Il y a une chose à laquelle nul n’échappe, c’est la nourriture. Nécessaire à la survie, elle peut prendre des aspects bien différents d’une culture à l’autre. La majorité des gens qui ont accès à une belle variété d’aliments mélangent volontiers le plaisir au fait de se nourrir. Dans les pays d’expression latine, on trouve une cuisine aux innombrables recettes dont certaines confinent à un certain raffinement, pour ne pas dire snobisme. Pour autant ils ne sont pas les seuls, les Arabes ou les Chinois ont aussi leur gastronomie, certes avec des produits ou des manières de faire assez différentes des nôtres, mais qui n’en sont pas moins délicieuses, si on veut prendre la peine de les découvrir. Les échanges commerciaux ont amplifié la connaissance des autres cuisines, il n’est pas rare de trouver à Paris des restaurants où l’on peut faire le tour du monde en 80 plats. Le revers, c’est que l’on mange des choses qui ne sont pas exemptes de traficotages exercés par l’industrie alimentaire. Laissons de côté cette malbouffe, tenons-nous en à une nourriture du terroir qui existe heureusement encore, ce n’est d’ailleurs qu’un des aspects de cet article.
Si la nourriture est différente, les manières de manger sont aussi propres à certaines cultures. Vous connaissez tous notre manière de manger traditionnelle, la table, les couverts, on s’assied sur des chaises et l’on déguste. Dans d’autres civilisations, les tables peuvent être très basses, on s’assied alors sur des poufs ou carrément à même le sol. Vous connaissez tous les baguettes propres aux Chinois, et sans doute avez-vous une fois regardé les Arabes à table, se servant toujours de la même main et raclant le plat avec un bout de pain pour l’enfourner dans la bouche. Ce sont là des habitudes qui dérivent de celles des nomades, diable on campait ici ou là et pas question de trimbaler tout un attirail de cuisine.
Il m’est arrivée une petite aventure comique au Maroc, un des pays qui possède un bel art culinaire. J’étais seul à table et voilà deux gamins de 4 ou 5 ans qui viennent se planter devant et qui ne me quittent pas des yeux. J’ai d’abord pensé qu’ils avaient faim, mais je me doutais bien qu’il s’agissait d’autre chose. Voilà la patronne des lieux qui s’amène pour voir si tout allait bien, et chasse les gamins. La bouffe était de première, aucune raison de me plaindre, mais j’ai fait la remarque au sujet des gamins, les siens par ailleurs, plus intrigué que mal à l’aise. J’ai eu la réponse plus tard, c’est tout simplement parce que je mangeais avec un couteau et une fourchette. Alors si une fois vous allez au Maroc…
Représentation d’un festin sous Louis XIII avec ses chevaliers en 1633
Au 19ème siècle les livres consacrés à la cuisine sont très nombreux. A l’évidence c’est un sujet que l’on connaît bien. Dans cette partie passons en revue quelques publication.
Commençons notre voyage par un bref extrait d’un livre publié pour la première fois en 1803 dont l’auteur est un certain Grimod de La Reynière, Alexandre-Balthazar-Laurent, ayant pour titre L’Almanach Des Gourmands, une vaste revue de tous les plaisirs de la table. IL s’attache à énumérer à peu près tout ce qui est comestible en ces temps reculés et surtout en les attelant à des plaisirs liés aux saisons, une évidence d’alors car il était peu probable, toutefois pas impossible, de manger des ananas frais le jour de Noël. Sans donner de recettes, mais plutôt certains principes à respecter lors de la préparation et la consommation des divers mets, il aborde bien des aspects de l’art de se nourrir avec élégance. J’ai choisi un extrait comique d’une histoire arrivée à un curé, assez amateur des bienfaits que le Seigneur nous accorde à nous simples mortels, mais aussi les devoirs qui en découlent.
Vous connaissez tous Alexandre Dumas, ce que vous ignorez certainement c’est qu’il a écrit et publia en 1882, un livre sur la cuisine sous forme de dictionnaire et de manière de préparer la boustifaille. Il mentionne l’auteur précédent comme source de savoir. Voici des extraits de ce livre, Le petit Dictionnaire De La Cuisine qui fait quand même plus de 800 pages.
Deux recettes sur les aubergines.
Une recette que j’ai eu le plaisir de manger, c’est délicieux !
Un menu proposé dans le livre.
L’un des plus célèbres auteurs de gastronomie fut Jean Anthelme Brillat-Savarin (1755-1826). Homme politique d’abord, accessoirement auteur érotique, il est surtout connu pour son livre Physiologie du goût (1826) qui fut ce que l’on peut considérer comme un best seller à l’époque. Dans ce livre il analyse tout ce qui peut conduire au plaisir de la table. C’est un mélange entre philosophie culinaire, considérations sur l’art d’y parvenir, il affirme que seule une personne intelligente peut accéder à cet art. C’est en quelque sorte un code de la route du bon bouffeur. Par ailleurs, un fromage porte son nom, que je considère comme un des sommets dans cet art, je m’en ferais péter la panse !
Dans l’introduction de son ouvrage, il énonce 20 aphorismes qui mettent le lecteur dans l’ambiance de ce qui l’attend dans le livre.
I. L’Univers n’est rien que par la vie, et tout ce qui vit se nourrit.
II. Les animaux se repaissent ; l’homme mange ; l’homme d’esprit seul sait manger.
III. La destinée des nations dépend de la manière dont elles se nourrissent.
IV. Dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu es.
V. Le Créateur, en obligeant l’homme à manger pour vivre, l’y invite par l’appétit, et l’en récompense par le plaisir.
VI. La gourmandise est un acte de notre jugement, par lequel nous accordons la préférence aux choses qui sont agréables au goût sur celles qui n’ont pas cette qualité.
VII. Le plaisir de la table est de tous les âges, de toutes les conditions, de tous les pays et de tous les jours ; il peut s’associer à d’autres plaisirs, et reste le dernier pour nous consoler de leur perte.
VIII. La table est le seul endroit où l’on ne s’ennuie jamais pendant la première heure.
IX. La découverte d’un mets nouveau fait plus pour le bonheur du genre humain que la découverte d’une étoile.
X. Ceux qui s’indigèrent ou qui s’enivrent ne savent ni boire ni manger.
XI. L’ordre des comestibles est des plus substantiels aux plus légers.
XII. L’ordre des boissons est des plus tempérées aux plus fumeuses et aux plus parfumées.
XIII. Prétendre qu’il ne faut pas changer de vins est une hérésie ; la langue se sature ; et, après le troisième verre, le meilleur vin n’éveille plus qu’une sensation obtuse.
XIV. Un dessert sans fromage est une belle à qui il manque un œil.
XV. On devient cuisinier, mais on naît rôtisseur.
XVI. La qualité la plus indispensable du cuisinier est l’exactitude : elle doit être aussi celle du convié.
XVII. Attendre trop longtemps un convive retardataire est un manque d’égards pour tous ceux qui sont présents.
XVIII. Celui qui reçoit ses amis et ne donne aucun soin personnel au repas qui leur est préparé, n’est pas digne d’avoir des amis.
XIX. La maîtresse de la maison doit toujours s’assurer que le café est excellent ; et le maître, que les liqueurs sont de premier choix.
XX. Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit.
Nous poursuivrons dans un autre épisode, la suite de ces pages. Il y aura à boire et à manger.