Sous le règne des rois de France, les dames étaient le plus souvent des courtisanes, des maîtresses, ou des femmes d’esprit. Cela n’empêcha pas certaines d’entres elles de faire aussi bien que les hommes dans des domaines plus spécialement réservés aux hommes. Les beaux joueurs reconnaissaient volontiers leurs qualités. Par exemple, Louis XIV admettait que sa favorite, Madame de La Vallière, pouvait lui damner le pion en manière d’équitation. Elle était capable de faire carrément un numéro de cirque à cheval. Il se laissait volontiers charmer par les femmes qui avaient plus d’érudition que lui, il recherchait même leur compagnie, sans toujours vouloir les amener dans son lit. Certaines comme la princesse Palatine, femme du frère à Louis XIV qui s’emmerdait royalement à Versailles, écrivit des dizaines de milliers de lettres, faisant d’elle une des plus prolifiques plumes de la cour, un océan d’encre, avait-on l’habitude de la désigner. Son esprit pétillant, la maîtrise de sa langue d’adoption, sa plume souvent trempée dans le vinaigre, se retrouvent dans ses écrits. On ne peut non plus pas oublier la marquise de Sévigné, autre dame de lettres et chroniqueuse à la cour. Il est un domaine où les femmes brillent par leur absence, mais quand il y en a une, elle brille bien, c’est le domaines des sciences. Il y en a eu peu, mais elles existent quand même. En voici une, astronome, mathématicienne, elle s’émancipa au temps des successeurs de Louis XIV. Elle brilla surtout grâce à l’honnêteté d’un homme qui sut reconnaître ses qualités de femme de science. Un astéroïde et un cratère lunaire porte son nom. On ne l’a pas complètement oubliée.

Nicole Reine Lepaute, née Étable, le 5 janvier 1723 à Paris, morte dans la même ville le 6 décembre 1788, est une calculatrice et astronome française. Elle est, avec Caroline Herschel et la marquise du Châtelet une des principales femmes scientifiques du siècle des Lumières.
Son travail est souvent inclus dans celui d’autres auteurs, dont Jérôme de Lalande et son mari. Mais, s’il faut en croire Lalande, qui l’aimait beaucoup, elle était « un maître plutôt qu’un émule ». Elle a notamment aidé au calcul de la date précise du retour de la comète de Halley de 1759 et est une contributrice majeure au calcul de l’éphéméride astronomique La connaissance des temps.
Nicole Reine Étable naît dans le palais du petit Luxembourg, où logent ses parents. Elle est la sixième de neuf enfants. Plusieurs membres de la famille Étable sont alors au service de la famille d’Orléans, à Versailles, puis au palais du Luxembourg. Son père, Jean Étable, ancien valet de pied de la duchesse de Berry, sert Louise Élisabeth d’Orléans, reine douairière d’Espagne. Son enfance et sa jeunesse donnent à Joseph Jérôme Lefrançois de Lalande des raisons de penser que, même jeune, « elle avait trop d’esprit pour n’avoir pas de la curiosité » ; elle n’a pu être qu’autodidacte.
Nicole Reine fait la connaissance des frères Lepaute (on trouve aussi « le Paute ») lorsque ces derniers viennent installer au palais du Luxembourg une horloge d’un nouveau type. Le 27 août 1749, à l’âge de vingt-six ans, épouse l’horloger Jean André Lepaute. En partageant le travail de son mari elle fait la connaissance de Jérôme de Lalande, qui obtient peu de temps après un observatoire au-dessus du porche du palais du Luxembourg.
En 1753, Lalande est chargé par l’Académie des sciences d’étudier une horloge de Jean André Lepaute qui est munie d’un échappement d’un nouveau type. Encouragé par Lalande, Jean André Lepaute — qui devient horloger du roi en 1753 — se lance dans la conception et la construction de pendules astronomiques. Nicole Reine fait ses premières armes en calculant des tables d’oscillations du pendule pour le Traité d’horlogerie de son mari.
Vient le temps du retour attendu de la comète de Halley. Lalande propose à Alexis Clairaut d’appliquer à la prédiction d’Edmund Halley sa solution (approchée) du problème des trois corps. Clairaut établira les modèles de calculs ; Lalande s’occupera, aidé de Lepaute, des monstrueux calculs que cela nécessite ; il s’agit principalement de mesurer l’effet des planètes Jupiter et Saturne sur la date de retour de la comète.
Le projet est une course contre la montre : il serait dommage que les calculs, même bons, paraissent après le passage de la comète. Lalande écrit : « Pendant plus de six mois, nous [Nicole Reine Lepaute et moi] calculâmes depuis le matin jusqu’au soir, quelquefois même à table ». Finalement, Clairaut annonce, en novembre 1758, le retour de la comète pour le 13 avril de l’année suivante. Justifiant leurs calculs — et assurant la gloire d’Edmund Halley — la comète passe à son périhélie tout juste un mois avant la date annoncée, le 13 mars 1759. L’équipe a eu un franc succès : non seulement on sait que les comètes peuvent revenir, mais on peut prédire la date de leur retour.
Clairaut publie en 1760 sa Théorie des comètes, mais en oubliant de mentionner le nom de Mme Lepaute parmi les calculateurs ; cet oubli est motivé par la jalousie de son amie du moment, Mlle Goulier, qu’il ne veut pas froisser en vantant les mérites d’une autre. Ce faisant, il met à mal sa longue amitié avec Lalande, qui préfère se ranger aux côtés de l’offensée. Clairaut supprima toute mention de Lepaute, écrira Lalande, pour « plaire à une femme jalouse du mérite de Madame Lepaute, prétentieuse mais dépourvue de quelque connaissance que ce fût. Elle parvint à faire commettre cette injustice par un homme de science judicieux mais faible, qu’elle avait subjugué ». Les deux hommes ne seront plus jamais aussi proches qu’auparavant ; Clairaut poursuivra seul ses recherches en astronomie.

Une table de calcul qu’elle a établie pour les vibrations d’une pendule de son mari.
En 1759 Jérôme Lalande se voit confier par l’Académie des sciences la charge des éphémérides astronomiques qu’elle publie et qui s’appellent La connaissance des temps. Il a besoin de calculateurs, qu’il engage. Il a aussi besoin — il est très occupé — de quelqu’un pour le seconder ; il choisit Lepaute. Deux ans plus tard, en 1761, Mme Lepaute se fait admettre à l’académie de Béziers ; elle avait auparavant fait présent aux académiciens de tables astronomiques, compilées par elle, pour leur ville.
Cassini de Thury, un rival et un critique acerbe de Lalande, présente cette équipe comme une « manufacture d’astronomie », dont il dit de plus qu’« elle est dirigée en second par une académicienne de je ne sais plus quelle académie ». Si nous n’avions pas les publications astronomiques de Lepaute, cela suffirait à établir son rôle
« Madame Lepaute, morte en 1788, écrira pour sa part Lalande, a calculé plus de dix ans les éphémérides de l’académie [des sciences]». Les éphémérides de La connaissance des temps serviront par exemple de base au calcul du transit de Vénus de 1761 et à celui de 1769.
Calcul par Lepaute des éphémérides des planètes, c’est à dire la position où elles se trouvent à un moment donné dans le ciel. Cela date de plus de 250 ans, sauriez-vous faire le même travail que cette dame ? Sans calculatrice, ni ordinateur bien entendu !
En 1774, Lalande prend la suite de l’abbé de Lacaille et passe, emmenant avec lui Mme Lepaute, à une publication qui s’appelle Éphémérides, dont deux tomes paraîtront sous sa direction : en 1774 (tome 7, pour les années 1775 à 1784) et en 1783 (tome 8, pour les années 1785 à 1792).
Lalande, dans ses préfaces, reconnaît le travail de Nicole Lepaute :
- tome 7 : « Les calculs de Saturne ont été faits par Madame le Paute [sic], qui, depuis bien des années, s’occupe avec succès du calcul astronomique » ;
- tome 8 : « Madame le Paute qui, depuis plus de 20 ans, s’occupe d’astronomie, a fait elle seule les calculs du Soleil, de la Lune et des planètes ».
Lalande porte également au crédit de Lepaute le calcul des éléments de la comète observée en 1762, ainsi que les éléments de l’éclipse annulaire du 1er avril 1764, pour laquelle elle dressera une carte de visibilité donnant la progression de quart d’heure en quart d’heure pour toute l’Europe.

Extrait des cartes de l’éclipse solaire de 1764, d’après les calculs (justes) faits par Lepautre
Grâce à l’honnêteté de Lalande et à sa grande estime pour Nicole Lepaute, nous en savons beaucoup. Mais pas assez. Voir le cas suivant, où les citations sont de Lalande dans sa préface aux Éphémérides parues en 1774.
- « J’avais annoncé d’avance, en partant des observations de 1714, les jours où l’anneau de Saturne devait disparaître, et reparaître ensuite ».C’est-à-dire que la Terre sera dans le même plan que les anneaux. Ceux-ci deviendront donc invisibles à partir de notre planète. Prédiction réalisée « au commencement d’octobre 1773 ».
- « Les calculs de Saturne ont été faits par Madame le Paute [sic], qui, depuis bien des années, s’occupe avec succès du calcul astronomique. »Dans le tome suivant, elle s’occupera de toutes les planètes.
- Dans un passage sur Saturne dans la même préface : « Je m’étais transporté à Béziers, où l’on a communément le plus beau ciel de la France. »On peut ajouter : et où Mme Lepaute, académicienne de cette ville, connaît d’autres académiciens (Lalande mentionne « M. Bouillet, M. Claurade, M. Bertholon »), qui assisteront Lalande dans son travail.
Mme Lepaute n’a pas eu d’enfant, mais elle accueille en 1768 l’un des neveux de son mari, Joseph Lepaute Dagelet (1751-1788), alors âgé de dix-sept ans, et lui enseigne si bien l’astronomie qu’il deviendra professeur de mathématiques à l’École militaire en 1777, avant d’être élu adjoint astronome en 1785 à l’Académie royale des sciences ; Lalande compte cela comme une contribution de Lepaute à l’astronomie.
Elle consacre ses sept dernières années à s’occuper de son mari, atteint d’une grave maladie et qui avait abandonné l’horlogerie vers 1774. Au même moment, sa propre santé décline et elle perd la vue peu à peu. Précédant son mari de quelques mois, elle meurt à Paris le 6 décembre 1788, à l’âge de soixante-cinq ans.
Source gallica.bnf.fr / BnF / Wikipédia