Pour ouvrir cette page d’histoire, je vais vous raconter une anecdote personnelle.
J’étais au Maroc, ce pays qui a une tradition d’hospitalité extraordinaire. J’étais arrivé entre les heures des repas, mais qu’à cela ne tienne, il y a toujours quelque chose à manger qu’elle que soit l’heure. Il est vrai que j’avais plutôt l’estomac dans les chaussettes, presque dans les talons. Donc j’acceptai avec plaisir l’offre de me servir quelque chose à manger. Une fois le plat arrivé, j’entamai d’une fourchette joyeuse ce qu’il contenait. Deux enfants de trois ans et des poussières vinrent se planter devant moi en me regardant attentivement. J’essaye d’entamer la conversation avec eux, mais ils ne parlaient pas un mot de français. Je continuai à manger sans trop me préoccuper de leur présence, d’autant plus que j’étais un invité.
J’aperçus quelques sourires sur les visages présents et à la fin du repas on m’expliqua pourquoi ils me regardaient manger.
– C’est parce que tu manges avec une fourchette !
Il est vrai qu’ils ont assez facilement l’art de manger sans ustensiles. On prend la nourriture à même la plat avec un morceau de pain et on enfourne le tout dans la bouche. C’est un peu comme avec les baguettes, on s’y fait vite.
Des fraises pour la cour.
Dans nos pays, l’usage de la fourchette n’a pas toujours été une habitude, il fallut même une histoire de mode vestimentaire pour en accélérer l’usage, il y a même de quoi sucrer les fraises. Au 16ème siècle, apparut une pièce de vêtement que l’on appela justement la fraise. C’est cet accessoire que l’on se mettait autour du cou par pure coquetterie. Il en existait de toutes les formes et de toutes les grandeurs, certaines d’une taille assez conséquente. Ce fut parait-il, Henri II qui la mit à la mode pour cacher une blessure au cou. Comme souvent, on se mit à imiter le roi pour lui prouver qu’il avait bon goût dans le choix de ses fantaisies.
Cochon qui s’en délecte.
Jusqu’à cette époque, on mangeait un peu comme des cochons, avec une idée d’hygiène assez minimale. La cuillère existait, mais on ne s’en servait guère que pour les liquides. Pour le reste, comme on mangeait surtout de la viande, on se servait avec la main à même le plat, on secouait pour enlever la sauce, et vas-y que je te mange ça à belles dents. Si les mains étaient grasses, on s’essuyait carrément à la nappe. Il y avait bien quelques usages en vogue. On ne se mouchait pas dans la main au cours du repas, ni ne grattait le popotin ou la tête. On ne trempait pas les doigts dans la sauce avant le personnage le plus important et il était banni de se servir à plusieurs en même temps dans le plat .
Alors imaginez ces pièces de viande ruisselantes de sauces, l’effet qu’elles pouvaient avoir sur cette fameuse fraise. Sans elle on pouvait toujours se pencher avant pour limiter les dégâts, mais avec elle, ben elle suivait le mouvement, sacrée fraise !
Ce fut Henri III qui ramena de Venise un ustensile qui ressemblait fort à la fourchette. Il avait observé que les Vénitiens, qui portaient sans doute aussi des fraises, s’en tiraient sans dégâts dans l’art de transporter la nourriture du plat à la bouche. Il en fit exécuter des copies et l’introduisit à la cour de France. Elle connut son heure de gloire, puis des éclipses, puis de retours en grâce. Elle fit un peu comme la fraise, certains ne voyaient plus la nécessité d’utiliser la fourchette s’ils ne la portaient pas, mais bien utile si c’était le cas. Au final, la fraise est morte, mais la fourchette est devenue un objet banal. Sauf que les fraises se mangent avec une cuillère plus ou moins grande.
Allo Henri III ? : « C’est elle-même ».
Henri III (1551 – 1589), ne s’occupait pas que des histoires de fourchettes, il était aussi réputé pour ses moeurs assez élastiques, il aimait les femmes mais ne détestait pas hommes. Même encore aujourd’hui, les historiens ne savent toujours pas précisément dans quelle catégorie le classer. Ce qui est plus certain, c’est qu’il fut un roi qui avait plutôt de très bons côtés. A part un personnage que l’on pourrait classer d’extravagant, aimant les plaisirs jusqu’à l’extrême, il avait horreur de la violence, détestait la chasse, savait se monter conciliant avec ses pires ennemis. En gros, il préférait ses pantoufles à la guerre. Il fut aussi un protecteur des arts, et s’émerveillait d’un tas de choses pourvu qu’elles ne soient pas dénuées d’une certaine originalité. Cela ne lui valut pas que des amis, il mourut d’ailleurs assassiné.
Mais c’est surtout lui qui créa indirectement une chose qui dura longtemps à la cour des rois de France, l’étiquette. On sait qu’il aimait la fête, il y paraissait habillé en femme non sans un certain plaisir, fardé, avec des boucles d’oreilles. On sait aussi que son entourage fourmillait de ce qu’on appelait les mignons, tout aussi efféminés que lui. Justement, cette bande tournait en rond côté amusements. Ce sont eux qui créèrent la bases du cérémonial en inventant toutes sortes de pitreries qui devaient rythmer la journée du roi, du lever au coucher. On le pomponnait, le maquillait, le coiffait, lui attachait sa culotte, le tout en musique et presque en dansant. L’idée fut reprise par ses successeurs de manière disons plus sérieuse, et Louis XIV l’éleva pratiquement à la hauteur d’une institution ayant force de loi.
Mais cela posa un problème qui lui aussi changea le cours de l’histoire, du moins dans la manière de parler. Puisque le roi s’habillait en femme, comment s’adresser à lui en soulignant cette féminité ? On ne pouvait guère lui donner de la reine, celle-ci étant une unique personne bien distincte à la cour et de sexe féminin. Et puis la traiter de grande folle, n’aurait sans doute pas été le bienvenu. C’est alors que l’on reprit un vieux terme abandonné depuis longtemps, celui de majesté. Le mot étant féminin on pouvait l’employer indifféremment au masculin et féminin. Ainsi on pouvait employer « elle » avec un homme. Sa Majesté veut-elle bien enlever sa main de ma culotte ?
On dit que la plus belle…
La vie des reines et des favorites est en général assez bien documentée historiquement. certaines sont célèbres ou réputées pour ceci ou cela, Une des plus légendaires favorites royalres reste Diane de Poitiers (1499 – 1566). Il n’est pas dans mon propos de faire l’historique de sa vie, mais d’en tirer quelques éléments factuels, plus particulièrement ceux qui concernent sa beauté. A l’âge de 15 ans, elle se marie avec Louis de Brézé, un mari qui a déjà passé la cinquantaine, un mariage qui dura quand même 16 ans jusqu’à son décès en 1531. Malgré la différence d’âge, le couple semble heureux et deux filles naissent. Après son arrivée à la cour, on lui attribue un rôle politique, plus précisément en tant qu’influenceuse, on la présente comme grand mécène des arts, et aussi une femme pleine d’ambition et redoutable femme d’affaires. Elle fut en fait une sorte de reine à la place de la reine, tant qu’elle fut la maîtresse du roi. Pas mal de choses à son sujet sont toujours en discussion, les historiens ne sont pas toujours d’accord sur les faits qui l’entourent.
Par contre, ce qui est sûr, c’est qu’elle fut une femme qui brilla d’un éclat particulier à la cour d’Henri II. Elle fit beaucoup d’envieuses, car elle était très belle, et à une époque où les femmes étaient considérées comme vieilles à 30 ans, les années ne semblaient pas avoir de prises sur elle. Il circulait alors un genre de wade-mecum sur l’aspect physique qui disait en une sorte de règle de trois ce que les femmes devaient posséder pour être belles…
- Trois choses blanches : la peau, les dents, les mains.
- Trois choses foncées : les yeux, les sourcils, les paupières.
- Trois choses rouges : les lèvres, les joues, les ongles.
- Trois choses longues : le corps, les cheveux, les mains.
- Trois choses courtes : les dents, les oreilles, les pieds.
- Trois choses étroites : la bouche, la taille, les chevilles.
- Trois choses galbées : les bras, les cuisses, les mollets.
- Trois choses petites : les tétons, la tête, le nez.
Diane de Poitiers semblait posséder tout cela, et pour longtemps son aspect servit d’étalon aux femmes de la cour. Elle mit dans son lit, alors qu’elle a 20 ans de plus que lui, le dauphin futur Henri II et devient sa maîtresse. Bien entendu le dauphin en attente de trône est marié à Catherine de Médicis, qui n’apprécie pas trop cette liaison. Elle considère cela comme une passade, et pense que le temps lui réglera son compte, Sainte Vierge elle a quand même vingt balais de plus que lui ! Mais lorsqu’il monte sur le trône en 1547, eh bien elle est toujours là et tout autant resplendissante.
Les ragots vont bon train sur cette favorite qui ne semble pas vieillir, il doit y avoir de la sorcellerie par là-dessous. En fait non, on sait qu’elle menait une vie régulière et disciplinée, ce qui a la cour est une gageure. Elle se levait tous les matins à 6 heures, prenait un bain froid d’eau de pluie et partait se promener deux heures dans la campagne. Elle rentrait prenait un léger repas et se couchait en lisant jusqu’à midi. Elle ne se maquillait jamais ni n’usait de fard, de poudre, de pommade. Sa beauté naturelle lui suffisait. Un des seuls artifices qu’elle s’autorisait, dont on a récemment découvert la probabilité, c’est qu’elle ingurgitait des potions a base d’or dilué. La pratique n’était pas si rare que cela à la Renaissance, encore falliat-il en avoir les moyens. Malgré tout c’est un poison pour le corps qui tue lentement, mais dans son cas probablement pas si vite que cela.
Cette bonne Catherine de Médicis avait d’autres doutes, elle soupçonnait Daine de Poitiers d’avoir recours à des techniques amoureuses dont elle n’avait pas connaissance. Et c’est là que nous tombons dans une de ces succulentes anecdotes qui parsèment l’histoire de France et qui font partie de ses légendes. Pour en avoir le coeur net, elle fit percer un trou dans le plancher au-dessus de la chambre de la favorite. Une reine, cela ne joue pas les voyeuses, mais rien n’empêche une dame de compagnie de le faire pour elle. Alors qu’elle sait que les amants se sont rejoints dans la chambre, la servante colle son oeil au trou et commente ce qu’elle voit, c’est sans doute le premier reportage en direct de l’histoire de France. On peut imaginer tout ce qu’elle dit, mais un passage fait tiquer la reine, quand la commentatrice annonce :
– Le couple sort du lit et s’ébat sur le tapis…
– Quoi ? s’énerve la reine, sur le tapis ! Mais il ne m’a jamais fait ça sur le tapis !
C’était sans doute un tapis magique donné au roi par un visiteur venu d’un pays des mille et une nuits.
La reine l’avouera parait-il plus tard, elle mit finalement son oeil sur le trou. Ce qui la désola le plus, c’était la beauté presque insolente de cette femme avec un corps parfait, elle avait portant vingt ans de plus qu’elle.
Son tombeau sera profané à la Révolution et son corps mis dans une fosse commune. Selon des témoignages d’époque, son corps était encore dans un état de conservation exceptionnel, plus de 200 ans après son décès. En 2010, ses restes retrouvés grâce à des analyses d’ADN sont exhumés et remis dans le caveau d’origine au château d’Anet.
Une grande partie de la noblesse régnante actuelle d’Europe, sont des descendants de Diane de Poitiers à des degrés divers.
Musique médiévale
Certains compositeurs seraient bien étonnés de voir que 700 ans après, quelques unes de leurs chansons sont toujours chantées, et qu’une en particulier est devenue un tube. C’est la cas de Guillaume de Merchaut, né vers Reims aux alentours de 1300. Sa « Douce Dame Jolie » ne cesse de tourner dans les circuits folkloriques et ceux qui affectionnent la musique médiévale. Etant donné que la transmission de ces chanson ne se faisait que par le bouche à oreille, il est certain que celle-ci a admirablement traversé les siècles, même que les rois de France l’ont sûrement entendue. Elle donne une idée des mots qu’une dame pouvait inspirer à un poète du XIVème siècle. Si l’inspiratrice a un jour existé, elle a fait rêver des générations d’auditeurs. La chanson se prête bien à diverses interprétations musicales, on peut l’aborder de différentes manières, selon ses goûts. Je vous la propose par des artistes espagnols, Emilio Villalba & Cantica. Elle est enregistrée dans un décor splendide et le chant me semble assez correspondre au français d’alors.
Source gallica.bnf.fr / BnF / DP / Wikipédia.