Exploration musicale en terre inconnue (13)

Au temps du vinyle, la production phonographique française est assez minimaliste par rapport à un pays comme les USA. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Malgré tout, une immense partie de cette production restera dans l’ombre, par manque de soutien de la presse spécialisée, par manque de diffusion radiophonique, par manque promotion. Je me souviens d’avoir vu chez les disquaires des représentants de maison de disques faire la promotion de nouveautés du catalogue. Ils n’avaient rien de différent des autres représentants, sauf qu’ils vendaient ou faisaient la promotion des disques au lieu de brosses ou d’assurances. Il y avait ce qui était en demande, les fameux succès du moment, et des trucs moins connus ou inconnus qu’il fallait essayer de refiler au disquaire en vantant la marchandise, charge à lui d’en souligner les mérites auprès d’une clientèle dont il connaissait les goûts.
Malgré cela une très grande partie de cette production est restée inconnue, ne s’est pas ou mal vendue, c’est en général ces disques qui font le bonheur des encyclopédistes, même certains sont devenus de très estimables pièces de collection. Allons faire un tour dans ces publications dont la plupart vous sont inconnues, autant les chansons que les artistes, à moins que vous n’ayez été un chasseur de disques averti pour quelques uns d’entre eux. Toutes les publication dont je parle ici ont bien été éditées en France et sont uniquement des 45 tours.

1959 – Corradi Ei 93 / En France, la fin des années 50 vit une sorte d’engouement pour les musiques un peu exotiques, principalement italiennes. Dalida en fut la principale investigatrice, on adorait ce petit accent italien. Bob Azzam, avec une pointe de musique arabe,  fut un autre artisan du genre sans oublier Marino Marini qui marcha plutôt bien en France avec de nombreuses publications. D’autres essayèrent de se glisser dans la course avec des résultats moindres, Corradi Ei 93 en fut un exemple, plutôt spécialisé dans les reprises.  Une dizaine de 45 tours EP furent publiés, dont quelques uns avec des titres en français ou avec un bel accent napolitain. Ici, un extrait du premier avec une chanson très napolitaine aussi interprétée, moins bien, par Bob Azzam. Le propre de ces orchestres, même si on peut les ranger dans catégorie bal, c’est de posséder de parfaits arrangeurs et musiciens.

1958 – Fred Buscaglione / Love In Portofino. C’est le type même de la chanson que l’on a entendue une fois ou l’autre, sauf peut-être par celui qui l’a créée à moins d’être italien, Fred Buscaglione. Véritable phénomène musical de la fin des années 1950, elle contamina nombre d’interprètes, plusieurs en France dont Dalida, elle se joue encore dans les bals ou dans la rue. Le petit port de la côte Ligure aux maisons colorées coule toujours des jours paisibles, mais maintenant il est célèbre pour l’éternité. Son créateur se tua dans un accident de voiture en 1960, en pleine gloire. Son disque en édition française est immensément plus difficile à trouver que la version de Dalida.

1962 – Johnny & Hurricanes / Farewell, Farewell. Le 5 ème EP du groupe publié en France est tellement rare que pendant plus de 30 ans, les spécialistes ignoraient qu’il existait, moi y compris.

1982 – Vince Taylor / Space Invaders. L’un des derniers sursauts de Vince Taylor avant sa phase finale en 1987.

1969 – Mighty Baby / Egyptian Tomb. Un de ces quelques groupes anglais progressifs et peu connus qui eurent le bonheur d’une publication française en 45 tours. rare, beau et recherché.

1966 – The Leaves / Too Many People. Assez rares sont les 45 tours publiés en France qui sont issus du garage punk américain. En voici un exemple charmant.

1970 – Taste / What’s Going On. Un seul 45 tours existe en France qui témoigne de l’existence de Taste et de Rory Gallagher. C’est un extrait du second album.

1966 – Johnny Thompson / Soul Chant. Un chanteur très peu connu dont il existe un 45 tours en France, dont je pense bien peu peuvent se vanter d’en avoir vu un jour une copie. Même si la photo de la pochette fait plutôt penser à un aimable chanteur de variétés, le contenu frise avec le psychédélique et le garage punk. Eh oui c’est comme ça.

1973 – Axis / Gold Wings. Ce groupe d’origine grecque, essaya de marcher sur les traces des Aphrodite’s Child, mais ne rencontra pas le même succès. Ils eurent un ou deux singles assez populaires, mais celui-ci est plus difficile à trouver, même s’il est peu recherché. C’est pourtant un excellent truc, un arrangement pop emprunté au célèbre air russe « Plaine Ma Plaine. C’est du bon boulot et je suis sûr que c’est un tube manqué. On a fait bien pire avec des airs folk.

1962 – The Rivingtons / Papa Oom Mow Mow. Voici une des deux chansons qui inspira les Tashmen pour « Surfin’ Bird ». Le titre fut publié en France par Capitol dans un indifférence quasi totale. C’est bien sûr un joli collector.

1964 – Lesley Gore / Je Ne Sais Plus.  Encore une de ces tentatives de chanteurs anglophones d’enregistrer dans notre langue. Ici c’est la célèbre Lesley Gore qui enregistra un immense tube « It’s My Party » (C’est Ma Fête par Richard Anthony) en 1963. Elle continua de cartonner aux USA avec d’autres titres dont « You Don’t Own Me », qu’elle enregistre ici en français. Chanson à fort potentiel, mais peut-être l’accent gêne ?

1971 – James Darren / Mammy Blue. En 1971, la chanson « Mammy Blue » fut un peu comparable à l’épidémie de grippe espagnole en 1918, la France fut entièrement contaminée. Trois versions se disputaient les ventes, celle des Pop Tops, le créateurs, Joël Daydé, Nicoletta. Vint alors s’ajouter une version américaine par un certain James Darren. Si en France on ne le connait pas comme chanteur, il a pourtant une longue carrière derrière lui, par contre on se souvient de son rôle d’acteur. Il fut un des deux savants perdus dans les labyrinthes du temps via la série tv « Au Coeur Du Temps », projetée sur les écrans vers 1966-1967. Sans doutes, les trois versions citées étaient suffisantes, on ne lui laissa pas de place pour la sienne.

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Bas nylons et une plante empoisonnée

 

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Le duo Jerry Leiber (1933-2011) et Mike Stoller (1933 – ) a donné le jour à une multitude de chansons dont une grande partie sont très célèbres. A partir du début des années 1950, ils créèrent deux titres qui font partie de l’histoire de la musique « Kansas City » et « Hound Dog », le premier enregistré par Little Willie Littlefield et le second par Big Mama Thornton. Ce sont des interprètes noirs, une préférence que le duo a souvent exploitée. Bien entendu, ces deux hits furent vraiment immortalisées plus tard par les reprises de Wilber Harrison et Elvis Presley, pour qui ils signèrent aussi « Jailhouse Rock », « Loving You », « King Creole ». A partir de 1957, il sont plus ou moins des habitués du label Atlantic et fournissent en chansons l’un des premiers célèbre et légendaire groupe de R&B noir, les Coasters. Dans la série de hits qu’il écrivirent, l’un va sans doute enter dans l’immortalité un peu plus que les autres, le célèbre « Poison Ivy ». Enregistré en 1959, il va susciter auprès des groupes anglais à partir de 1963, un véritable engouement. Avant cela, quelques artistes avaient remarqué le titre et enregistré des versions un peu exotiques. En France, il fut adapté quatre fois sous des titres complètement différents. Allons à la découverte.

L’original, les Coasters, 1959.

Mexique, Los rebels Del Rock » « La Hiedra Venenosa », 1960.

Première version française, Bob Azzam « Fleur Du Diable », 1961.

Les Ventures, instrumental, 1962.

Première reprise anglaise « beatlemania », Dave Clark Five, 1963.

Les Paramounts, futurs Procol Harum, un petit hit pour eux, fin 1963.

Les Rolling Stones, version qui fit beaucoup pour la popularité de la chanson, 1964.

Les Australiens de Billy Thorpe & Aztecs, 1964.

Deuxième version française, Baris Manço « Quelle Peste », 1964.

Manfred Mann, 1965.

Pour l’Allemagne, les Lords, 1965.

 Les Kingsmen, 1966.

Sam The Sham (solo), 1967.

Troisième version française, les Surfs « Drôle De Fille », 1967.

Quatrième version française, Martin Circus, « Mets Ton Habit », 1975.

The Nylons, Canada, un peu after disco, 1988.

Bleached, groupe féminin US, 2014.

Les Coasters en live, il y une quinzaines d’années.

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En passant

Bas nylons et une certaine Marianne

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Retournons un peu à l’histoire, celle qui ne figure dans les livres que par les grandes lignes, mais qui s’étale dans les journaux d’époque dont nous ne retiendrons que l’humour. Explorons un magazine hebdomadaire qui s’appelle Marianne, fondé par Gaston Gallimard, l’éditeur. C’est un ancêtre sans lien avec celui du même nom qui existe aujourd’hui. Il paraîtra entre 1932 et 1940. Assez orienté à gauche, pacifiste, il veut rassembler une élite intellectuelle francophone et sans frontières du même bord. Il ne sera jamais un phénomène de ventes, se limitant à un tirage de 60000 exemplaires. On y retrouve des plumes plus ou moins prestigieuses, mais qui comptent dans un domaine ou un autre. Antoine de Saint-Exupéry, Georges Auric, Julien Benda, Pierre Mac Orlan, Jean Rostand, Henri Troyat, Herbert George Wells, Marlène Dietrich, Marie Bonaparte, Suzanne Chantal, Marcel Aymé, contribuèrent dans ses colonnes.

Dans un numéro daté du 12 juin 1940, la date a toute son importance, il se positionne sur les faits avérés à cette date. Pour rappel, nous sommes en pleine invasion allemande, à une dizaine de jours de la signature de l’armistice, et avec un jour de plus, de la visite d’un certain célèbre moustachu à Paris. Il faut bien avoir à l’esprit qu’une revue ne se prépare pas à la dernière minute, et que l’avance de l’armée allemande se fait au pas de charge. Donc, il existe un certain décalage entre ce que les pages pouvaient afficher avec un optimisme modéré, et la réalité du terrain. Ils n’étaient d’ailleurs pas les seuls. L’humour, les dessins humoristiques, les caricatures sont résolument anti-allemands. Seul point noir du numéro, on reconnaît là un certain utopisme de gauche qui choisit bien ses adversaires mais pas toujours bien ses amis, il fait presque l’éloge de Pétain et du général Huntziger, qui deviendront de vilains collabos. Comme promis, je ne m’en tiendrai qu’aux illustrations qui valent tous les discours, en commençant par un dessin du célèbre Dubout qui nous explique sa vision de la fameuse « cinquième colonne ». Ce numéro sera en fait le dernier dans cette formule. Après une tentative de relancer le magazine en zone libre, de manière plus conventionnelle, il disparût définitivement au mois d’août. J’ai gardé les images dans leurs dimensions originales, vous pouvez cliquer dessus pour une meilleure vue.

Source Gallica, BNP, DP