Bas nylons et bandes des six nez

 

Il y a un âge d’or pour pas mal de choses, la BD a aussi le sien. Certains mettront cet âge où ils voudront. D’un point de vue tout à fait personnel. les années 1950 et le début des années 1960 représentent une de ces possibilités. En discutant avec nombre de passionnés, ils admettent en général la qualité de ce qui fut publié à cette époque. Les vrais passionnés de BD d’une certaine ancienneté recherchent ces éditions en priorité. Quand on dit qualité, il ne faut pas tellement voir le contenu, mais la publication elle-même. Les techniques d’impression étaient très différentes, on atteignait une qualité optimale dans la reproduction des dessins et des couleurs. A part Tintin qui bénéficiait déjà d’une grande popularité, suivis par quelques autres dont le succès allait en s’amplifiant, les tirages restaient assez confidentiels. On prenait son temps pour publier, du moins de manière moins précipitée, il n’y avait pas trop le produit d’appel. Quand je parle de Tintin, il faut prendre en considération que ce sera la seule et unique BD qui sera lue par certains. Les autres n’existent pas ou peu. C’est aussi le fait que certains parents interdisent toute lecture de BD à leurs enfants, excepté toutefois Tintin que la plupart connaissent déjà pour l’avoir lu quand ils étaient plus jeunes.

Sans plus entrer dans les détails, je vais en exhumer quelques-unes qui pour moi sont des chefs-d’oeuvre à plus d’un titre. Il s’agit d’une première livraison, celles que je relis très régulièrement.

La Marque jaune – Blake et Mortimer – Editions du lombard, 1956. Valeur d’une édition originale 400-500 euros.

Le Belge Edgar P. Jacobs (1904-1987) est un compagnon de Hergé avec lequel il a travaillé. Il ne fut pas très prolifique, une dizaine d’albums au cours de sa carrière, mais très soignés dans les détails et la reproduction d’endroits existants dans lesquels se déroulent les aventures. Avec La Marque jaune, il explore la science-fiction, une histoire futuriste mais pas tant que ça. Un savant un peu fou a réussi à dominer la volonté d’une créature humaine en agissant sur ses ondes cérébrales, créant un personnage qui tient du diable et du surhomme. Une grande partie de l’aventure se déroule la nuit et dans les docks de Londres. Un must absolu !

L’ouragan de feu – Guy Lefranc – Dargaud Collection du Lombard 1961.   Valeur d’une édition originale 400-500 euros.

Jacques Martin est dessinateur de BD français (1921-2010) surtout connu pour avoir créé deux héros bien différents, Alix et Guy Lefranc, un reporter détective. C’est ce second que l’on retrouve dans L’Ouragan de Feu. Une invention sous forme de comprimés, qui permet de transformer l’eau de mer en carburant est à la base de l’histoire. Imaginons dans la réalité ce que cela pourrait produire, un choc pétrolier mais à l’envers, effondrement de toute une économie. Comme Jacobs, Martin aime bien mettre ses héros dans des décors réels, une grande partie de l’histoire se déroule en Bretagne dont un séjour au Mont-Saint-Michel et dans un village qui se nomme Morgastel dans l’histoire, mais qui est sans doute inspirée par Erquy. Connaissant l’histoire, en passant par-là, j’ai pensé à l’histoire et j’ai trouvé quelques ressemblances. Pour ceux qui sont du coin, j’ai mangé à la crêperie Le Vieux Port des crêpes à l’andouillette. C’était  délicieux !

Une photo prise lors de mon voyage en face de la crêperie où j’ai mangé

Vers la fin de l’histoire, un ouragan déferle sur les côtes bretonnes. Des caisses de comprimés tombés accidentellement dans la mer déclenchent un énorme incendie, la mer est en flammes ! Des dessins fantastiques !

Chlorophylle contre les rats noirs – Collection du Lombard 1953. Valeur d’une édition originale 200-300 euros.

Voilà mon dessinateur préféré, Raymond Macherot (1924-2008), encore une histoire belge. Macherot a sans doute dessiné la nature mieux que quiconque, c’est de la BD écologique avant l’heure. Les personnages évoluent dans leur milieu naturel et restent à leur taille réelle, c’est le contraire de Walt Disney. Dans ces histoires, il aime bien recréer le combat des faibles contre le puissants, donnant toujours la chance aux faibles de gagner. Dans cette première histoire, on peut imaginer que le dessinateur s’est inspiré de Hitler et ses brigades de SS. Chassés des lieux qu’ils occupent, une horde de rats noirs menés par leur chef Anthracite, déferlent sur la campagne et soumettent à la loi du plus fort les paisibles animaux qui habitent les lieux. Rarement un méchant, Anthracite, n’a été autant méchant dans une BD. Si certains mauvais gardent encore une once de scrupules, lui n’en a aucun, un vrai dictateur. Il trouve sur la route un lérot un peu mégalo, mais plein de courage et d’intelligence. Avec l’aide de quelques amis, un corbeau, un lapin, une loutre, à force de ruses, ils parviendront à mettre ces centaines de rats et leur chef hors d’état de nuire. Les décors naturels et les animaux dessinés par Macherot sont d’une beauté réelle, les botanistes reconnaîtront sans doute la plupart des arbres et des plantes qu’il a dessinées. C’est un régal.

Le nid des marsupilamis – Spirou et Fantasio – Dupuis 1960. Valeur d’une édition originale 400-500 euros.

André Franquin (1924-1997) est également un dessinateur belge, sans doute celui qui concurrencera le plus Hergé au niveau de la popularité et de l’empire qu’il bâtira avec ses dessins et ses héros, Spirou et Fantasio, Modeste et Pompon, et plus tard Gaston Lagaffe. Il faut aussi lui laisser la création de ce restera une des plus originales idées de personnage de BD, le marsupilami. Cet improbable animal ne cesse de nous étonner au niveau des pages par toutes les possibilités dont il est doté. Dans cette histoire, ce n’est pas sa première apparition, mais c’est aussi un pari de Franquin pour bousculer un peu ses héros, Spirou et Fantasio, et les mettre en second plan au profit d’une histoire qui se déroule un peu comme un film documentaire. On y découvre une femelle marsupilami qui se met en ménage avec un mâle pour fonder une famille et donner naissance à une descendance. Le tout à la manière de cet animal qui n’est pas comme les autres, c’est autant attachant que bourré de gags. C’est un album d’une cuvée supérieure, voire exceptionnelle, où on trouve à la suite de l’histoire principale, une aventure plus courte, mais plus classique.

Les Cousins Dalton – Lucky Luke – Dupuis 1958. Valeur d’une édition originale 200-300 euros.

Morris (1923-2001) est un autre belge qui s’illustra dans la BD. Sans doute le plus américain de tous puisqu’il séjournera longtemps aux USA. C’est aussi un des rares à se consacrer pratiquement à un seul héros tout au long de sa carrière. Souvent Morris fait coïncider des faits et des personnages réels avec les aventures de son héros Lucky Luke, accompagné de son  ironique cheval Jolly Jumper. C’est presque naturellement qu’il mit en scène les fameux Daltons, héros maléfiques  et légendaires de l’Ouest. Mais il commit une gaffe, celle de les faire mourir à la fin de l’histoire, mais il respecta en cela la véritable histoire. Comme l’album eut pas mal de succès, il se rattrapa en créant des cousins de ces fameux bandits qu’il se garda de faire disparaître afin qu’ils reviennent dans d’autres aventures. Bien sûr, ce sont des cousins aussi bêtes que méchants et qui se font toujours moucher par Lucky Luke, quand ce n’est pas son cheval qui leur envoie un bourrade. Les Daltons ne manquent pas d’humour involontaire, plus spécialement Joe le plus teigneux, Averell le plus idiot de tous mais le moins méchant et toujours en quête de nourriture. Par la volonté de Morris ces aventures ne manquent pas de sel ou même de selles.