira aussi ses amants selon son bon plaisir et sans contraintes. Je crois qu’il faut chercher de ce côté là, imaginer le chemin que l’on aurait choisi avec un idéal de liberté, un révolver à la ceinture, une carabine au bras, et une bouteille de whisky qui nous attend au saloon du coin, mélangé avec ce que l’on a de bon et de mauvais en soi.

La date de sa mort est connue, le 1er août 1903, âgée entre 47 et 51 ans. Quelques journaux locaux relatent son décès. Elle choisit de se faire enterrer à Deadwood, Dakota du Sud, là ou fut tué ce qui pourrait être son amour de toujours, Wild Bill Hickok. Elle repose à 3 mètres de lui dans le cimetière du Mount Moriah.

Une autre héroïne

La seconde femme qui va nous occuper dans la suite de notre narration est sans doute moins connue en Europe, mais en Amérique elle est au moins égale, sinon plus, en popularité. Sa personnalité est tout autre, elle fut plutôt une humble personne, vécut une grande histoire d’amour, la seule chose qu’elle pourrait avoir en commun avec Calamity Jane, elle se sont d’ailleurs rencontrées, c’est qu’elle savait encore mieux manier les armes à feu. Calamity Jane a fréquenté quelques célébrités, mais celle dont nous allons parler en a fréquenté bien plus et pas des moindres, des rois et des reines. Histoire qui commence par une retour sur l’Exposition universelle de Paris en 1887.

Une des attractions de l’Exposition fut la venue de William Frederick Cody, plus connu sous le nom de Buffalo Bill. En effet, il est à la tête d’un troupe ambulante gigantesque qui tente de reproduire avec force attractions, ce que fut la conquête de l’ouest américain. Il n’est pas étranger aux rêves que pourront susciter les histoires de cowboys et l’avènement du film western, pas plus qu’il ne l’est pour avoir forgé lui-même sa légende. Bref, le cinéma n’existe pas encore et l’on ignore ce qu’est réellement la vie en Amérique, on est prêt à tout avaler.

Voici une affiche d’époque qui étale en superlatifs tout ce que le show promet. Pour les plus humbles, le prix d’entrée est de 1 franc. En comparaison le prix d’un journal est de 20 centimes.

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Dans cette troupe, il y a une authentique légende, une femme du nom d’Annie Oakley, un petit bout de femme d’un peu plus de 1,50m, née en 1860 dans l’Ohio. Elle a une maestria absolument époustouflante au tir au fusil. Elle forgea son art dès l’âge de 9 ans pour nourrir sa famille, ils sont 8 et la mère est veuve. A cette époque, la chasse est pratiquement libre en Amérique, c’est dire qu’elle peut ferrailler à sa guise. A 16 ans, elle défie et bat un autre tireur d’élite, Frank Butler, qui a l’habitude de se produire dans les foires et défier les spectateurs. Beau perdant, il la drague et finit par l’épouser, elle n’a alors que 16 ans. Il s’effacera, deviendra son assistant et une sorte de manager tout au long de leur vie. C’est aussi une belle histoire d’amour, car son mari mourut de chagrin quelques jours après sa mort en 1926. Eh oui, les belles histoires d’amour existent aussi sous le ciel américain.

Avec un fusil elle est capable à 28 mètres de couper une carte en deux, dans le sens de l’épaisseur bien sûr. Elle toucha 4772 boules sur 5000 mille envoyées en l’air, ceci en neuf heures de temps, ce qui donne un tir toutes les 6 à 7 secondes. Elle est aussi capable d’enlever la cendre d’une cigarette que son mari tient à la bouche. Elle fit la même chose avec l’empereur d’Allemagne Guillaume II sur sa demande, elle le pria toutefois de tenir sa cigarette à la main. Elle pouvait aussi faire rebondir une carte à jouer lancée en l’air et lui faire cinq ou six trous avant qu’elle ne touche le sol. Elle est aussi capable de tirer de dos en regardant dans un miroir. Elle se produisit devant la reine Victoria.

Assez bizarrement, le Figaro ne s’attarde pas trop sur son cas, il mentionne juste son nom dans un article.

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Plus tard un autre journal de montre plus élogieux.

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Et encore un autre

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Cette photo fut probablement prise à Paris en 1889. Elle avait une tente sous laquelle elle signait volontiers des autographes et des dédicaces.

J’ai fait d’autres recherches pour essayer d’en savoir plus sur la dame. J’ai trouvé pas mal d’infos dont je vous en soumets quelques unes.

Elle a bien sûr été se balader sur la Tour Eiffel. Elle a pris l’ascenseur jusqu’au sommet. Elle y a acheté des souvenirs pour ses connaissances restées en Amérique. Elle a expédié une carte postale depuis là en date du 16 août (le show se produisait durant toute la durée de l’Exposition de début mai à fin octobre 1889).

Un fait intéressant qu’elle raconte dans ses mémoires, elle semble avoir tenu un journal, fut l’accueil du peuple parisien vis à vis du spectacle. Au début, il semblerait que cela fut plutôt froid. Les Parisiens n’avaient aucune idée de la vie américaine, s’imaginant sans doute à tort que la conquête de l’ouest s’est faite dans les salons. Quand elle arrivait sur scène, ils s’attendaient presque à trouver une dame en tenue de soirée avec une voilette et un fusil. Or ce n’était pas le cas, elle se produisait avec des costumes de scène qu’elle concevait elle-même, simples et sans aucune fioriture.  Mais laissons-là parler:

– Quand j’arrivais sur scène, l’accueil n’étais pas amical, ils étaient comme des icebergs. Ils pensaient on va voir ce que tu sais faire. Au fur et à mesure que je faisais mon show, l’ambiance se détendait, ils crient ah! bravo! (en français dans les texte), à la fin les dames jetaient les mouchoirs et les ombrelles sur la scène.

Les observateurs admettent que le spectacle de Buffalo Bill, à l’accueil assez mitigé et ne satisfaisant qu’à moitié les spectateurs parisiens, fut sauvé par la prestation de la tireuse.

La troupe parcourut ensuite l’Europe pendant trois ans, c’est ainsi que le couple séjourna comme touristes à Venise, à Rome, à Naples, en Allemagne, en Espagne.

Par la suite dans son pays elle devint une icône, la plus populaire du genre. Ses tenues vestimentaires étaient reprises par les demoiselles, elle se mit à écrire des pensées qui font encore référence aujourd’hui. Victime d’un accident de chemin de fer en 1901, elle subit 5 opérations, mais recouvra entièrement son habilité au tir. Elle quitta le show, mais continua de se produire à titre personnel, et ce pratiquement jusqu’à sa mort à 66 ans, sans pour autant trembler des mains et rater sa cible.

Quelques faits sur sa vie et illustrations.

Lors de son séjour à Paris, la poudre étant monopole d’état et ne satisfaisant pas à ses besoins, elle fabriqua elle-même de la poudre que l’on pourrait qualifier de contrebande.

Au sommet de sa gloire, elle gagnait 150$ par semaine, alors qu’un ouvrier n’en gagnait pas 500 par an.

Elle collectionnait les autographes, elle en a récolté de fameux.

Aujourd’hui, son autographe certifié authentique, peut valoir plusieurs milliers de dollars.

Elle s’occupa financièrement d’élever 18 orphelins.

Les 200 premiers dollars qu’elle gagna, elle les donna à sa mère pour finir de payer sa ferme.

Le fameux compositeur Irving Berlin composa un show pour Broadway, « Annie Get Your Gun ».

Elle fut adoptée symboliquement par le chef sioux Sitting Bull, celui qui battit les troupes américaines à la bataille de Little Big Horn. Il la surnomma Little Sure Shot (petit coup sûr).

Un article de presse mal renseigné la déclara morte, alors qu’elle était en tournée en Europe. Par la suite, très soucieuse de son image de marque, par ailleurs très droite et vertueuse, elle n’hésitait pas à attaquer en justice toute fausse information sur sa personne.

Le bled à côté d’où elle naquit dans l’Ohio s’appelle… Versailles. Une majorité de résidents d’origine française habitaient l’endroit et demandèrent en 1837 que le nom anglais soit abandonné, ce qui fut fait. Cela explique peut-être son prénom francisé. Un de ses frères s’appelait Daniel.

Son père et sa mère avaient 33 ans de différence d’âge, lorsqu’elle naquit son père avait 60 ans.

Malgré qu’elle aie passé la moitié de sa vie avec un fusil à la main, elle était unanimement considérée comme une personne affable, chaleureuse et très simple.

De nombreux films et séries tv s’inspirent de sa vie.

Voici un petit film qui vous en dira un peu plus

 

Pour conclure, l’Amérique était l’un de ces pays capable de fabriquer des héros et héroïnes avec presque rien. On y retrouve bien la fascination de ce peuple pour les armes, en posséder une est un signe de virilité ou de puissance, cela n’a pas beaucoup changé. Le cas de Annie Oakley n’échappe sans doute pas à cette fascination, bien qu’elle-même empoigna un fusil avant tout pour faire manger sa famille à un âge ou d’autres se passionnent pour les contes de fées. Ce fut sans doute ce hasard qui lui fit découvrir une sorte de sixième sens, presque diabolique, pour atteindre un cible à un endroit précis à une distance plus que respectable. Elle disait, sans doute un peu par plaisanterie, que si elle n’avait pas peur d’aimer un homme, elle n’avait pas non plus peur de le tuer. Elle milita tout au long de sa vie pour que les femmes soient reconnues comme l’équivalent de l’homme pour la possession d’une arme, ne serait-ce que pour se défendre. Elle fut pourtant tout le contraire d’une personne belliqueuse, aimable, abordable, respectueuse d’autrui, sachant se faire aimer, sont les qualificatifs qui reviennent sans cesse à son propos. Si avec un fusil elle était capable de damner le pion à un homme, elle n’en prit jamais l’aspect. Toujours en robe, sauf certaines scènes à cheval, elle assuma son rôle de femme jusqu’au bout, tout en vivant un beau roman d’amour avec son mari, un mariage qui ne semble n’avoir connu aucun nuage. Même spirituellement, elle semble avoir marché sur les traces de ses parents qui étaient des quakers, un mouvement d’obédience très pacifiste.

Aujourd’hui, l’Amérique reconnait en elle une héroïne incontournable et lui voue un véritable culte. Sa tombe est un lieu de pèlerinage toujours couru. Les visiteurs déposent des pièces de monnaie pour l’entretien de la tombe, et celle de son mari juste à côté, car elle n’a pas de descendance directe. Elle a choisi de se faire enterrer là ou retentirent ses premiers coups de fusils. Il ne fait pas de doute que certains résonnent encore aux oreilles des admirateurs de ce petit bout de femme…

Mais encore…

Un article qui prouve bien que les journaux peuvent raconter n’importe quoi. C’est daté du 31 décembre 1890 et publié dans Le Rappel. J’ai reproduit le texte car il parle assez bien d’Annie Oakley, mais le sujet de l’article et son information est à mettre dans les oubliettes. J’ai cepandant gardé le nom de l’auteur, en espérant qu’il se retourne dans sa tombe…

Souces, Gallica, BNF, DP

4 réflexions sur “Bas nylons et des femmes avec des fusils

  1. Bonjour M. Le Boss,
    Nettement moins historique, pour la petite histoire Calamity Jane est la quarante-quatrième histoire de la série Lucky Luke par Morris (dessin) et René Goscinny (scénario), donc une personne qui a marquée les esprits même dans la bande dessinée.
    Bon weekend
    oooldan

    • Hello Cooldan,

      Je l’ai bien sûr lu, Morris avait l’habitude de reprendre des personnage ayant vécus pour les mettre à sa sauce. Assez fantaisiste mais sympathique.
      Bonne semaine

  2. Bonsoir Messieurs…

    La vie n’est jamais tendre et il vaut mieux être armé moralement et matériellement , si on veut l’affronter.
    Le Nouveau Monde a exercé une grande fascination sur les peuples d’Europe et il a représenté une sorte d’ElDorado pour les plus pauvres d’entre eux.
    On peut saluer leur courage d’avoir combattu les peuples hostiles, la faune sauvage , les maladies et autres calamités. Et les femmes ont du se faire une place parmi tous les hommes et elles n’ont pas du avoir la part belle.
    Mais les Etats-Unis ont toujours innové en « pionnier  » dans beaucoup de domaines.
    Les femmes américaines ont été les premières à obtenir le droit de vote entre autre. Rappelons nous la lutte de Anglaises, au début du 20è. siècle qui furent ironiquement surnommées les « Suffragettes » par la presse anglo-saxonne.
    Quant à notre belle France, il faudra attendre l’ordonnance du Général De Gaulle de 1945 qui leur offre d’exprimer leur libre choix aux élections.
    Un combat de longue haleine et qui se prolonge encore de nos jours.
    Bon courage, Mesdames et Mesdemoiselles.
    Bon WE. Peter’

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