En passant

Inventaire musical à la Prévert (58)

Un disque peut-il décider si vous allez continuer d’écouter de la musique ou non pour le reste de votre vie ou éventuellement évoluer vers d’autres horizons musicaux ?
Dans le cas présent, je répondrais volontiers oui, encore plus pour la deuxième partie de la question. Ce disque je l’ai découvert, il y a bien longtemps, j’avais treize ans quand il est sorti. A cette époque, l’avenir de l’évolution musicale vers des choses bien plus évoluées musicalement et aussi spirituellement, était en gestation dans les studios d’enregistrement. Je l’ai un peu acheté les oreilles fermées, sans l’écouter, principalement parce qu’on y trouvait un groupe qui commençait à marcher très fort les Lovin’ Spoonful et que j’adorais. Et aussi un certain Eric Clapton dont j’avais entendu parler comme ayant fait partie des Yardbirds, que j’adorais encore plus. Arrivé à la maison, je l’ai découvert un peu comme on découvre un magnifique arc-en-ciel en ouvrant la fenêtre. J’ai tout de suite croché à cette musique qui me semblait nouvelle, des sons bien trafiqués et une ambiance inspirée du blues. Ce fut fut pour moi un grand coup de pied dans le cul. Un disque de chevet aussi, car j’avais si peu de disques à l’époque, et vas-y que je repasse celui-ci ou celui-là. Il me permit aussi de jouer au mec branché quand un an plus tard Ten Years After publia son premier album, dont on retrouve deux titres qui figurent sur cet album, « I Want To Know » et « I Can’t Keep From Crying Sometimes », ah tiens ils reprennent ça! Par ailleurs, si vous êtes bon connaisseur, vous aurez remarqué que plusieurs autres titres qui figurent ici seront repris par des grands noms, pas très longtemps après la sortie de cet album. Je ne crois pas qu’il s’agisse tout à fait d’un hasard.
L’historique de album est en fait un album qui n’existait pas en tant que conception. Le label américain Elektra, était surtout orienté vers le folk et le blues, mais envisageait de s’électrifier un peu et orienter sa production différemment. Tous les titres qui figurent ici, sont des titres de sessions enregistrés par des artistes qui prétendaient se voir signer un contrat par le label. En réalité deux seulement eurent cet honneur, Paul Butterfield et Tom Rush. Les autres furent recalés, mais on peut affirmer que tous devinrent célèbres autrement. Eric Clapton partira fonder Cream avec son ami Jack Bruce, Stevie Winwood rejoindra Spencer Davis Group. Les Lovin’ Spoonful connurent quelques hits plus que mémorables. Bien sûr le succès des uns et des autres, spécialement Lovin’ Spoonful, aida certainement Elektra à publier cet album pour profiter de cette manne inespérée. Mais ils se rattrapèrent bien vite en signant les Doors.
Bientôt un demi-siècle plus tard, on remarque que certains de ces essais de studio étaient très prémonitoires d’un style et de sons qu’on retrouvera un peu partout pas très longtemps après.
Je n’ai pas trouvé en clip deux titres interprétés par les Lovin’ Spoonful, mais tant pis on fera sans, il ne sont d’ailleurs pas les plus représentatifs de l’évolution musicale qui pointe dans cet album.

The Lovin’ Spoonful – Good Time Music
The Lovin’ Spoonful – Almost Grown
The Paul Butterfield Blues Band – Spoonful
The Paul Butterfield Blues Band – Off The Wall
Al Kooper – Can’t Keep From Crying Sometimes
Eric Clapton and the Powerhouse – I Want To Know
Eric Clapton and the Powerhouse – Crossroads
The Paul Butterfield Blues Band – Lovin’ Cup
The Paul Butterfield Blues Band – Good Morning Little Schoolgirl 
Eric Clapton and the Powerhouse – Steppin’ Out
Tom Rush – I’m In Love Again
The Paul Butterfield Blues Band – One More Mile

Durant les sixties, la discographie française de distingua par le nombre impressionnant de publications qui furent faites sous la forme de EP, c’est à dire quatre titres, deux par face. Le principe de base était un peu mercantile, on vendait deux fois plus de marchandise sur la réputation d’un titre principal ou d’un succès, le 45 tours simple avec deux titres était réservé à la promotion et aux jukeboxes. L’avantage principal de ces EP’s demeurait dans le fait que ces éditions étaient présentées dans une pochette avec le plus souvent une photo de l’artiste et un emballage cartonné et plastifié plus résistant à l’épreuve du temps. L’Angleterre et les USA eurent beaucoup moins recours à ce genre de publications. Le plus souvent, la règle était le 45 tours simple emballé dans une simple pochette à trous permettant de voir l’étiquette du disque. Aujourd’hui ces fameuses disques EP’s français, surtout ceux concernant des artistes étrangers, sont recherchés par les collectionneurs du monde entier car ils sont uniques dans leur genre et peuvent parfois atteindre des sommes folles s’ils sont très rares. Au fil des semaines, je vous en présenterai quelques uns parmi ceux qui attirent justement les collectionneurs. Ils seront présentés avec la pochette, éventuellement avec un scan de ma collection personnelle si je ne trouve rien de satisfaisant, les titres qu’ils contiennent, et le plus haut prix atteint par une enchère sur Ebay.

Scott Walker est un Américain qui commença sa carrière en 1957 comme chanteur pour teenagers, sous son véritable nom Scott Engel. Il a certains avantages, il est plutôt beau mec et surtout possède une très belle voix qui fera de lui un crooner plus tard. Il ne rencontre pas vraiment le succès dans son pays natal, son seul aperçu de succès sera comme bassiste des Routers qui cartonnèrent en 1963 avec leur célèbre « Let’s Go ». En 1964, puisque les Anglais envahissent les USA, il forme un trio qui va tenter sa chance en Angleterre. Et cela marche, sous le nom de Walker Brothers ils cartonnent avec des succès qui font hurler de joie toutes les minettes du Royaume Uni et quelques autres pays. Leur musique aux mélodies et arrangements grandiloquents ne sont pas sans rappeler Phil Spector. En 1967, il entame une carrière solo, pas vraiment interrompue par une reformation du groupe couronnée de succès vers le milieu des seventies, mais surtout il affirme ses visions musicales qu’il peut assurer de sa voix de crooner. Il est passionné de culture française, littérature et musique. Il a presque une divination pour Jacques Brel, dont il enregistra neuf chansons en anglais, dont huit sont des premières versions anglaises. Elles sont presque littéralement traduites en anglais par les soins de Mort Shuman. Sa reprise de « Jackie » lui vaudra d’être interdit sur les ondes de la BBC. Sur ce seul et unique EP français, on retrouve sa version de « Mathilde », superbe reprise pleine de punch. La chanson « Montague Terrace (In Blue) » montre ses talents de compositeur à travers ces ambiances musicales un peu bizarres dont il a l’habitude. Le « Angelica » de Gene Pitney figure aussi ici, sans doute pas tout à fait par hasard, car au même moment elle cartonnait en français via la version de Nicoletta « La Musique ». Le dernier titre est une reprise de Tony Bennett, le crooner américain. Scott Walker a poursuivi une carrière fructueuse de crooner. Mais il n’en est pas un tout à fait comme les autres, sa musique très élaborée confine parfois au surréalisme, mais toujours suivi par des fans fidèles, quasiment une icône. Il est décédé en 2019. Il est taxé par un critique : « L’une des figures les plus énigmatiques et influentes de l’histoire du rock. »

Les EPs français: Scott WALKER - 1967 - FR-PHILIPS 438 ...
Scott Walker – Mathilde EP - Fonts In Use

Scott Walker – Philips – 438 402 BE, publié en 1967, meilleure enchère sur Ebay 159 euros.

Mathilde
Montague Terrace (In Blue)
Angelica
When Joanna Loved Me

DOCUMENTS

Mathilde en vrai live
Jackie en playback
Amsterdam repris plus tard par David Bowie