
Julien Duvivier (1896-1967) est un cinéaste que l’on peut considérer comme un des actes majeurs du cinéma, au moins vu sous l’angle français. Sa filmographie est inégale, le meilleur n’avoisine jamais le pire, tout au plus ses films sont plus ou moins réussis. Citons « Golgotha » (1935); « La Bandera » (1935); « La Belle Equipe » (1936); « Pépé Le Moko » (1937). Remarquons la présence dans ces films de Jean Gabin, auquel Duvivier apportera sa contribution à en faire un mythe, avec la complicité de Renoir et Carné. Après la guerre, la série des « Don Camillo » avec Fernandel lui vaudra un franc succès, en laissant dans l’ombre des films qui sont sans doute plus aboutis pour les cinéphiles. Tout le monde connaît Don Camillo, mais pas forcément Pépé Le Moko.
Le fantastique est assez peu abordé par le cinéma français d’alors. Les Allemands et dans une certaine mesure les Américains en sont plus friands. Ici, Duvivier reprend un thème déjà abordé aux temps du muet par le Suédois Victor Sjöström en 1920, celui de la mort qui vient chercher les vivants. Ce thème est visité de diverses manières selon les pays et les croyances. Chez les Bretons, c’est l’Ankou qui rôde avec sa faux et qui vient frapper à la porte. Ici c’est une charrette qui rôde le 31 décembre à minuit aux douze coups de l’horloge. Le grincement de ses roues et sa vue épouvantent ceux qui connaissent sa signification. L’âme en peine élue devra errer en la conduisant jusqu’au prochain réveillon avant de connaître le repos éternel.
Le film se déroule dans un milieu populaire, misérable, où les bons côtoient les mauvais. Dans les mauvais, on trouve David Holm (Pierre Fresnay), individu violent et ivrogne. Parmi ses copains de misère, David (Louis Jouvet) connaît la légende de la charrette et se garde bien de se trouver là où il ne faut pas. Une soeur salutiste (Marie Bell), tente de ramener David dans le droit chemin, mais celui-ci arrogant et fier tente de la dissuader par tous les moyens. Au fil des scènes, on contemple non sans en apprécier la saveur, comment tout ce petit monde tient son destin entre ses mains. Au fameux soir de la Saint Sylvestre, avant et pendant que la charrette apparaît, le destin tournera les choses à sa manière.
Le films qui décrivent le milieu social des années 30 sont assez nombreux dans le cinéma français de cette époque. On peut citer à juste titre « La Belle Equipe » du même cinéaste, « Le Jour Se Lève » de Marcel Carné, « La Bête Humaine » et « Le Crime De Monsieur Lange » de Jean Renoir. qui donnent un bon reflet de la condition ouvrière, pas toujours facile. Dans le film qui nous intéresse, en faisant abstraction du côté fantastique, on retrouve aussi cette étude. Pierre Fresnay quitte un peu ses rôles distingués pour aborder avec réussite, celui d’un personnage peu recommandable. Louis Jouvet est toujours égale à lui-même, il sait toujours donner du relief à ses rôles. Bien qu’il semble toujours avoir détesté le cinéma, on ne peut pas dire qu’il se contente d’y faire de la figuration. Parmi la distribution, on ne peut que se réjouir de la présence de Robert Le Vigan, un très grand second rôle. Il fut une vedette en devenir, mais brisa sa carrière en suivant, hélas, Céline dans la collaboration. Marie Bell est parfaite comme dans la plupart de ses films, presque un peu trop classe pour une dame qui voue sa vie à sauver des âmes.
Sans être le film absolu, « La Charrette Fantôme » mérite une redécouverte, d’abord parce que c’est un film fantastique et aussi pour le plaisir de retrouver une pléiade de bons acteurs qui conduisent le film de bout en bout.
Réalisateur: Julien Divivier
Sorti en 1940
Durée: 1h 50
Noir et blanc
Distribution
- Louis Jouvet : Georges dit « l’étudiant », ami de David
- Micheline Francey : sœur Edith, malade des poumons
- Marie Bell : sœur Maria
- Ariane Borg : Suzanne
- Marie-Hélène Dasté : la prostituée
- Andrée Mery : la vieille repentie
- Mila Parély : Anna
- Valentine Tessier : la capitaine Anderson
- Madame Lherbay : la vieille qui meurt
- Génia Vaury : une salutiste
- Suzanne Morlot : une salutiste
- Pierre Fresnay : David Holm, souffleur de verre, aigri et malade
- Robert Le Vigan : le père Martin
- René Génin : le père Éternel
- Alexandre Rignault : le géant, vrai coupable du meurtre
- Pierre Palau : M. Benoît
- Jean Mercanton : Pierre Holm, frère de David, accusé à tort
- Henri Nassiet : Gustave, un compagnon de David
- Philippe Richard : le patron du cabaret
- Georges Mauloy : le pasteur
- Jean Joffre : le gardien de prison
- Marcel Pérès : un consommateur
- Jean Claudio : un enfant de David
- Michel François : un autre enfant de David
- Jean Buquet : un autre enfant de David
- Jean Sylvain : un salutiste
- et autres
DVD
Bonjour Mr Boss,
J’aime bien le genre « fantastique » et le cinéma français en possède quelques bons titres. Trop souvent peu diffusés.
J’avais vu le film « la main du Pendu » à la TV vers fin années 1970/ début années 1980. Avec, me semble t-il, Pierre Fresnay, dans les rôles principaux. Pour Fresnay, il y a aussi le très émouvant « Monsieur Vincent » (1947) qui retrace la vie du saint homme (qui fut confesseur officiel de la reine Anne d’Autriche et aumônier des galères), sur FR3 (?) diffusé vers 1978.
Hier soir, la chaine TV5Monde passait un documentaire retraçant la carrière de Marcel Pagnol, le père de la « Trilogie marseillaise » bien connue et incarnée par Raimu, Fernandel, Charpin et Fresnay dont on a pu revoir des extraits.
Gabin a été l’acteur fétiche de ces réalisateurs à cette époque. Robert Le Vigan avait incarné le rôle du Christ dans « Golgotha » face à un Jean Gabin jouant Pilate, l’impitoyable procurateur de Judée. En effet, sa carrière fut brisée à la Libération pour les raisons évoquées.
Ces réalisateurs ont produit des chef-d’oeuvres qui resteront encore dans la mémoire cinéphile collective, servis par des artistes prestigieux. Merci messieurs Lumière !
Bon WE. Peter.
Hello Peter,
Dans le film Golgotha, un grand film, Le Vigan a sans doute un de ses meilleurs rôles, sinon le meilleur. Il crée un personnage assez halluciné. Je ne suis pas trop féru du films inspiré de l’histoire biblique, mais on peut le prendre comme un film d’aventures.
Fresnay a aussi été un acteur intéressant, il pouvait passer d’un genre à l’autre avec une certaine aisance, tout en restant crédible, comme Gabin d’ailleurs.
Enfin, ce sont des acteurs d’un autre temps, ils gardaient un peu leur part de mystère. Aujourd’hui, on les voit trop en dehors des films, il faut absolument qu’ils viennent donner leurs opinions politiques à la télévision ou soutenir une cause ou un organe caritatif dont ils ont rien à foutre.
Mais vive le cinéma !
Bon dimanche
Bonsoir Mr Boss,
Je suis bien d’accord avec vous. Je pensent aussi que les artistes devraient s’abstenir en tant qu’invités sur un plateau télé d’étaler leurs convictions politiques ou humanitaires. Leurs « nobles » (?) combats ne regardent que leur propre conscience et s’en épancher devant les caméras ne font que ternir leur images publiques. Le grand public est assez mûr d’esprit pour décider de ces propres choix. Ce qui m’intéresse quant je vais au cinéma ou en d’autre lieux culturels, c’est surtout de voir mon artiste préféré que je viens apprécier pour son talent et non pas pour sa prétendue « leçon de moralité » si je puis dire. Un peu de modestie de leur part serait parfois de mise. « Les conseilleurs ne sont pas les payeurs » comme l’affirme un dicton populaire.
Amicalement. Peter.
Hello Peter,
Bien vu. Il m’est arrivé souvent de croiser des artistes connus en tant que journaliste musical; j’ai quelquefois passé des moments avec eux ou eu de longues conversations. Cela est toujours resté dans le cadre artistique ou parfois de la vie de tous les jours. Le plus marrant c’est que je me suis trouvé deux fois avec l’un d’entre eux pour une interview télé. A certaines questions de l’animateur concernant notamment sa carrière, il ne répondait pas et lui disait de me demander à moi ce que j’en pensais en affirmant que j’étais mieux placé que lui pour répondre..Hélas, il ne sont pas tous comme ça.
Bonne semaine