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Suite et fin des aventures d’Adélaïde de Savoie
Pendant toutes ces années entre les accouchements et la vie royale, Marie-Adélaïde continue de régner en future reine, non sans éclat. Il y a certes des intrigues qui la menacent, ainsi que son mari, mais même si elle ne fait pas l’unanimité, ses partisans sont bien présents et la considèrent un peu comme leur idole. Le premier inscrit au fan club, c’est Louis XIV. Il a bien senti chez elle une personnalité devenue exceptionnelle. Elle ne manque pas de courage, ni de sagesse. C’est une sorte de magicienne qui a dans son chapeau tous les accessoires pour épater la galerie et sait les employer à bon escient. Le roi lui donne quasiment les pouvoirs d’une reine en lui confiant en 1710 l’entière gestion de sa maison et de ses charges. Et cerise sur la gâteau, elle n’a pratiquement pas de compte à lui rendre. Il déclare : « Je me fie assez à elle pour ne vouloir pas qu’elle me rende compte de rien et je la laisse maîtresse absolue de ma maison. Elle serait capable de choses plus difficiles et plus importantes. »

C’est un cadeau sans en être vraiment un. On peut imaginer que le roi est fatigué, il est septuagénaire, son choix s’est arrêté sur la seule personne qui à ses yeux pouvait faire du bon travail. La tâche sera considérable, car la situation intérieure en France n’est pas des plus reluisantes. En 1709, l’hiver fut terrible. Il y eut plusieurs vagues de froid entre janvier et mars, le vin gelait dans les verres parait-il, ce qui mit à mal les récoltes et provoqua une famine. La bourgeoisie mangea certainement à sa faim, mais chez les petites gens le ressenti fut plus dur. Il commença d’y avoir des mouvements de révolte, et l’impopularité du roi devint grandissante. Marie-Adélaïde prend sa tâche coeur, plutôt bonne pomme, elle veut satisfaire tout le monde et ne blesser personne. Elle essaye d’être partout, maintenir un semblant de gaîté dans la cour, mais doit aussi lutter contre les intrigues dont certaines lui sont tout sauf favorables, on lui prête de grandes ambitions, mais elle ne fait qu’accéder aux désirs du roi, roi qu’elle aime profondément. Bref elle brûle la chandelle par les deux bouts, la rendant vulnérable aux coups du sort, tant sur le point physique que mental. Et justement le sort va s’acharner sur la famille royale, des rumeurs circulèrent sur une nouvelle affaire des poisons.
Le lendemain de Pâques 1711, Monseigneur, le fils aîné de Louis XIV, tombe malade. Son rôle politique est très effacé, c’est surtout un militaire, la seule activité où il semble être vraiment à l’aise. On craint une nouvelle attaque d’apoplexie, il en a déjà eu une dix ans avant. Mais il s’agit en fait de la variole, maladie alors redoutable, elle peut terrasser une personne en quelques jours. Il meurt le 14 avril 1711. On imagine que Marie-Adélaïde a sa part de deuil, elle est peinée pour Louis XIV et elle perd aussi son beau-père. Seule consolation peut-être, son mari et elle sont maintenant dauphins.
Couverture d’un livret musical par un compositeur qui le dédie à la Duchesse de Bourgogne. Ce compositeur, Jean-Baptiste de Bousset (1662-1725) était un de ces musiciens qui hantait la cour et dont le travail était de fournir la cour en divertissements musicaux. Vous remarquerez que la présentation mentionne des airs « sérieux et à boire », il ne s’agissait pas seulement d’honorer la gloire des régnants, mais aussi de rigoler. Dans l’introduction, quelques lignes s’adressent à la duchesse. Cela peut paraître ridicule aujourd’hui, mais cela avait une certaine gueule. Essayez de parler aussi bien avec une dame de maintenant, soit elle se foutra de vous, soit elle finira dans votre lit.
Voici une des chansons du compositeur, une chanson gaie « Consolons-nous au cabaret », interprétée par La Compagnie Baroque. Vous aurez ainsi une idée de ce qui pouvait s’écouter à la cour de Louis XIX. Ce n’est pas du hard rock.
Arrive la sinistre année 1912. La dauphine tombe malade en janvier, elle se remet assez facilement. Le 5 février elle doit s’aliter, elle souffre de frissons. Le 7 elle est prise d’une violente douleur dans la tête. Elle semble souffrir horriblement, malgré le fait qu’on lui administre de l’opium et des saignées, quelle connerie pour le second traitement ! Lorsque des taches rouges apparaissent, les médecins arrivent quand même à diagnostiquer la rougeole, ces malins semblent ignorer qu’il y a une épidémie au même moment. Le 11 on lui propose les sacrements, ce qui a l’air de l’étonner, mais qu’elle accepte quand même. Du point de vue religieux et pour autant qu’elle soit sincèrement croyante, elle fait bien car elle meurt le lendemain, elle a tout juste 26 ans. Son mari complètement anéanti par sa mort, s’isole et ne veut voir personne. On constate aussi chez lui l’apparition de taches rouges, mais dans une moindre mesure. Il s’alite et ne se releva plus, il meurt six jours après sa femme, une femme qu’il semble avoir aimée d’une belle passion que la raison d’état aurait pour une fois favorisée.
Pour le roi, le coup est rude. Saint-Simon nota dans ses mémoires, que de tous les chagrins qu’il a eu dans sa vie, la perte de Marie-Adélaïde fut le plus grand. Lui seul pourrait le dire, mais on peut l’envisager sérieusement. Mais pire aurait encore pu arriver, car à peine plus tard, les enfants royaux subirent le même mal et il fallut le bons sens d’une personne de la cour pour limiter la casse et on peut même dire que le cours de l’histoire en aurait été complètement bouleversé.
Donc des taches apparurent sur les deux enfants royaux, la rougeole très probablement. Ces fanfarons de toubibs s’occupèrent du premier et prescrivirent bien entendu une saignée, il mourut. Le second fut planqué par les femmes qui s’occupaient de lui et le soignèrent à leur manière, lui firent boire du pinard (!), manger des biscuits, et le firent surtout transpirer. Mme la duchesse de Vantadour s’opposa fermement à ce que les médecins lui fassent aussi une saignée. A la grande honte de ces médecins, il guérit sans leur intervention. Heureusement pour lui, car par la suite il régna sous le nom de Louis XV. La duchesse qui semble avoir pris en grippe les médecins ne s’en porta que mieux, elle mourut à 90 ans, presque un record pour le Guinness de l’époque. Selon la dicton anglais, une pomme le matin chasse le médecin, mais avec un fusil c’est plus efficace.
Quand on étudie l’histoire, pleins de personnage surgissent du passé, certains que l’on déteste, d’autres que l’on affectionne. Je suis sans doute un peu romantique, mais je me suis plus intéressé aux femmes qui par leur aura ont fait tout aussi bien sinon mieux que les hommes. Marie-Adélaïde de Savoie en est un bel exemple. A l’heure où j’écris ces lignes, il y a eu 113045 couchers de soleil depuis son dernier souffle, chacun d’eux éloigne un peu son image, mais il en faudra encore beaucoup pour qu’elle s’efface tout à fait.
Un des récits de ses derniers instants tiré d’un ancien document
Mausolée du couple à la basilique St Denis en 1712. Bien sûr, li n’existe plus aujourd’hui, les tombeaux des rois de France et familles royales furent détruits après la Révolution en 1793 et les restes mis dans une fosse commune.
Source gallica.bnf.fr / BnF / DP / Wikipédia.