Bas nylons et des fleurs disparues

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Pas mal de chansons qui sont issues du mouvement folk ont un fond politique, contestataire. On retrouve cela plus particulièrement dans le folk que l’on pourrait classer comme moderne, c’est à dire né dans le courant du 20ème siècle. Si on analyse plus à fond, on constate que la contestation naît dans les milieux populaires, c’est à dire chez des gens qui ont peu de moyens. Il est alors inévitable que la musique soit plutôt simple, sans grands effets d’orchestration, une simple guitare suffit. La grande dépression des années 1930 est une des causes de l’apparition de la chanson contestataire américaine, le « protest song » comme l’appellent les Anglo-Saxons. Une grande partie de l’Amérique blanche, plutôt insouciante jusqu’au crash de 1929, est confrontée à la réalité du terrain, le pays n’est plus celui de tous les possibles. On s’aperçoit alors que les promesses des politiciens ne sont pas toutes suivies d’effets, que la croissance infinie ne l’est pas, que les richesses ne sont toujours aussi bien partagées que l’on voudrait le faire croire. A part l’héritage musical ancien des blancs, vient s’adjoindre une autre musique qui lui ressemble un peu, le blues. Bien qu’on puisse le considérer comme le folk des Noirs, le blues est ressenti un peu différemment. Eux,  la misère, la ségrégation raciale, ils connaissent, ils peuvent donner des leçons de misère. A travers le blues, ils en donnent, mais c’est plus personnel, pas vraiment contestataire, c’est plutôt un constat. Ces années misérables vont être une amorce de fusion entre les races et la musique, on se respecte les uns les autres, mais c’est encore une toute petite minorité qui agit ainsi. Deux grandes figures vont émerger de ce mouvement, un premier vrai contestataire, Woody Guthrie (1912-1967) pour les Blancs et Leadbelly, (1888-1949), moins engagé, pour les Noirs. Quand on écoute leurs discographies respectives, assez mince pour celle de Leadbelly, on constate le mélange des styles. Leadbelly a des titres plus folk que blues et Guthrie peut aussi enregistrer des trucs plutôt blues. Pour chacun d’eux, au moins un de leurs titres passe le postérité, « This Land Is Your Land » pour Woody Guthrie, que certains considèrent comme le véritable hymne américain. Pour Leadbelly, « Goodnight Irene » (Des Filles Et Des Garçons par Frank Alamo) est son opus le plus connu. Une autre chanson peut aussi servir d’illustration à cette tendance folk des Noirs. C’est le célèbre « Walk Right In » enregistré par Gus Cannon dans les années 1930 et qui restera dans un parfait anonymat pendant une trentaine d’années avant d’être mise en lumière par les Rooftop Singers, biens folks et blancs, en 1962. Il deviendra un tube planétaire avec par exemple, l’adaptation française  « Marche Tout Droit » de Claude François. A la suite de ce mouvement on voit apparaître des chanteurs qui compteront pour le folk, le grand Cisco Houston, et surtout Pete Seeger (1919-2014) qui deviendra un porte-parole de la chanson contestataire. On peut considérer comme un maître de classe pour tous ceux qui s’engageront dans cette voie comme Joan Baez et Bob Dylan. Pete Seeger, en plus, est un grand compositeur, doué d’une belle voix, dont certaines chansons déborderont largement les frontière de la contestation.
L’une de ses plus connues est « Where Have All The Flowers Gone ». Ce n’est pas sa chanson la plus revendicatrice, mais elle a un fond politique et contestataire, spécialement anti-guerrière.  Elle pose aussi une question sur l’avenir. En effet, on pourrait se demander un jour « que sont devenues les fleurs ? C’est une allusion à l’homme qui a un potentiel pour tout détruire, la bombe atomique par exemple. La chanson est inspirée d’un chant russe et d’un air irlandais, dont il fit une ébauche en 1955. Il ne l’enregistrera qu’en 1960. C’est une chanson en boucle, les dernières paroles d’un couplet sont reprises pour le suivant, et ainsi de suite et le dernier ramène au premier. A l’origine la chanson comptait trois couplets, mais deux furent rajoutés par la suite selon les versions. Elle connut un succès immédiat, pas tellement en termes de classements au hit parade, mais elle s’incruste parmi ces chansons que l’on a l’impression de connaître depuis toujours. Un seule écoute, et elle est gravée à jamais dons votre mémoire. Bien évidemment, elle fut au répertoire d’une multitude d’artistes des milieux folks, mais elle conquit largement d’autres interprètes pas spécialement représentants du folk. Elle fut transcrite dans de nombreuses langues. Je crois que ce dont Pete Seeger était le plus fier, c’est qu’elle figure au répertoire de Marlène Dietrich.

Pete Seeger, 1960

Peter Paul and Mary, trio catalyseur de nombreux airs folk, 1962

The Kingston Trio,  même critique, 1962.

Dalida, 1962, aussi enregistré par d’autres dont Jacqueline François.

The Searchers, 1963 sur leur premier album.

Marlene Dietrich, en live et à sa manière, 1963. Elle l’enregistrera aussi en allemand et en français.

Hildegard Knef, une Marlene Dietrich de seconde main, en allemand, 1963.

The Brothers Four, toujours brillants dans leurs harmonies vocales.

Le groupe suisse, les Sauterelles, version très spéciale, 1968.

Jimmy Somerville, ex Bronski Beat, 2009.

ARS3, C’est possible en jazz aussi (commence vers 0’22), 2011.

Massive Attack, live Paris, 2019.

Pour terminer, un exemple sonore de mon propos d’introduction concernant  le mélange entre le folk et le blues. Ici vous avez Pete Seeger et son banjo, Memphis Slim au piano, Willie Dixon à la contrebasse. La chanson « T For Texas » ou « Blue Yodel » est blanche. Le mariage est parfait. Ceci aurait pu être enregistré dans les années 1930.

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