Bas nylons et Balzac a raté le train

 

Les rencontres par petites annonces pour dénicher l’élue ou l’élu de son coeur est une pratique plutôt moderne, qui s’inséra dans la presse au fil des ans. La fameux Landru s’en servit amplement pour recruter des âmes esseulées, et qui bien souvent ne jugèrent que par lui après l’avoir rencontré, rencontres qui finirent bien mal pour certaines d’entre elles. Nous allons nous arrêter sur un cas précis, qui se termina par un mariage, mais que l’on ne peut pas vraiment classer dans les annonces sentimentales à une époque où elles n’existaient pas, mais qui commence un peu de la même manière. Elles nous servira surtout d’un bref aperçu sur les voyages au 19ème siècle et l’établissement d’une liaison ferroviaire entre la France et la Suisse

L’histoire concerne un personnage très connu puisqu’il s’agit d’Honoré de Balzac. A l’instar de ses contemporains comme Victor Hugo, il fait partie de ces écrivains qui sont déjà célèbres de leur vivant. Balzac est plus spécialement apprécié par les femmes, lesquelles s’identifient à la psychologie des ses écrits quand il parle d’elles. Dire qu’elles sont toutes folles de lui est sans doute exagéré, mais comme on dit, il ratisse large. Il enchaîne ou mène de front les liaisons sentimentales, qui sont toutes issues de milieux cultivés et même de la noblesse, car l’illettrisme est encore courant. Ce sont la plupart du temps les femmes qui font le premier pas, plus particulièrement en lui écrivant. C’est justement une de ces lettres qui transforma Balzac en amoureux fou.

Cette lettre fut écrite à Odessa en Russie au bord le la mer Noire et au début de 1832. Elle fut envoyée à l’éditeur de Balzac, à charge de la lui transmettre. Elle est signée L’étrangère sans plus de précisions, mais elle lui demande de lui donner une réponse en publiant une annonce dans un journal parisien. On ne connaît pas le contenu de la lettre, mais on peut s’imaginer qu’elle est plutôt flatteuse pour Balzac, lequel s’exécute et passe l’annonce demandée. A ce stade on peut déjà apprécier que la poste, si elle n’est pas encore très rapide (la lettre semble avoir mis deux semaines pour arriver à destination), fonctionne de manière satisfaisante, Odessa-Paris, c’est quand même un assez long voyage.

A travers les premiers échanges, Balzac découvre que sa correspondante est une comtesse polonaise, Ewelina Hanska, mariée à un maréchal d’un âge avancé résidant en Ukraine. Elle est une descendante de la famille de la femme de Louis XV, Marie Leszczynska. Au fil des premières lettres, Balzac se prend d’une véritable passion pour elle, passion qu’elle partagera. Bien sûr, la photo n’existe pas encore, Balzac n’a pas un physique de playboy, mais il sait trouver les mots qui peuvent séduire une femme à des milliers de kilomètres de lui. Durant certaines périodes, les échanges de lettres seront pratiquement quotidiens, entre banalités de la vie et déclarations enflammées. Cela peut faire sourire certains, mais imaginez Messieurs que les femmes ne sont pas uniquement attirées par votre belle bagnole ou les muscles que vous avez si bien développés, eh oui cela existe encore aujourd’hui il faut vous y faire. Balzac sait faire voltiger les mots et son pouvoir de séduction réside avant tout dans les mots et les phrases.

Au bout de plus d’une année d’échanges, Balzac veut absolument la rencontrer. Cela tombe bien la comtesse Hanska va séjourner en Suisse, à Neuchâtel sur les rives du lac du même nom. C’est une porte entrouverte pour une rencontre car la comtesse est accompagnée de son mari et de sa fille née en 1828. Ce choix n’est pas tout à fait un hasard, car l’institutrice qui s’occupe de sa fille est originaire des lieux et servira aussi de boîte aux lettres. Balzac qui doit se rendre à Besançon en septembre 1833, va en profiter pour faire un crochet par Neuchâtel. Le 25 septembre 1833, Il arrive à Neuchâtel et loge à l’Hôtel du Faucon, une maison qui existe toujours dans une rue qui n’a pratiquent pas changé d’aspect. Il fera ainsi une première rencontre avec sa belle en toute discrétion, il la reverra plusieurs fois durant les cinq jours qu’il passera à Neuchâtel. Elle seront suivies par d’autres au fil du temps et en d’autres lieux, ce qui transforme Balzac en véritable globe-trotter, il ira jusqu’en Russie. Devenue veuve en 1841, elle finira par l’épouser quelques mois avant sa mort en 1852.

Voilà pour la belle histoire d’un amour improbable devenu réalité. J’ai choisi cet exemple comme illustration à l’avènement des voyages qui commenceront de manière plus abordable et confortable à partir du milieu de 19ème siècle. Reprenons le parcours de Balzac, parti de Paris il atteindra Neuchâtel en 5 jours en empruntant bien sûr la diligence, un des rares moyens de transport à peu près fiable, mais peu confortable. S’il avait emporté un pot de crème avec lui, on peut imaginer qu’à l’arrivée il avait de quoi beurrer ses tartines au petit-déjeuner. Routes peu carrossables, sans construction calculée pour diminuer les distances, c’est encore un peu l’aventure.

Si Balzac avait fait son voyage une trentaine d’années plus tard, il aurait pu le faire en train. A partir de 1862, Neuchâtel est relié à Paris par le train. Même si le voyage dure près d’une bonne journée, plus besoin de se taper les fesses dans une diligence. Il a fallu d’âpres négociations entre la France et la Suisse pour que la ligne soit construite et entre en service. La Suisse voit d’un bon oeil la liaison avec Paris, mais n’est pas d’accord sur le tracé. Elle préférerait un raccord au départ de Neuchâtel via Le Col-des-Roches, village frontière tendant vers Besançon, mais à plus de 900 mètres d’altitude. La ligne est prévue côté suisse et son inauguration a lieu en 1860. Dans ce cas, la construction du raccord est à la charge de la France, car sur territoire français. La France est d’un avis contraire, car elle préfère une liaison par Pontarlier, ce qui inverse le problème financièrement parlant, car c’est à la Suisse de la construire, la ligne étant pratiquement entièrement sur son sol. C’est finalement la deuxième solution qui est adoptée, car elle a l’avantage d’être un peu plus directe, plus basse en altitude. On voit aussi plus loin, une liaison avec Milan et passant éventuellement par Lausanne, Berne, ou le Gothard, qui restent encore à construire. Pour la ligne direction Neuchâtel, on envisage les choses en grand car la ligne, les ponts, les tunnels, sont prévus pour une exploitation à double voie, ce qui ne sera jamais le cas. Elle sera même supplantée une cinquantaine d’années plus tard par la ligne passant par Vallorbe. Ironie du sort les premiers tunnels de la ligne de Neuchâtel, après la frontière sur territoire suisse, serviront d’abris à l’armée de l’Est commandée par Bourbaki, en déroute pendant la guerre de 70 lors  d’un hiver très rigoureux.

 

De haut en bas : 1) D’après une vieille gravure, le passage de la ligne dans les gorges encaissées où coule la rivière L’Areuse. Plus haut avant l’avènement de la ligne, une route carrossable conduisait les voyageurs de Pontarlier à Neuchâtel. C’est par cette route que Balzac se rendit à Neuchâtel. 2) Une des célèbres images de l’armée Bourbaki installée sur la plateau des Verrières juste après la frontière. 3-4) Environ un kilomètre plus loin se trouvent les deux tunnels qui abritèrent des soldats français et tels qu’ils paraissent aujourd’hui. Le premier vu du portail ouest a une longueur de 304 mètres; le second vu du portail est a une longueur de 268 mètres. Comme je le disais plus haut, initialement ces tunnels étaient prévus pour voie double, c’est pour cela qu’ils paraissent très larges.

Affiche pour 1883 qui fait la promotion pour un voyage en Suisse par la ligne en question avec la compagnie PLM (Paris-Lyon-Méditerrané), ce n’est pas encore la SNCF.  Elle est assez parlante. Tout d’abord, le prix du voyage qui coûte en 2ème classe pour un aller-retour, un peu plus qu’un abonnement annuel au Figaro. La durée du voyage est de 12 heures. En vingt ans ella a passablement diminué, l’évolution de la technique parle. C’est un train de nuit qui circule à une date précise le 31 mai, donc ce n’est pas un train régulier. On peut aussi remarquer que la Suisse ne vit pas au même horaire que la France, l’heure est avancé de 26 minutes. Quelques clichés de la Suisse sont déjà présents. Le Cervin trône en haut de l’affiche. Ce n’est pas la plus haute montagne de Suisse, elle n’est que cinquième, mais la plus célèbre. Les sapins sont aussi des arbres qui font partie du folklore suisse et sont présents partout. L’idée de la montagne est encore renforcée par le train qui sort du tunnel. C’est aussi un fait d’actualité, le plus long tunnel du monde d’alors est en activité depuis quelques mois, première liaison transalpine à travers la Suisse  avec Milan

Aujourd’hui, l’avenir de la ligne Pontarlier-Neuchâtel, bien que de chaque côte on affirme vouloir la conserver, est incertain. Le TGV qui reliait Paris à Berne est supprimé et ne l’emprunte plus. Des navettes assurent la correspondance avec le TGV Lausanne-Paris qui se fait en gare de Frasne. Même le trafic local est abandonné sur une partie de la ligne Quelques trains de marchandises internationaux passent encore, mais ils sont peu nombreux. Jadis, il y a eu une fièvre du chemin de fer, on construisait des lignes partout, la moindre ferme au fond de la campagne devait avoir une gare devant la porte d’entrée. Les coûts d’exploitation se chargèrent de mettre un peu d’ordre, seules les lignes à même d’assurer leur survie continuèrent leur exploitation. Il n’est donc pas improbable que vous rencontriez un jour une de ces lignes abandonnées, souvent aménagée en ligne touristique. Le train a régné en maître pendant quelques dizaines d’années, la voiture, puis l’aviation, ont ouvert de nouveaux horizons. J’ai pris cet exemple, mais il peut se multiplier par mille en autant de lieux différents.

Quelque soit le moyen employé, les voyages se sont démocratisés au fil des ans. L’industrialisation a apporté du travail et un peu d’argent à pas mal de monde. Un moyen de le dépenser était le plaisir d’effectuer un petit ou un grand voyage.

3 réflexions sur “Bas nylons et Balzac a raté le train

  1. Bonjour M. Le Boss,
    Et aujourd’hui, commencée le 3 avril 2018 au rythme de « deux jours sur cinq », la grève à la SNCF devrait durer jusqu’au 28 juin 2018, soit 36 jours au total, le train n’est plus ce qu’il était …….à chacun son avis, sans vouloir pour ma part faire de jugement sur le bien fondé de cette grève.
    Bon weekend
    cooldan

  2. Hello Cooldan,
    C’est toujours difficile de se faire une idée précise sur le bien fondé d’une grève. Dans ce cas précis je n’ai pas trop d’avis, n’étant pas touché par elle. D’autre part,je ne sais pas si cette manière de faire la grève est le meilleur moyen.Dans ma campagne, seuls les bus circulent et je prends le train une fois tous les deux ou trois ans.
    Enfin du moment que les musiciens ne sont pas en grève…
    Bon week-end

  3. Bonjour messieurs,

    Ah le « cheval de fer » en fait couler de l’encre !!!!
    Au départ, ce furent les services de diligences et autres fiacres qui furent « en grève » mais l’idée était lancée…
    En 150 ans, le chemin de fer a étendu sa toile à tout le territoire.
    Il débuta essentiellement avec l’époque du Second Empire, autour de 1860.
    Le premier tronçon partait de Paris vers St-Germain en -Laye, puis en Aquitaine, la bourgeoisie bordelaise, à l’instar des Parisiens, et friande des bains de mer, fit construire la ligne de Bordeaux en direction de la localité La Teste-de-Buch….
    Et depuis le réseau ferré n’a cessé de se développer….
    Les chantiers les plus ardus et dangereux mobilisèrent des trésors d’imagination pour les ingénieurs et beaucoup de courage pour les ouvriers, car situés sur les reliefs escarpés des Alpes et de Franche-Comté. Un exploit pour l’époque au regard des techniques utilisées.
    Monsieur Eiffel inaugura l’ère des ouvrages métalliques. Il dessina les plans du viaduc du Garabit, sur la rivière de la Truyère dans le département du Cantal.
    Déjà, il y a 2000 ans, les ingénieurs romains maitrisaient l’art des ponts,
    En témoigne aujourd’hui encore, l’ouvrage maçonné de Vaison-la-Romaine qui a résisté aux inondations de septembre 1992, alors que les ondes déchaînées mettaient à mal nos constructions modernes….. Ironie du sort ?
    Qui peut le dire ?
    Bon WE. Peter’.

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