








Mes fidèles lecteurs se souviennent qu’il n’y a pas si longtemps, j’avais illustré au cours d’un article que dans le monde les choses étaient plus liées qu’on peut le penser. C’est l’histoire de la personne inconnue avec qui vous parlez dans un bistrot de Sydney et qui s’avère connaître votre voisin. C’est un exemple, mais parfois la réalité vous confirme que ces liens existent. Si je vous pose la question : « Pouvez-vous établir un lien entre une des chansons les plus emblématiques des sixties « California Dreamin' » des Mamas and Papas et le meurtre du Dahlia noir, une des plus célèbres histoires criminelle américaines ? »
A première vue je ne pense pas, mais il existe un lien, tout dépend de ce qui s’est réellement passé lors de faits survenus lors de ce meurtre. Je vais vous l’illustrer en résumant d’abord l’affaire, jamais élucidée à l’époque et encore maintenant le doute est permis.
Une vidéo en introduction de l’affaire du Dahlia noir. C’est en grand format, cliquer Attention, certaines images peuvent choquer, mais c’est la réalité
Steve Hodel est un flic né en 1941 en Californie, il est le fils de George et de Dorothy. Sa mère est la première épouse du célèbre cinéaste John Houston, et la seconde de son père. Pendant 25 ans il travaille à la police de Los Angeles et finit au département des affaires criminelles. On peut dire que c’est un homme d’expérience, surtout que dans cette ville on ne fait pas spécialement dans la dentelle. Il a travaillé sur plus de 300 histoires de meurtres. En 1986, il quitte la police et s’établit comme détective privé. En 1999, son père nonagénaire décède. Dans les affaires de son père il retrouve un carnet qui contient des photos. Si certains visages lui sont familiers, il y en a un qui ne l’est absolument pas, celui d’une femme. Cela l’intrigue et il veut savoir qui elle est. Il finit par trouver, sur la photo figure probablement Elizabeth Short qui est bien plus connue et tristement célèbre sous le nom de Dahlia noir. Alors il veut savoir pourquoi cette photo figure dans ce carnet, car en apparence il n’y a là que des personnes qui ont eu un lien étroit avec son père. L’histoire du meurtre remonte au début 1947 à Los Angeles, il avait à peine 5 ans, il n’en conserve bien évidemment aucun souvenir, même si c’est là que Steve Hodel a passé une partie de son enfance.
La maison où résidait George Hodel de 1945 à 1950. Cette maison est célèbre à Los Angeles. Elle fut construire dans les années 1920 pour l’artiste et photographe John Sowden. Elle est aussi surnommé maison de Franklin ou maison des requins. C’est une maison pour gens très aisés. La photo ne rend pas compte de son étendue, c’est une sorte de dédale avec piscine et tout le toutim.

Il doit alors se replonger sur son passé familial. C’est d’autant plus difficile qu’il n’a jamais vraiment connu son père, excepté dans sa petite enfance. Son père partit pour Hawaï en 1950, divorça de sa mère et se remaria là-bas pour la troisième fois. Il réapparaîtra aux USA très occasionnellement. Même s’il peut rassembler une partie du puzzle grâce à ses souvenirs, au cours d’une enquête qui durera trois ans, il vit apparaître son père sous un jour complètement différent. Il faut le préciser, c’est une huile à Los Angeles, il fréquente du beau monde et a acquis une belle renommée comme médecin. Des noms célèbres font partie de ses proches amis, John Houston déjà cité, mais aussi les artistes Man Ray et Fred Sexton, et à peine plus lointain, l’écrivain Henry Miller. Son père est ce que l’on peut considérer comme un intellectuel, il s’habille avec une élégance raffinée, il s’y connait très bien en art, il est un enfant prodige et un virtuose du piano. Par un autre sens du raffinement, il aime bien s’exprimer en français, langue qu’il possède parfaitement et que l’on parlait chez ses parents. Il lit Baudelaire et Lautréamont, il est impressionné par les surréalistes et André Breton. Il est aussi, et avant tout, un séducteur qui n’aime pas que l’on lui résiste, pour lui les femmes sont avant tout des objets sexuels. Plus insolite, avec Houston et Ray, ils partagent une passion commune pour les écrits du marquis de Sade. Au fil de son enquête, Hodel Jr commence à saisir la personnalité très complexe de son père, une personnalité même plutôt inquiétante.
Le matin du 15 janvier 1947, une promeneuse est sous le choc, A quelques pas d’une route dans ce qui est encore une banlieue plutôt déserte de Los Angeles, elle découvre un cadavre nu, mutilé, coupé en deux avec une entaille au visage qui va d’une oreille à l’autre. Le corps est complètement vidé de son sang. En apparence, il est posé là afin qu’on le découvre rapidement. C’est le départ d’une des plus célèbres histoires criminelles américaines, qui fera la une des journaux locaux pendant plus d’un mois. La police parvient assez rapidement à identifier la victime. Il s’agit d’Elizabeth Short, née près de Boston en 1924, elle entrera dans sa morbide légende sous le nom de Dahlia noir. La police a la tâche d’autant plus facile, car elle est fichée. Elle est arrêtée en 1943 pour consommation d’alcool car elle est mineure. Aux USA, on ne badine pas trop avec ce genre de choses, car l’âge légal est fixé à 21 ans. Son pédigré est assez vite établi, c’est une de ces nombreuses filles venues tenter la chance à Hollywood dans l’espoir de trouver une vie plus facile et surtout de faire du cinéma. Elle a quelques avantages visibles, c’est une très belle femme au corps bien proportionné, elle a des cheveux teints noir d’encre, elle attire les hommes. ce qui ne semble pas lui déplaire. Mais des filles comme elle, il y en a des milliers qui hantent les rues d’Hollywood et de Los Angeles, les places se vendent cher. La police examine bien des pistes, recherche des témoins, interroge des suspects, tout y passe, mais l’enquête semble vite s’enliser, elle n’a pas ou ne veut pas trouver un coupable. Il y a quelques certitudes, la découpe du corps a été faite par quelqu’un qui connaissait très bien cette pratique, ce n’est pas le travail d’un amateur. Le restes du corps n’ont pas été mis dans le terrain vague comme on se débarrasserait d’un vieux matelas. La mise en scène macabre semble avoir quelque chose de sinistrement artistique. On le découvrira plus tard, mais George Hodel a figuré sur la liste des suspects et la mise en scène semble inspirée de scènes tirées de l’oeuvre de Man Ray et Fred Sexton.
En mai 1947, la police continue son enquête et cherche toujours le coupable. Voici une lettre adressé au boss du FBI, John Edgar Hoover, par un témoin qui prétend avoir vu la victime avec son possible assassin. C’est une lettre en réponse à certaines questions qui lui sont posées. Ce n’est pas la seule du genre, des tas de gens prétendent avoir vu ceci ou cela un peu partout. Il y en a même qui s’accusent d’être l’assassin pour un instant de gloire. La méthode de la police était de ne pas rendre public certains indices, afin de pourvoir confondre l’affabulateur. Un meurtrier doit en principe connaître le déroulement exact de son crime.
Lors de son premier mariage, George Hodel a eu un fille du nom de Tamar, née en 1935 et décédée en 2015, elle a un look à la Marylin Monroe. Elle accuse son père d’avoir commis un inceste avec elle. Hodel est arrêté. Ce n’est pas une rumeur, un retentissant procès a eu lieu à la fin de 1949. Lors de ce procès, il apparaîtra en décor de fond que la maison du docteur est un lieu dans lequel se déroulent non seulement des parties fines, mais aussi de véritables débauches au cours desquelles la sadisme est roi. Participent aussi John Houston, Fred Sexton, et Man Ray, ainsi qu’une pléiade de personnalités faisant partie du gratin de Los Angeles. Hodel est un manipulateur né, il parviendra à faire retourner les charges contre sa fille qui passera pour une affabulatrice, il est relâché. Il préfèrera quitter les USA, partira à Hawaï puis aux Philippines, ne revenant définitivement dans son pays que peu de temps avant sa mort.
Fiche de police pour George Hodel lors de son arrestation en 1949
John Houston, Man Ray, Fred Sexton
Une des preuves avancées pour la relation entre Man Ray et le cadavre du Dahlia noir. Il semble avoir été déposé dans une mise en scène macabre. A gauche le Minotaure de Man Ray et à droite la partie supérieure du cadavre coupé en deux, telle qu’elle a été découverte. Les bras ont la même disposition.
Dans son livre sur les résultats de son enquête, L’affaire du dahlia noir publié au Seuil en 2004, Steve Hodel dans un développement au fil du temps revisite le passé, le sien et celui des autres. En présentant des preuves qui semblent évidentes, tant au niveau de l’histoire que dans la présentation de documents photographiques, il avance l’hypothèse que son père est probablement l’assassin du Dahlia noir. Il est fort possible qu’il l’a rencontrée et attirée dans ses filets. Il serait même un tueur en série, une autre des hypothèses qu’avance Hodel Jr, reprenant les cas de meurtres non élucidés, avant ou après le célèbre crime. Son père n’a jamais vraiment été inquiété, mais il semblait aussi tenir son monde en respect par les histoires pas trop publiables qu’il s’avait sur eux, comme des histoires d’avortements par exemple, un crime à l’époque en Californie. Il faut aussi souligner que la police de Los Angeles durant ces années n’était de loin pas exempte de corruption. Elle était même très présente, ce qui valut pas mal d’ennuis à ceux qui ne voulaient pas fermer les yeux. Le départ de son père pourrait ressembler à une fuite et un aveu. Le livre est bien ficelé, il se lit comme un excellent polar dans lequel le coupable finit toujours par être démasqué, sauf qu’il s’git de personnages réels. Je ne vous en ai donné qu’un très bref aperçu.
Mais je vous dois encore quelque chose, le lien qu’il peut exister entre le Dahlia noir et la chanson des Mamas and Papas, alors voici. Michelle Philips, la blonde et seule membre encore vivant était une proche amie de Tamar, l’accusatrice de l’inceste. Elles se connaissaient bien, Tamar était une sorte de grande soeur pour elle, de presque 10 son aînée. Voici ce qu’elle dit d’elle dans son livre sur l’histoire du groupe:
Nous allions voir Tamar. Dès que j’ai eu posé les yeux sur elle, je sus que jamais encore je n’avais vu vu de fille aussi fabuleuse et chic. Ella avait une chambre d’une merveilleuse teinte lavande, avec des rideaux et des oreillers de la même couleur, des cendriers lavande à l’oxyde de plomb, tout ça, Je trouvai cela génial. Elle venait de s’acheter une Rambler rose et lavande à crédit.
Elle traînait avec des gens tout ce qu’il y a de plus dans le vent, Josh White, Dick Gregory, Odetta, Bud and Travis. Elle était incroyable, C’est elle qui me fournit mes premiers faux papiers et mes premières amphètes pour rester éveillée en cours lorsque je me couchais tard. C’était une fille comme je les aimais et nous sommes devenues très proches… c’était mon idole.
Avec cette description, nous sommes quand même loin de la fille bonne à rien et menteuse, comme la classait son père lors du procès. Il faut se rappeler que nous sommes à une époque où souffle un vent de liberté, ou presque tout est permis et innocent. Il n’est pas non plus étrange qu’elles se soient rencontrées, Tamar fréquentait les milieux du folk, elle fut même l’épouse du chanteur Stan Wilson, pas très connu chez nous mais qui écrivit des chansons pour le Kingston Trio. Et puis les noms que Michelle cite dans son texte, notamment Josh White, Odetta, sont une des incarnations connues de ce folk.
En 1967, George Hodel, lors d’une bref séjour en Californie, rencontra les Mamas and Papas alors en pleine gloire. Tamar, qui était présente raconte : « Quand j’ai présenté mon père à Michelle, elle a eu les yeux révulsés, l’a salué et lui a dit qu’elle avait l’impression de le connaître depuis l’âge de 12 ans. Je lui en avait tellement raconté sur son compte qu’elle pouvait l’affirmer. Michelle Philips déclara dans une interview plus tard à propos de cette rencontre : « Je savais qu’il devinait que Tamar m’avait raconté les pires choses sur lui. De la manière dont il me regardait je pensais qu’il avait envie de me tuer. »
Alors vous voyez qu’il existe bien un lien entre le Dahlia Noir et les Mamas and Papas.
Sources Wikipédia, archives, Steve Hodel pour certaines anecdotes.
N’oublions pas le roman de James Ellroy, marquant. La mère de Ellroy, elle aussi a été assassiné sans jamais trouver de coupable…
Article très puissant. Merci !
Bonsoir et bienvenue,
Merci pour votre intervention. Bien entendu, je connais le roman de James Ellroy. Steve Hodel en parle aussi dans dans son livre. Bien que le roman de Ellroy soit une fiction pour les personnages, Hodel qui l’a d’abord ignoré dans un premier temps, l’a lu par la suite en l’encense carrément. Il pense que l’auteur a une connaissance très précise du déroulement de l’affaire, des renseignements de première main. Il va même un peu plus loin, il pense que son père, ou Sexton, ou les deux pourraient être de possibles meurtriers dans le cas de la mère de Ellroy. Il trouve même quelques similitudes dans la « mise en scène » du meurtre et surtout ce qui apparait lors de la découverte du cadavre.
J’ai pensé d’ailleurs dans un futur article de revenir sur d’autres meurtres non élucidés de cette époque, je vais essayer de retrouver des archives pour l’illustrer.
Très cordialement et bon week-end, encore merci.
P.S. Si vous faites de futurs commentaires, il seront directement publiés. Le blog est réglé de manière à ce que le premier commentaire soit soumis à approbation, ce qui évite des pubs pour des sites pornos et autres joyeusetés de la Toile. Mais bien entendu le vôtre est d’une toute autre teneur.
C’est très intéressant la théorie sur les possibles meurtriers de la mère de l’écrivain, je n’en savais pas tant. J’ai « Ma part d’ombre » de Ellroy dans ma pile à lire, parlant de sa vie et son enfance et du traumatisme de la perte de sa mère.
Je serai très intéressé de lire vos prochains articles.
Merci !
Merci à vous et sans doute à très bientôt