Cécile de Rodt (1855 – 1929) est une voyageuse suisse qui entreprit un tour du monde en 1901. A cette époque, le monde peut sembler encore quelque chose d’un peu mystérieux d’autant plus que certains pays sont géographiquement très lointains. Ce n’est pas une aventurière, elle ne va pas se battre contre les Indiens, mais plutôt jouer à la touriste. A la suite de son voyage paraitra un livre publiée en 1904 qui contient des centaines de photos. De quoi se faire une idée de ce à quoi ressemblait le monde au début du 20ème siècle.
La Californie 5ème partie
Suite des aventures californiennes de Cécile de Roth. Il y a encore un endroit qu’elle désire visiter, un endroit déjà pas mal squatté par les touristes d’alors, essentiellement des Californiens, le parc national de Yosemite. Il est situé assez loin de San Francisco à environ 150 kilomètres à vol d’oiseau. Même si dans l’imaginaire de chacun la Californie est plutôt plate, l’est est montagneux avec des montagnes qui frisent les 4000 mètres, on est presque dans les Alpes, mais là c’est la Sierra Nevada. Le parc en occupe une partie. Donnons la parole à la voyageuse.
Le programme de mon séjour en Californie comportait encore une excursion dans la vallée de Yosemite. Cette région tant vantée devait être une des rares déceptions de mon voyage. Faut-il en attribuer la raison aux mauvais chemins, à la poussière, aux fatigues ou au souvenir encore trop présent à mon esprit du merveilleux Yellowstone? Je ne saurais le dire. Tout ce dont je me souviens, c’est que j’avais le mal du pays, et que n’eût été la crainte du ridicule, j’aurais repris immédiatement le chemin de la maison.
Je commis la faute de m’adresser au bureau Cook pour cette excursion; l’une ou l’autre des compagnies concurrentes m’aurait fait faire un voyage plus agréable et moins cher.
Mauvais début! nous partîmes de San-Francisco à quatre heures par un train-omnibus, institution qui existe aussi en Amérique; et comme tout y est exagéré, ces trains sont encore plus lents que chez nous. Il fallut toute la nuit pour gagner Raymond, où nous arrivâmes vers six heures du matin, rendus, car personne n’avait pu fermer l’œil. Un déjeuner sommaire, puis on grimpe en diligence où, sauf un arrêt d’une petite heure pour le dîner, nous passâmes la journée entière, de sept heures du matin à sept heures du soir.
Mon journal contient cette seule note: «Le voyage le plus épouvantable que j’aie fait de ma vie!» Je ressentis le soir en me couchant des douleurs dont le souvenir n’est pas encore effacé de ma mémoire. En en cherchant la cause, je m’aperçus qu’une large raie rouge traversait mon dos d’une épaule à l’autre. C’était la marque de la barre de fer qui tout le jour m’avait servi de dossier. Il y aurait beaucoup à dire aussi des chemins presque impraticables et de la poussière qui pénètre sous les vêtements et donne au linge une couleur rougeâtre; quant à moi je ressemblais, à s’y méprendre, à une squaw. Pour comble de malheur, à Wawona où l’on passa la nuit, l’eau chaude qu’il fallait aller chercher soi-même, était rare.
Comme on peut le lire le début du voyage lui laisse un souvenir assez mitigé. Il est certain que les infrastructures touristiques de l’époque sont assez minimalistes, probablement que les touristes locaux s’en contentent. Il y a peut-être encore parmi eux quelques aventuriers retraités de la dure conquête de l’ouest peu habitués au confort.
Lorsque le contenu des diligences fut déchargé dans le vestibule du petit hôtel, il ne se trouva pour recevoir les nombreux voyageurs fourbus que deux drôles de petits vieux, les propriétaires, à ce qu’on nous dit. Point de portier, ni de femme de chambre! « Vous avez le numéro 8, vous le numéro 20», et ainsi de suite. Après cela, mettez-vous à la recherche de votre chambre et transportez vous-même votre bagage. Le lendemain à cinq heures, réveil général. On traverse d’abord la rivière Merced qui parcourt la vallée dans toute sa longueur. Le paysage grandiose fait oublier les fatigues de la route ainsi que les mauvais chemins; il faut se cramponner à son siège pour ne pas être précipité dans l’abîme. Plus on monte entre les hautes parois de roches grises, menaçantes et hérissées, plus le panorama devient admirable. A Inspiration Point, le spectacle est sublime. Tout autour de nous, un cortège de pics audacieux: à gauche, le Capitaine (1100 mètres) avec son dôme de rochers majestueux; à l’ouest, les pointes des Frères (1157 mètres), deux frères jumeaux et le troisième de moindre taille; à droite, les Clochers, du haut desquels, blanche, vaporeuse comme le léger tissu dont elle porte le nom, la cascade du Voile de la Fiancée se jette dans la vallée; à l’arrière-plan, les pyramides géantes et solitaires de la Sentinelle; tout au fond, le Demi-dôme ou Dôme du sud (1515 mètres), rival redoutable du Capitaine, et le Repos des nuages. Enfin, après quelques heures de trajet mouvementé, voici à une altitude de 1170 mètres la vallée de Yosemite. Entre les hauts rochers à pic qui la bordent, on se sent isolé du monde entier. La formation de cette gorge est attribuée à l’effondrement d’un haut plateau; les énormes masses rocheuses, précipitées dans l’abîme, puis travaillées, aplanies par le torrent, ont formé le fond uni qui la caractérise.
La vallée fut découverte en 1851 par des soldats qui poursuivaient des Indiens dont ils massacrèrent toute la tribu dans une gorge qui porte le nom de Indian Canon. En 1864, le Congrès des Etats-Unis déclara la contrée du Yosemite et une partie des montagnes environnantes, en tout 400,000 hectares, Parc national, et le donna à la Californie, à condition que celle-ci en respectât les beautés naturelles et ne les exploitât dans aucun but utilitaire.
Pendant le séjour que j’y fis, la permission d’illuminer les cascades fut refusée, ce qui me réjouit fort, car j’ai en horreur l’artifice dans la nature. Pour admirer le Yosemite dans toute sa splendeur, il faudrait le visiter en avril ou en mai, au plus tard en juin. A cette saison, les cascades magnifiques déversent une masse énorme d’eau dans le fond de la vallée qui ressemble à un tapis de fleurs. L’ardent soleil de juillet fait de cette étroite gorge une fournaise; la moindre course à pied est une torture; une épaisse couche de poussière se soulève au passage et vous enveloppe; les mouches harcèlent gens et bêtes; dans l’herbe roussie on voit encore çà et là quelque pauvre fleur attardée. Je découvris cependant à l’ombre des grands arbres quelques exemplaires à moitié fanés de la fleur des neiges (sarcodes sanguinea). C’est une espèce d’orchis sans feuilles, un gros épis pourpre, qui croît abondamment au pied des vieux conifères. Je me souviens d’avoir vu près de Biskra, dans le sable du désert, des fleurs semblables d’une couleur plus tendre.
A suivre
Sources : Wikipédia, B.N.F, DP



