Exploration en terre musicale inconnue (37)

Au temps du vinyle, la production phonographique française est assez minimaliste par rapport à un pays comme les USA. Cela ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Malgré tout, une immense partie de cette production restera dans l’ombre, par manque de soutien de la presse spécialisée, par manque de diffusion radiophonique, par manque promotion. Je me souviens d’avoir vu chez les disquaires des représentants de maison de disques faire la promotion de nouveautés du catalogue. Ils n’avaient rien de différent des autres représentants, sauf qu’ils vendaient ou faisaient la promotion des disques au lieu de brosses ou d’assurances. Il y avait ce qui était en demande, les fameux succès du moment, et des trucs moins connus ou inconnus qu’il fallait essayer de refiler au disquaire en vantant la marchandise, charge à lui d’en souligner les mérites auprès d’une clientèle dont il connaissait les goûts.
Malgré cela une très grande partie de cette production est restée inconnue, ne s’est pas ou mal vendue, c’est en général ces disques qui font le bonheur des encyclopédistes, même certains sont devenus de très estimables pièces de collection. Allons faire un tour dans ces publications dont la plupart vous sont inconnues, autant les chansons que les artistes, à moins que vous n’ayez été un chasseur de disques averti pour quelques uns d’entre eux. Toutes les publication dont je parle ici ont bien été éditées en France et sont uniquement des 45 tours.

1970 – Deep Feeling / Do You Love Me. Remettre sur le métier les vieilleries est un exercice assez courant. C’est l’essai tenté par ce groupe anglais qui reprend le hit des Contours qui fut un morceau de bravoure pour Brian Poole & The Tremoloes en 1963. Version au tempo ralenti, mais le succès fut encore plus lent à venir, il ne vint même jamais.

1969 – Carolyn Franklin / Boxer. Qaund un artiste a du succès, il arrive souvent que la famille essaye d’en profiter. C’est le cas de cette Carolyn qui est la soeur d’Aretha Franklin. Mais elle fut loin d’atteindre la notoriété d’Aretha. Seule publication française.

1968 – Joni Mitchell / Night In The City. Ses albums sont certainement plus courants que ses 45 tours. Cette chanteuse canadienne est très liée à l’histoire de Woodstock dont elle fit une sorte d’hymne avec sa chanson éponyme. Ce 45 tours est le premier publié en France, il est assez peu visible.

1967 – Music Machine / Talk Talk. Un très beau collector. Tous les assommés de garage punk connaissent ce titre, mais sans doute beaucoup moins possèdent un exemplaire de cette édition française en EP. Mais c’est toujours aussi beau qu’elle que soit l’édition.

1964 – The Dixie Cups / You Should Have Seen The Way He Looked At Me. Encore un de ces disques de musique noire qui font les délices des collectionneurs. Cet EP publié par Vogue sous licence Red Bird, le label fondé par les compositeurs  Jeff Barry et Ellie Greenwich, est comme les autres rare et recherché.

1965 – The Shangri-Las / Give Him a Great Big Kiss. Ne boudons pas notre plaisir et restons sur le même label, mais cette fois-ci avec un groupe blanc, les fameuses Shangri-Las. Il y a 4 EP’s publiés en France, dont les deux derniers sont sans doute les plus rares. Ils sont tous bien cotés, mais le troisième est celui qui atteint les plus jolies sommes dans les ventes. Je connais bien leur discographie et je dois dire que tout voisine la perfection.

1964 – The Spotnicks / I’ll Never Get You. Parce que très populaires et connus dans le monde entier, la discographie du groupe est assez conséquente, même en France. Bien sûr, ils sont avant tout connus pour être un groupe instrumental. Cependant, les titres vocaux ne sont pas complètement absents. L’indice de la rareté de la discographie française est très variable, plusieurs publications furent rééditées à l’identique vers le milieu des années 1970, parmi ceux publiés originalement sur Président. Le EP intitulé « Around The World », uniquement vocal, est certainement plus rare que ses compères instrumentaux. Les vocaux sont confiés à Peter Winsnes qui ne faisait pas partie du groupe original. Bo Winberg, qui a entretenu la flamme des Spotnicks durant 60 ans est décédé au début de l’année.

1964 – The Carefrees / We Love You Beatles. Groupe anglais féminin pour les vocaux et masculin pour les instruments. Composé notamment de deux ex-Vernon Girls, Betty Prescott et Lynn Cornell, qui fut également la femme de Andy White, qui joue de la batterie sur le premier single des Beatles à la place de Ringo. Pourquoi ne pas profiter de dire aux Beatles qu’on les aime à travers une chanson? Ce fut fait, mais n’attira guère les succès. Ce titre est inséré sur un EP paru chez CBS en France avec trois autres interprètes. Cette publication est loin d’être courante.

1971 – Blonde On Blonde / Castles In The Sky. Après une première publication par Vogue tout aussi obscure, on tente une nouvelle fois d’imposer en France cet excellent groupe du progressive anglaise. L’essai ne fut pas plus concluant. Un truc pour collectionenurs du genre.

1970 – Charlie Brown / Ro Ro Rosey. Chanteur américain plutôt peu connu qui essaye de tirer tout le jus d’une composition de Van Morrison, mais on peut préférer l’original. Seule publication en France.

1968 – The Buena Vistas / Soul Clappin’. Groupe américain figurant sur une de ces obscures publications françaises passées inaperçues même si elles fut publiée par une grosse maison. Mais j’imagine que cela aurait pu faire des ravages dans les discothèques. On peut y voir aussi un morceau ancêtre des musiques actuelles comme le rap ou autres.

1969 – Tiny Tim / Great Balls Of Fire. Personnage un peu à part dans le showbiz, il est surtout réputé pour sa voix de fausset, mais il possédait un registre bien plus étendu. Il avait l’habitude de reprendre des vielles chansons populaires américaines, mais aussi des trucs plus pop. Il fut même engagé par les Beatles pour figurer dans leur série de disques de Noël, enregistrés spécialement à l’intention des membres du fan club. On peut l’entendre sur celui de 1968, interpréter une version de « Nowhere Man », (voir second clip). Pour le premier, il s’agit d’un single publié en France par Vogue comprenant une version de « Great Balls Of Fire » de Jerry Lee Lewis. Il ne devint jamais une grande star et connut le succès très tardivement, à presque 40 ans. Comme un bon artiste, il mourut sur scène d’une crise cardiaque en 1996.

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En passant

Bas nylons et une bagnole qui roule en Finlande

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Au tournant des sixties, l’option pour les teenagers de parvenir à la célébrité en jouant de la musique devint obsessionnelle pour une partie d’entre eux. C’est le cas en Angleterre, ainsi que pour de nombreux autres pays. Ce qui emballa la machine, c’est que les jeunes deviennent des consommateurs, le marché est intéressant et la situation sociale fait qu’il y a un boum consumériste d’après-guerre, l’argent circule. Jusqu’en 1960, l’Angleterre a son propre marché musical, on observe surtout ce qui se passe aux USA et parfois on importe les hits américains via des artistes locaux, ou alors on s’inspire du style. Il en va ainsi pour le skiffle, mélange de jazz et de folklore américain. Le rock and roll est relativement peu présent du point de vue production locale. Seuls Tommy Steele et Cliff Richard peuvent prétendre, avec quelques personnages plus secondaires comme Vince Taylor ou Wee Willie Harris, à se coller une étiquette rock. Comme consolation, pas mal d’artistes anglais trouvent un débouché en Allemagne sur les bases américaines encore stationnées dans le pays. L’armée US veut divertir ses soldats  et ne regarde pas à la dépense, on fait naturellement appel aux Anglais, géographiquement très proches et parlant la même langue. On sait que les Beatles font partie de cette équipe, plus spécialement trois d’entre eux. A partir de 1963, quand ils commencent à conquérir musicalement le monde, reléguant les USA au second plan pendant deux ou trois ans, la demande en produits musicaux anglais se fait plus pressante. Comme on ne peut pas cloner les Beatles, tout les sujets de sa majesté qui font de la musique sont les bienvenus. Un nombre incroyable d’artistes, surtout des groupes, trouvent un emploi plus ou moins lucratif. Le marché devient vite encombré, il faut essayer de décrocher un contrat ou aller voir ailleurs.
Nous allons parcourir, du moins partiellement, la carrière d’un de ces groupes qui trouva le succès ailleurs. Si je m’arrête sur eux, c’est qu’ils furent plutôt du genre intéressant, ils surent faire de très originales reprises, à côté d’un répertoire assez important de compositions originales, dont un album entier. Ils ont immanquablement un style et un son personnel. J’en ai déjà parlé ici, il s’agit des Renegades. Pendant longtemps, j’ai ignoré pas mal de choses sur eux. J’avais en tout et pour tout, le EP paru en France. Dans les années 1970, lors de voyages en Italie, j’ai découvert pas mal de pressages italiens, et un vendeur m’a confirmé qu’ils avaient eu pas mal de succès dans le pays. Verrs la fin des années 1980, j’ai eu un échange avec un collectionneur finlandais qui m’a appris toute l’importance qu’à eu ce groupe en Finlande. Mieux que ça, il m’a fourni une discographie de ce qui avait été publié là-bas. Il m’a même refilé un CD qui regroupait les deux premiers albums finlandais. Cerise sur le gateau, il m’a envoyé une vidéo VHS avec le groupe en live, celle que je vous propose plus bas. Par la suite, j’ai complété avec les vinyles dont plusieurs publications allemandes et trois albums d’époque dont deux allemands et un hollandais. En 1998, je suis allé à la foire aux disques de MIlan, coup de chance Kim Brown était présent, du moins ça m’avait l’air d’être lui. Je lui ai demandé et il m’a répondu oui. Malheureusement, je n’avais rien à faire signer, ni rien pour faire une photo. et après l’échange de quelques mots, il a du partir. Dommage, j’aurais bien bu un pot avec lui.
Ils viennent de Birmingham et se formèrent en 1960. Le groupe original se compose de Denys Gibson (1945-2016), guitare solo; Kim Brown (1945-2011), chant, guitare rythmique, claviers; Ian Mallet (1945-2007), basse; Graham Johnson, (1946- ), seul survivant, batterie. Les débuts sont très modestes, à part se produire sur des scènes locales, l’horizon est bouché. En 1964, ils ont la possibilité d’enregistrer un album de reprises de hits, mais ils ne sont même pas crédités. Un de leurs enregistrements apparaît aussi sur un album d’artistes divers dédié aux groupes de Birmingham « Brum Beat ». Les choses s’accélèrent quand ils ont la possibilité de se produire en Finlande. Ils reçoivent un accueil triomphal, ce qui décide un producteur local de leur signer un contrat. Ils sont assez remuants sur scène et ont adopté comme tenue de scène les uniformes de l’armée nordiste de la guerre de Sécession. La Finlande a trouvé un succédané aux Beatles qui ne se produiront jamais dans ce pays. Ils mettent en boîte un morceau qui deviendra leur titre fétiche « Cadillac ». C’est une réécriture de « Brand New Cadillac » de Vince Taylor, dont ils ont changé le rythme et aussi adapté les paroles. C’est un gros succès local, qui dépassera largement les frontières du pays et les fera connaître pratiquement dans toute l’Europe. Deux groupes suédois, les Shamrocks (avec lesquels les Renegades échangeront des compositions), les Hep Stars (avec Benny Anderson futur Abba), en feront des succès personnels via leur propres versions, no 1 en Suède pour les Hep Stars. Un grand nombre de groupes en réaliseront aussi une adaptation. Parallèlement, ils entament aussi une carrière fructueuse en Italie, en quelque sorte leur troisième patrie. Ils sortiront plusieurs albums et des enregistrements en italien dont une version de « Cadillac ». Denys Gibson quitte le groupe en 1966 remplacé par Joe Dunnett et Mick Webley en septembre 1967.  Sous leur nom, ils continueront d’enregistrer jusqu’en 1970, des titres moins intéressants. Par la suite, Kim Brown et Graham Johnson continueront dans un groupe de rock revival très populaire en Italie. Kim & The Cadillacs. En 1987, ils se reforment pour jouer en Finlande, ils arrivent à remplir des salles de 5000 personnes. Graham Johnson, le seul survivant, est encore accueilli en héros en Finlade, il vit en Italie, la télévision finlandise lui a même consacré un reportage en 2019. Le groupe a encore de nombreux fans dans le pays et ce qui pourrait fortement ressembler à un culte.
Nous allons explorer la discographie du groupe entre 1964 et 1967, je vous mettrai les commentaires adéquats avec les clips.

1964 – Une reprise de « Love Me Do » des Beatles sur l’album « The Mersey Sound » où ils ne sont pas crédités. On devine déjà le son qui sera le leur plus tard.

Le titre qui figure sur la compilation « Brum Beat » version rock d’une mélodie classique de Brahms.

Clip en playback du fameux « Cadillac ». Numéro 2 en Finlande,

Face B de « Cadillac » dans de nombreux pays. Un original un peu pompé sur le « Dr Feelgood » de Johnny Kidd.

Second single Finlande, reprise d’un traditionnel folk.

Troisième single Finlande, un très bel original.

Une de leurs plus belles réussites et un de leurs plus emblématiques enregistrements. Un dépoussiérage total d’un vieux titre de Bill Haley (historiquement ce titre était la face A de « Rock Around The Clock » avant que les radios se décident pour programmer l’autre face. Tourné en Finlande, le clip est sur le playback du titre. C’est assez décadent pour l’époque. Y’a de l’ambiance !

Reprise de « Take A Heart » des Sorrows, bien dans leur style. Ce titre figure aussi sur le seul EP français paru chez Riviera avec « Cadillac »

Un très bel original des Renegades qui fait partie de ces échanges de titres enregistré avec les Shamrocks, titre publié en France sur le premier EP des Shamrocks avec leur version de « Cadillac »

Ici c’est l’inverse ce sont les Renegades qui reprennent un titre des Shamrocks.

Un titre original qui figure sur le troisième album finlandais.

La chanson qu’ils présentèrent au festival de San Remo en Italie, en même temps que les Yardbirds autres concurrents. C’est bien sûr enregistré en italien. Clip sur le palyback.

Un titre du troisième album finlandais « Pop », un album entièrement composé d’originaux signés par le groupe.

Documents

Heureusement, il existe pas mal de petits films qui retracent le parcours des Renegades, en voici quelques uns.

« Cadillac » en live en 1965 en Finlande, un petit moment de folie. Monter le son, car c’est assez faible. C’est le problème avec les gens qui ont toujours le volume à coin. Il manque juste un petit bout à la fin.

Une reprise de « Long Tall Shorty » en live. Ca bouge pas mal. Ils devaient avoir pas mal de présence sur scène.

En vrai live, « Take A Heart » à peine différent de la version studio.

Seven Daffodils en live. Le son n’est pas top et les commentaires en surimpression ne sont pas les miens. Il faut aller la voir sur Yiutube, elle n’est pas en partage

Clip de 2001 en Finlande, trois membres originaux sauf Denys Gibson remplacé par Trutz Groth.

Graham Johnson aujourd’hui

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En passant

Musique pour confinement (2)

Pour faire passer un peu le temps, une sélection de musiques dans tous les styles, toutes les époques, dont quelques découvertes personnelles.

1968 – The Left Banke / Desiree. Du psychédélique un peu baroque, très belles harmonies vocales. Un régal !

1969 – Fifth Dimension / Aquarius / Let The Sunshine In. L’un des plus flamboyants hits de 1969, c’est bien sûr extrait de « Hair ».

2013 The Mystic Braves / Trippin’ Like I Do. Groupe américain dont les parents des membres devaient carburer à la musique psychédélique. C’est mieux que si cela avait été le cas avec Mireille Mathieu.

1971 – Steel Mill / Green Eyed Good. Ca n’est jamais passé à la radio, mais c’était bien quand même. Presque 50 ans plus tard, on regrette qu’on n’invente plus des trucs aussi charmants.

1974 – Terry Jacks / If You Go Away. De toutes les chansons de Brel reprises en anglais, je trouve celle-ci assez bien réussie.

2016 – The Beauty Of Gemina / All Thosse Days. Groupe suisse de dark wave.

1966 – The Squires / Going All The Way. Une de ces belles obscurités garage sixties qui font tout le charme de cette époque.

1965 Eddie Boyd / Five Long Years. Il reprend en live un de ses plus fameux titres. Buddy Guy à la guitare.

1964 -Un petit hommage à Christophe, ce fut son premier disque et sans doute son plus grand bide. Et pourtant ça tient la route !

1965 – Larry Greco / Jette-là. Il n’y a pas beaucoup de productions françaises sixties qui peuvent rivaliser avec les anglo-saxonnes. Celle-ci en est une. Elle prouve aussi qu’Eddie Vartan, le frère se Sylvie, était un excellent chef-d’orchestre. Et quel vocal !

1982 – The Unknows / The Streets. Un des très bons groupes des années 80.

1990 – The House Of Love / Shine On. J’aimais bien, trente ans déjà.

2015 – Le Roi Angus / Sommeil Trompeur. Ce sont des Suisses et  ils ne sont pas en chocolat.

1984 – Plan Nine / Five Years Ahead From My Tme. Reprise d’une obscurité de Third Bardo, dans un version très hypnotique. Un must du genre.

2019 – Roseaux Ft. Ben l’Oncle Soul – I Am Going Home. Très belle réalisation française.

2019 –  RHR Redfern,Hutchinson & Ross / Willie The Pimp. Un trio de guitaristes anglais plutôt pointus, s’amusent sur un très célèbre titre de Frank Zappa.

Encore un petit hommage, cette fois à Bo Winberg, pionnier de l’amplification de guitare sans fil et immuable soliste des Spotnicks pendant 60 ans, décédé au début de cette année à 81 ans.

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