Bas nylons et un coeur à prendre

Quand on est comme votre serviteur, un aficionado du vinyle et de la collection de ces galettes purement musicales, le phénomène peut se répartir en plusieurs tendances. Les plus nombreux sont ceux qui collectionnent en priorité un artiste ou un autre. Je suis incontestablement un collectionneur généraliste, je collectionne plus des styles musicaux que des artistes précis, bien que dans certains cas, il m’arrive aussi de collectionner certains artistes qui peuvent être représentatifs des styles que je collectionne. Bien des gens qui ont fait comme moi, chacun dans son coin, en arrivent au fil du temps à faire une sorte de classement purement arbitraire et affectif, de ce qu’ils considèrent comme des musts. Ce ne sont pas forcément des artistes de premier plan, mais avec le temps et l’héritage qu’ils ont laissé, on s’accorde pour leur reconnaître une aura qu’ils n’ont jamais eue auparavant. Dans cet article, je vais vous parler à travers une chanson, une de leurs deux ou trois plus fameuses, d’un de ces groupes qui correspond totalement à ce critère. Par les amateurs du genre, ils sont adulés par une poignée de fans inconditionnels qui se font un plaisir et selon leurs moyens de mettre un maximum de copies originales dans leur discothèque. Même leur premier chanteur, qui a pourtant fait une carrière nettement plus couronnée de succès mais sans doute moins attirante, a reformé le groupe sous l’appellation d’origine plutôt que sous son propre nom, cela montre où se situe l’entrée dans l’histoire.

Quand la Beatlemania déferla sur le monde et sur l’Angleterre en particulier, il y a ceux qui imitaient le style avec plus ou moins de succès et ceux tentent de faire autre chose. Nous connaissons quelques noms qui peuvent correspondre à cette deuxième idée, les Rolling Stones, les Pretty Things, Them, pour les plus connus. L’Angleterre a aussi une spécialité, les producteurs indépendants, souvent aussi compositeurs et musiciens, qui comme certains journalistes ne sont pas rattachés à un label ou un journal précis. Le plus célèbre est Joe Meek, qui produisit John Leyton, les Tornados, ou encore les Honeycombs, tous des no 1 du hit parade. Le principe est simple, ils recherchent des artistes qui à leurs yeux sont intéressants, louent ou ont leur propre studios, font parfois appel à des musiciens si nécessaire, enregistrent une démo et vont la proposer aux maisons de disques. C’est accepté ou refusé, publié tel quel ou alors relooké en studio.

Pour le sujet que nous allons aborder, le producteur est le pivot central, il se nomme Miki Dallon. Il est né en 1940 et s’intéresse à la musique en apprenant le piano. Un de ses premiers engagements est comme pianiste de Vince Taylor, alors dans sa période anglaise. Ce dernier étant parti en France, il peut alors rencontrer un peu le gratin de ce qui est ou sera les noms qui feront un pan de l’histoire de la musique anglaise, notamment Marty Wilde. Il chante aussi, mais surtout il compose. Il a dans sa giberne quelques chansons dont il se réservera l’exclusivité comme interprète en 1965, mais en 1964, l’une d’entre elles est enregistrée par un Anglais qui cartonne en Afrique du Sud, mais qui ne réussit pas à pénétrer le marché anglais, Mickie Most. Cette chanson « That’s Allright », au tempo très rapide est reléguée en face B. Elle sera reprise en France par les Chats Sauvages, version Mike Shannon, sous le titre « Je Suis Prêt ». Most cessera de chanter et commencera sa fructueuse carrière de producteur avec un départ en fanfare en s’occupant des Animals. Dans la foulée, Miki Dallon saute aussi le pas et produit un groupe qui se nomme the Boys Blue auquel il fait enregistrer deux de ses compositions « Take A Heart / You Got What I Want » publiée par His Master’s Voice. Même si le disque est publié dans plusieurs pays, il ne rencontre aucun succès. C’est pourtant un sacré bon disque, mais cet échec aura une influence pour la suite.

Miki Dallon a découvert et produit un groupe qui vient de Coventry, les Sorrows. Après deux tentatives avec des originaux, dont un composé par Mort Shuman, Dallon décide de leur faire réenregistrer « Take A Heart » avec un traitement différent de la version assez cuivrée des Boys Blue. Le potentiel musical des Sorrows est évident, c’est un groupe de série A, avec d’excellents musiciens et un très bon chanteur, Don Fardon. Il en résulte une basse qui imite les pulsations cardiaques, une guitare affûtée surgissant des profondeurs, une batterie aux frappes redondantes, une ambiance un peu cafardeuse, qui font de ce titre un produit innovateur et encore regardé aujourd’hui comme une belle réussite. Le succès est plutôt mitigé, mais pas complètement absent, il monte quand même à la 21ème place des charts anglais. Avec le même playback, une version est enregistrée en allemand et une en italien. Cette dernière rencontre quand même quelques succès d’estime en Italie et décide le groupe le groupe d’aller tourner là-bas, le pays est assez accueillant avec les formations anglaises. Les Rokes y sont des devenues des stars, une de leurs créations « Piangi Con Me/Let’s Live For Today » est devenue un hit aux USA via la reprise des Grassroots. Les Motowns et les Renegades se débrouillent assez bien. Après le départ de Don Fardon, le groupe recentrera presque exclusivement sa carrière sur ce pays. Ils publieront un album en italien avec des reprises anglaises, mais ce ne sera qu’une pâle imitation de groupe d’origine, bien qu’ils connaissent un succès certain.

LE EP français de 1965

Le 33 tours français, identique à l’édition anglaise, pochette légèrement différente.

Même si le succès des Sorrows n’est en rien comparable à celui des autres groupes de premier plan, ils ont quand même laissé quelques traces, déjà de leur vivant. Les Renegades ont repris « TaKe A Heart » et ont jugé le titre assez fort pour lui donner le nom de baptême de leur second album. C’est aussi le cas pour les In Betweens (futurs Slade), qui enregistrent leur version. Si l’on s’en tient exclusivement à ce titre, Miki Dallon raconte qu’il a concédé ses droits de compositeur pour des dizaines de reprises, ce qui ferait d’après lui, son premier million d’exemplaires vendus. Une chose est sûre, c’est que ce n’est pas le cas pour une adaptation française, exceptionnellement il n’y en a pas, et si jamais vous en connaissez une, je serais heureux de parfaire mes connaissances. Le succès de la version en italien ne se dément pas, il y a des tas de reprises sur Youtube, tournées à toutes les sauces, même un karaoké. Je crois que cette chanson a  gagné une belle bataille, si 53 ans après on la chante encore dans les réunions d’anciens combattants. Pas mal pour un truc un peu négligé à sa sortie, le temps est un juge efficace.

La première version par Boys Blue, une très belle version, 1965

La version des Sorrows, 1965

En live, 1966

En live la version en italien 1966, Don Fardon étant parti, c’est le guitariste Philip Whitcher qui assure le chant.

La version des Renages, en live mais très proche de celle en studio, 1965.

Celle de In Betweens, futurs Slade, 1965.

Une version garage par un groupe canadien, 1965.

Don fardon la réenregistre durant sa carrière solo, 1968.

Une des reprises en italien vers 1970, par Firebird.

Dans les années 80, la version des Inmates.

Richard Thompson un ancien de Fairport Convention, même le folk peut mener aux Sorrows.

Pas encore tout à fait oubliés les Sorrows en Italie, et en plus la reprise est pas mal.

En live ne 2016, la formation actuelle des Sorrows, Don Fardon seul survivant d’origine.