En passant

Bas nylons et suite bavaroise

Suite des aventures de Marie-Anne de Bavière à la cour de France.

La nouvelle dauphine plaît immédiatement à la cour. Et le mari ? Il ne semble pas avoir d’apriori, il ne s’est pas enfui en hurlant quand il l’a aperçue. La cour s’accorde à dire d’elle que ce n’est pas un canon de beauté, mais elle compense largement par sa personnalité. C’est encore sa parente, la princesse Palatine épouse de Monsieur, qui la trouve « horriblement laide ».
L’idylle dura peu. Marie-Anne est une personne pleine d’égards pour les autres, elle est toujours aimable, elle a de la conversation, mais ce qui lui manque le plus et qui déplait au roi, elle n’a pas trop le sens de la représentation. Il compte sur elle pour faire briller la cour, sa femme étant de moins en moins présente, c’est une tâche qu’elle ne semble pas trop vouloir assurer. Un future reine doit en mettre plein la vue, s’imposer, faire comprendre quel sera son futur rôle, elle sera probablement reine. Et une reine se doit d’être partout, au moins là où il faut qu’on la voie. Il faut aussi mener le bal si l’on peut dire, ne pas hésiter à être obséquieux, s’attacher la servitude des autres, faire croire à chaque personnage un peu important, qu’il aura ses faveurs, qu’il aura de temps en temps un bon mot de sa part. On peut dire que c’est un métier et qu’elle est apprentie. Un premier accroc surviendra, avec la complicité involontaire du roi. Elle a emmené dans ses bagages une femme de chambre qui fut élevée avec elle, une fille du nom de Barbara Bessola. D’habitude on fournit toute l’intendance et cela peut aller jusqu’au choix des personnes à votre service, mais Louis XIV accepta cette présence qui allait un peu à contre courant des habitudes. Au lieu de paraître à la cour plus souvent qu’à son tour, elles s’enferment souvent ensemble, parlent en allemand, et cela devient une habitude. La marquise de Caylus note ses impressions et prend un peu sa défense. Marie- Anne est une personne droite, qui ne supporte pas la médisance, et la jalousie, et malheureusement ça à la cour, c’est presque autant courant que les pigeons sur la place Saint-Marc à Venise. On peut supposer que ce rôle ne lui convient pas trop, car même une future reine peut rester fidèle à ses conceptions de la droiture et de la moralité.
Bien sûr, Louis XIV attend surtout quelque chose d’elle, et de ce côté là, il sera moins déçu. Après une malheureuse fausse-couche en 1681, trois enfants verront le jour dont le deuxième sera roi d’Espagne, il décèdera en 1746. Mais bien entendu, dans les droits de succession, c’est l’aîné qui joue le premier rôle. Il naît en 1682, il est donc un futur dauphin. Il se mariera avec la pétulante Marie-Adélaïde de Savoie en 1697, mais mourut en 1712, trois ans avant son grand-père. Heureusement, le fils tardif né en 1710 pourra régner, c’est le futur Louis XV.


Marie-Anne est consciente d’être laide, du moins pas très jolie, ce sera aussi une des raisons de son retrait volontaire et plus ou moins effacé de la cour. Une autre des raisons est sa santé assez fragile, il est vrai qu’elle ne pète pas le feu. L’histoire en témoignera, au nez et à la barbe des méchantes langues qui la traitent de simulatrice. Son mari pourtant semble l’aimer sincèrement, il ne paraît pas faire trop de cas de son physique, mais sa complicité avec sa femme de chambre et leur usage de l’allemand finit par le lasser. Il est vrai que « passe-moi le sel s’il-te-plait » en allemand ressemble plus à un ordre qu’à un souhait pour un latin. Il finira pas aller voir ailleurs, sans toutefois collectionner comme papa. Louis XIV, qui est quand même assez bonne pâte par certains côtés, tente de rattraper le coup. Il veut d’abord marier sa femme de chambre avec « quelqu’un de bien » pour l’éloigner d’elle. Elle refuse. Il essaye alors de l’attirer à plus de présence en organisant chez elle des jeux de tombolas, dotés de prix prestigieux, ce n’est pas la tombola paroissiale avec ses kilos de sucre. Lui-même se déplace pour venir jouer. Rien n’y fait. Un témoin observe et relate :
« Des façons d’agir si aimables, et dont toute autre belle-fille eût été enchantée, furent inutiles pour madame la dauphine ; et elle y répondit si mal, que le Roi, rebuté, la laissa dans la solitude où elle voulait être, et toute la Cour l’abandonna avec lui. »


La future reine se voulait un peu retirée, mais elle est toujours très sociable avec les contacts qu’elle veut éviter et qu’ elle ne peut éviter. Il arriva un temps où la cour lui fait la gueule et cela la rend moins agréable, toujours un peu sur la défensive. Sa santé décline, sans doute surtout physique mais aussi morale. On parlerait aujourd’hui de mélancolie et les effets en vase communicants qu’ils peuvent avoir sur la personne. Et puis en six ans elle a été enceinte neuf fois dont six fausses-couches, la dernière en 1687, fausse-couche qui semble l’avoir rendue encore plus malade. En fait, elle passa sa vie royale à être enceinte. Dès lors elle se persuada que ces couches et surtout dernière fut la cause de son déclin qui alla en s’accentuant. En 1689, elle commence à souffrir d’un abcès au bas ventre, aggravé semble-t-il par la contraction de la tuberculose, cause plus probable de sa mort, du moins de son accélération. Il est vrai que les causes exactes, à part une infection généralisée, restent mystérieuses. Ce n’est pas ces ânes de médecins d’alors qui pouvaient poser un diagnostique précis, à part des saignées, ils ne savaient pas faire grand chose.
Marie Anne mourut le 20 avril 1690, elle n’avait pas 30 ans. Sur son lit de mort, elle embrassa son cadet en citant des vers de Racine : « Ah ! mon fils, que tes jours coûtent cher à ta mère ! ». Le roi est présent à son chevet et verse force larmes avec elle. Il avait la larme facile parait-il. Tout roi qu’il fut, lui qui ordonna la cour de manière qu’elle fonctionne comme les personnages du film « Metropolis » de Fritz Lang, les témoins s’accordent pour dire de lui qu’il fut parfois un personnage dur et exigeant. Ils disent aussi qu’il n’eut jamais un brin de méchanceté envers quiconque, qu’il était plutôt arrangeant quand il en avait la possibilité, et surtout qu’il aima profondément ses enfants.
Elle légua quelques biens et 40.000 à sa complice Barbara Bessola et la recommanda au roi qui lui attribua une rente de 4000 livres annuelles.
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Comme c’était l’habitude pour un deuil royal, on éditait d’après un manuscrit les paroles prononcées lors de l’oraison funèbre. Comme vous l’imaginez, c’était plutôt interminable, le document fait 50 pages. Et ça ce n’est que la partie discours. Comme elle mourut en ayant plutôt mauvaise presse à la cour, l’évêque Léchier considéré comme un grand orateur, remit un peu la cathédrale au milieu de la ville à son propos :  « On la vit renoncer insensiblement aux plaisirs, et se faire une solitude où elle pût se dérober à sa propre grandeur, et jouir d’une paix profonde au milieu d’une cour tumultueuse. ». Voici le couverture et la page de dos de ce livre, ainsi qu’au milieu les dernières lignes. Soulignons que Monseigneur s’adresse à son mari le Dauphin, et non pas à Louis XIX qui est bien entendu présent.


Très certainement, elle fut une personne intéressante sous l’éclat du Roi Soleil, malgré son destin peu enviable. Quelle reine aurait-t-elle aurait pu devenir ? Personne ne le sait, mais assurément une reine plus brillante par sa bonté que par sa beauté. Son défunt mari, marcha un peu sur les traces de papa. En 1695, il épousa secrètement Françoise Émilie de Joly de Choin, une femme aussi réputée pour sa laideur, mais « dotée d’une poitrine voluptueuse sur laquelle le prince jouait comme sur des timbales ».

Marie Émilie de Joly de Choin.png


Comme Mme de Maintenon, elle ne put prétendre à aucun titre royal du fait du mariage secret. Elle survécut de 20 ans à son mari décédé en 1711.



Il n’est pas inintéressant de savoir ce que représentait l’argent sous le règne de Louis XIV. On voit constamment les termes de sous, de louis, de livres. J’ai mentionné de sommes d’argent avec le testament de la dauphine, mais que pouvait se payer mademoiselle Bessola avec cela ? Il s’agit bien sûr d’estimations.

Tout d’abord soulignons que la répartition des monnaies ne fonctionne pas dans le système décimal.

1 livre = 1 franc = 20 sous
3 livres = 1 écu
10 livres = 1 pistole
24 livres = 1 louis d’or.
Avec de l’argent on peut acheter :
1 repas style bonne cantine ou petite brasserie = 5 sous
1 paire de sabots = 4 sous
1 maison très simple = 200 livres soit 4000 sous ou 67 écus ou 20 pistoles
1 livre de sucre = 14 livres, c’est un produit de grand luxe à l’époque
1 livre de viande = 5 sous
1 pinte de vin environ 1 litre = 4 sous
1500 grammes de pain = 3 sous
Mais on gagne combien par jour ?
Un compagnon (métier spécialisé dans une branche précise): 8 à 20 sous / jour
Un ouvrier vigneron : 12 sous / jour
Un soldat (en principe nourri et logé, métier très courant refuge de ceux qui n’en ont pas) : 5 sous / jour
Un sergent : 10 sous / jour
Un sous-lieutenant : 1000 livres / an soit environ 83 livres par mois
Un colonel : 6000 livres / an soit 500 livres pas mois.

Si on reprend l’héritage de 40.000 francs / livres, que pouvait faire mademoiselle Bessola :
Aller manger au bistrot pendant 1 an deux repas par jour
Ce qui lui coûte environ 912 francs/livres par an soit, elle pouvait se le permettre pendant environ 43 ans
Acheter 3000 kilos de sucre
Acheter 200 petites maisons

A cela s’ajoute la rente de 4000 livres par an soit environ 333 livres/francs par mois
Manger deux fois au bistrot pendant 1 mois environ 77 francs/livres.

En fin de compte beaucoup de personnes s’en accommoderaient aujourd’hui.

Source gallica.bnf.fr / BnF / DP / Wikipédia. 3/15