En passant

Bas nylons et un fin nez

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Les mouvements anarchistes fleurirent dès la moitié du 19ème siècle. Comme dans tous les mouvements politiques, on trouve de multiples tendances. Une des constantes c’est l’idée d’un anti-autoritarisme et il n’y rien qui appartienne à quelqu’un, la propriété est un vol. L’anarchisme n’est pas un fait typiquement européen, on le trouve sur tous les continents, dans toutes les sociétés organisées. Mais c’est bien les mouvements qui naquirent en Europe qui sont le plus ancrés dans l’histoire, suivi des nombreux qui virent le jour un peu plus aux USA, à la nuance près que là-bas on devient vite un anarchiste dès que l’on est un peu marginal et revendicateur. Comme dans tous les mouvements politiques, on trouve ses pionniers, ses héros. Bakounine est un exemple connu, il prône un socialisme libertaire qui rencontra pas mal d’échos. Parler de l’histoire de l’anarchisme est un vaste sujet, des auteurs l’ont fait, et ce n’est pas mon propos ici, mais je vais parler d’un cas précis. Il s’est déroulé en France dans l’ombre de la bande à Bonnot, ce sera aussi l’occasion de revisiter un peu les faits réels qui deviennent un peu fiction au fil des années qui passent.
Dans l’épisode deux de la fameuse série Les Brigades du Tigre, « Nez de chien », on y retrouve un pur anarchiste sous les traits de Louis Lacombe dit « Nez de chien ». Dans cette série, on croise facilement des personnages célèbres qui apparaissent et disparaissent pour laisser place au contexte de l’époque et aux aventures de cette première équipe de flics qui commence à lutter de manière moderne contre le crime. Ces aventures sont imaginaires, mais l’ambiance y est assez fidèlement reproduite et les méthodes employées par la police tout aussi réelles. Dans ce fameux épisode deux, le personnage qui tient la vedette côté bandits a réellement existé et les faits qui se déroulent devant nos yeux, spécialement vers la fin avant son arrestation, sont bien ceux qui correspondent à une part de la réalité. Par contre, comme il est dit dans l’introduction de l’épisode et à bien d’autres places, il ne fit jamais partie de la bande à Bonnot. Il en était certainement un émule et fréquenta les milieux anarchistes, mais on peut imaginer qu’il était plutôt très extrémiste et solitaire.
En 1912, une série d’attentats se produisent dans Paris, revendiqués par un certain « Nez de chien », un anarchiste tendance violente qui nargue la police. Derrière ce personnage se cache le réel Léon Lacombe dit « Le Chien » (Louis « Nez de chien » dans l’épisode), interprété par un époustouflant Gérard Lecaillon qui joue aussi un bluffant rôle de femme. Le commissaire Valentin est chargé de mettre fin à ses agissements. Ils sont mis sur sa piste par le meurtre d’un contrôleur des chemins de fer, qui d’après les témoins semblait connaître son meurtrier. Dans la réalité, Lacombe a bien tué un contrôleur, mais parce qu’il n’avait pas de billet. Une enquête auprès des parents du contrôleur tué permettent de trouver une photo de leur fils posant en soldat avec Lacombe à ses côtés. La photo est diffusée dans la presse. Lacombe traqué doit trouver un refuge. Se croyant trahi par l’éditeur d’un journal anarchiste L’Idée libre, Jules Erlenbach, il le prend en otage et finit par lui tirer une balle dans la gorge, il mourra quelques jours plus tard. Cette partie, Lacombe se croyant trahi et le prenant en otage est restitué dans l’épisode, mais cela se termine mieux pour l’éditeur et Lacombe est arrêté. En fait, Lacombe s’échappe et sera arrêté dans une fête foraine, le 11 mars 1913. Mais il fera encore parler de lui, le 5 avril suivant. Incarcéré à la Santé, il parvient à se hisser sur le toit de la prison et nargue les gardiens et la police, avant de se jeter dans le vide et se tuer. Cette histoire fit pas mal de bruit et on la commenta passablement dans les journaux. Nous allons parcourir ce qu’en disait le Petit Parisien. Je suis assez surpris par le contenu de l’article qui en fait largement sa une et s’étale sur le sujet, c’est presque du direct de télévision, sans télévision. Très honnêtement, je m’imaginais qu’on allait le faire passer pour la dernière des fripouilles, un bon débarras pour la société. Eh bien non, lors des faits, ses paroles semblent avoir été retranscrites assez fidèlement, pourtant le journal est loin d’être un journal de gauche. Même s’il ne prend pas sa défense, l’article donne un éclairage sur sa cause, si obscure et peu défendable soit-elle, plus que ne l’aurait fait un procès. On lui attribue plusieurs attaques et meurtres, mais c’est une vieille ficelle de la police d’attribuer aux défunts des cas irrésolus. Lui seul sait ce qu’il en a été dans la réalité. Il fait partie de ces gens qui entrent dans l’histoire par la petite porte, mais le moindre courant d’air la referme sur leur mystère.

Source Gallica, BNP, DP