En passant

Bas nylons et poste anarchique

Nous allons un peu revisiter un phénomène politique qui déferla sur l’Europe au 19ème siècle, l’anarchie. Ce qui m’a amené à reparler de ceci dans mon blog, c’est le hasard d’une découverte en librairie. Un livre écrit par un auteur suisse, Daniel de Roulet, et qui a pour titre Dix Petites Anarchistes. Et puis, j’ai toujours eu une tendresse pour les idées qui vont à l’encontre de la politique par trop consensuelle, les mêmes discours mille fois répétés qui ne changent rien. L’anarchie est un épouvantail qu’on a souvent agité, mais je crois que ses adeptes ont partagé et partagent encore un idéal commun, celui de vivre dans une fraternité sans autorité supérieure, où l’argent et posséder me sont pas le moteur universel. Je n’en suis pas un, mais je dois bien admettre que tout ce que j’ai fait, où ce qui m’est arrivé dans la vie, frise une anarchie involontaire, dans le sens que je n’ai jamais rien fait exactement comme les autres. J’ai toujours dans un coin la mots que mes collègues de travail m’avaient écrits lors de mon départ à la retraite. On y lit quelques banalités, mais une de mes collègues a pris sa plume et transmis ses impressions. C’est assez révélateur, J’avais quand même un petit côté anarchiste dans ma manière d’être avec mes relations professionnelles, partager ma vie avec celle des autres, aller vers un même but en douceur, sans mettre le boulot par dessus tout. J’avais pourtant un poste à responsabilités, ça c’est le côté un peu moins anarchiste, mais personne n’est parfait.

Le livre raconte l’épopée d’un groupe de femmes qui firent de l’anarchie une méthode de vie. L’auteur romance l’histoire en se basant sur un cahier tenu par l’une d’entre elles, la dernière survivante, auquel elle met un point final en juin 1910 à Montevideo en Uruguay. L’histoire commence en Suisse vers le milieu du 19ème, dans un des berceaux de l’horlogerie suisse, à Saint-Imier dans le Jura francophone. Au pied du village coule une rivière qui donna son nom à un apéritif bien connu, La Suze. A cette époque, la Suisse est encore un pays pauvre, on y tire fréquemment le diable par la queue. Il ne faut pas perdre de vue que le pays a été unifié seulement en 1848, mais il va gentiment prendre son envol, l’horlogerie en sera un des piliers. On trouve déjà des marques qui sont ou vont devenir des références encore aujourd’hui, Breitling, Heuer, Longines. L’implantation de l’horlogerie dans ces régions, n’est pas tout à fait un hasard. Elles disposent d’un potentiel de main d’oeuvre assez conséquent, assez facilement malléable, car il n’y a pas d’industrie concurrente. Et puis, l’horlogerie demande une certaine minutie, chose dont les gens des lieux semblent amplement pourvus. Malgré tout, le situation n’est pas idyllique, un jour on a du travail, le lendemain plus, il n’y a pratiquement aucune sécurité sociale et les caisses de chômage sont encore à l’état de projet comme dans bien d’autres pays.
Pour cela et encore d’autres raisons, Saint-Imier va devenir un haut lieu de l’anarchie, notamment avec la visite en 1872, de Bakounine, figure emblématique du mouvement. Ce Russe n’est pas venu en Saint-Imier pour poser les bases de l’anarchisme, il a déjà 58 ans. Il a fait cela pratiquement toute sa vie, parcourant l’Europe pour imposer ses idées, mais il a séjourné assez longtemps en Suisse, pays sans doute un peu plus en avance démocratiquement. Le 15 et 16 septembre, a lieu un congrès international où le mouvement fonde L’Internationale anti-autoritaire, nouvelle tendance du courant anarchiste. Le situer à Saint-Imier est un choix assez judicieux, car les habitants sont assez ouverts à ses idées, il se battent pour une amélioration de leur condition. Il y a déjà eu quelques mouvements sociaux d’assez grande ampleur, on a même fait venir l’armée. On écoute Bakounine avec une certaine attention, tout en étant assez acquis à ses idées. Encore aujourd’hui 150 ans après, on est assez fiers de ce passé. Une rue porte même son nom, c’et pas à Monaco que cela arriverait.

Mikhaïl Bakounine

Nos dix anarchistes femmes sont acquises aux idées et décident de s’y convertir définitivement. Mais pour cela il faut partir, aller le plus loin possible. Sans être une mode, la chose est assez courante alors. Ce qui est sûr, c’est que si l’on reste en Suisse, il y a peu de chances de concrétiser ces idéaux, il faut aller voir ailleurs. Le gouvernement suisse facilite même les choses, à certains citoyens en mal avec la justice, on accorde un pécule pour émigrer sur les terres lointaines. La seule condition, ne jamais remettre les pieds aux pays. Même si nous sommes à une époque où les transports sont encore assez primitifs, il existe des filières qui vous mènent aux quatre coins du monde. On considère qu’un peu moins de 3% de Suisses ont émigré hors de l’Europe durant la seconde moitié du 19ème. Bien entendu, tout un folklore est associé à ces voyages lointains, il y a de l’or partout, les paradis terrestres ne se comptent plus, il est quand même assez vrai que parfois ces voyageurs envoient de l’argent à leur famille. où reviennent le cul bordé d’or. C’est bien la preuve qu’ailleurs c’est possible, donc c’est vrai. Un courrier qui a mis de long mois pour parvenir au destinataire, le confirme où l’infirme.

A titre de comparaison, le journal d’où est tirée l’annonce coûtait 6 francs pour un abonnement annuel, c’est un bi-hebdomadaire.


Le 5 août 1872, elle s’embarquent à Brest avec l’intention de rejoindra la Patagonie sur un bateau militaire qui emmène des communards en déportation, à bord une certaine Louise MIchel. Elles ont un peu d’argent, quelques bagages, et chacune un oignon, pas le légume, mais la montre de poche. Après quatre mois de voyage, elles débarquent à Punta Arenas sur la côte chilienne. Commence alors une vie sous un régime volontaire avec option anarchiste, il n y a pas de chef, on se débrouille en construisant une boulangerie, en réparant des montres. Ni dieu, ni maître, ni mari ! On fait aussi parfois de belles rencontres, des anarchistes venus d’ailleurs, fuyant le répression dont ils sont victimes ailleurs, alors on fraternise. On vit tant bien que mal selon les principes voulus. On part ensuite s’établir sur l’ile où vécut Robinson Crusoé, l’Argentine, l’Uruguay, dernière escale de la dernière survivante. C’est si loin Saint-Imier.
Au congrès de Saint-Imier, apparaît un jeune disciple de Bakounine, Errico Malatesta (1853-1932). Toutes les filles tombent amoureuses de lui. Il restera fidèle en amitié et correspondra avec elles tout au long de leur exil. en leur racontant ses combats, ses espoirs, ses échecs. Il les retrouvera même en Argentine et aura une liaison avec l’une d’entre elles. Il survécut plus de 50 ans à Bakounine, faisant de lui un disciple qui ne cessa de propager ses idées, entre fuites et séjours en prison. Il mourut assez âgé à Rome en 1932. Sa tombe et celle de Bakounine existent toujours et sont toujours fleuries.
Il nous livre un témoignage sur Bakounine, assez rare de la part d’un proche.

Errico Malatesta
Errico Malatesta

2 réflexions sur “Bas nylons et poste anarchique

  1. Bonjour Mr Boss,

    Très intéressant récit. Merci pour toutes ces informations.
    Oui, à toutes époques, des personnes se sont dressées et opposées à toutes formes d’asservissement de leurs semblables. Souvent elles ont du vivre dans la clandestinité, avec le soutien des populations amies.
    Bakounine préchait la théorie du « Nihilisme », la destruction des codes sociaux établis et leurs refonte pour une société plus équitable.
    Au 19è. siècle, la révolution industrielle est en plein essor et des fortunes s’établissent sur cette nouvelle économie. Les populations des campagnes essaient de trouver du travail vers les villes. Les premières lois sociales datent de 1880 avec le député et avocat vosgien, et père de l’instruction obligatoire, Jules Ferry. Il fait voter les premières lois syndicales en 1884.
    Le « mouvement anarchiste » durera jusqu’àprès le premier conflit mondial.
    On se souvient de l’exécution des deux anarchistes d’origine italienne, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, aux Etats-Unis, malgré les soutiens en leur faveur de part le monde.
    Dans le film « Germinal » de Berri, en 1993, la fresque ouvrière s’achève sur la destruction de la mine de charbon par un militant anarchiste, joué par Laurent Terzieff. au nom de la lutte contre le capitalisme.
    C’est vrai que les femmes ont été les grandes oubliées des combats sociaux.
    Louise Michel, surnommée la « Vierge Rouge », déportée en Nouvelle-Calédonie, ou Rosa Luxembourg, en Allemagne, en ont été les figures les plus marquantes. Par glissement, on peut évoquer leur implication dans l’obtention des droits civiques. Ainsi, au début du 20è. siècle, les citoyennes britanniques que la presse populaire avait ironiquement surnommées les « Suffragettes ».
    Mais ceci est une autre histoire…
    Bon WE. Peter.

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