En passant

Voyage début de siècle (27)

Cécile de Rodt (1855 – 1929) est une voyageuse suisse qui entreprit un tour du monde en 1901. A cette époque, le monde peut sembler encore quelque chose d’un peu mystérieux d’autant plus que certains pays sont géographiquement très lointains. Ce n’est pas une aventurière, elle ne va pas se battre contre les Indiens, mais plutôt jouer à la touriste. A la suite de son voyage paraitra un livre publiée en 1904 qui contient des centaines de photos. De quoi se faire une idée de ce à quoi ressemblait le monde au début du 20ème siècle.

Découverte d’Hawaï suite

Le séjour à Hawaï touche à son terme. Si certains fruits exotiques sont presque devenus courants chez nous aujourd’hui, ce n’était pas encore le cas lors de son voyage. Elle nous en parle et raconte encore quelques anecdotes sur l’ile.

En fait de fruit, j’appris à connaître en pays hawaïen, les goyaves, les mangues et les papayes; on y consomme beaucoup d’ananas. Le papayer (papaya carica), l’albabaye des indigènes, arbre très haut, couronné au sommet d’un bouquet de grandes feuilles palmées, porte toute l’année une quantité énorme de fruits suspendus autour de son tronc. Ce fruit, une espèce de melon, est sucré, rafraîchissant, un peu fade, et contient de nombreuses graines. Le suc laiteux que l’arbre produit en abondance a des propriétés singulièrement énergiques, entre autres celle d’amollir la viande la plus coriace, de la décomposer même si on la laisse tremper dans le liquide.
Le fruit du manguier (mangifera indica), de la grosseur d’un petit melon, a un goût de térébenthine auquel je ne pus m’habituer. Cet arbre possède de grandes vertus médicinales. Ses fruits, ses graines, ses feuilles, le suc résineux qu’il produit, son écorce même, servent à combattre différentes maladies.

Un des derniers soirs que je passai chez eux, mes aimables hôtes me firent le plaisir de commander quelques musiciens indigènes que nous écoutâmes, assis sur la véranda, abrités contre les piqûres des moustiques par un fin treillis de fil de fer. La bande jouait de trois instruments: le taropatch, espèce de violon à cinq cordes, l’ukulele, petite guitare à quatre cordes, — ces deux premiers originaires de l’île de Madère — et une guitare plus grande dont je n’ai pu retenir le nom. Parmi les instruments essentiellement hawaïens qui ne sont plus guère employés aujourd’hui, il y a l’ohe, flûte de bambou dans laquelle on souffle avec le nez, l’ukeke, harmonica de bouche dont les quatre cordes sont des cheveux, le pahukani, grand tambour de bois de cocotier tendu de peau de requin, le hula-ula-uli, noix de coco remplie de petits cailloux que l’on agite comme une crécelle pendant les danses.
Nos artistes jouent et chantent avec une verve, un sentiment de la musique et un rythme remarquables. Ils improvisent et, autant que j’ai en juger les paroles de leurs chants s’adaptent merveilleusement à la mélodie.

Les Hawaïens sont poètes et aiment la musique autant que les fleurs. Leurs poèmes, en langue du pays Mele, n’ont pas de mesure; ces phrases courtes que l’on récite ou que l’on chante se transmettent de génération en génération. Il y a des chants religieux, des épopées, des chansons d’amour et des cantiques funèbres.
Je ne devais pas quitter Kauaï sans visiter l’intérieur luxueux d’un propriétaire de plantation. Là, les produits hawaïens, parmi lesquels j’admirai de fines nattes aux couleurs harmonieusement disposées, rivalisent avec les produits de l’art et de l’industrie européens. La salle de musique contient non seulement un superbe piano à queue, mais encore un pianola, invention américaine qui fàit fureur en ce moment et pénètre partout. Les jardins, arrosés par de nombreux ruisseaux, sont d’une grande beauté. La petite île de Kauaï, de 1418 kilomètres carrés, n’a pas moins de 13 rivières.
Une sage administration veille à l’entretien des forêts et au reboisement. L’arbre que l’on rencontre le plus fréquemment, un véritable enfant d’Hawaï, est le koa, espèce d’acacia dont le bois ressemble beaucoup à l’acajou.

Après quelques jours de repos chez mes aimables compatriotes, il fallut, pour rester fidèle à mon programme, leur dire adieu, ainsi qu’à leur île fleurie. Une fois encore le petit vapeur Iwalani me reçut à son bord; une fois encore je subis, sans trop en souffrir, les inconvénients d’un voyage entre les îles hawaïennes et j’arrivai sans encombre à Honoloulou.
Deux jours après, c’est d’Oahu, l’île des fleurs, que je prenais congé. Aujourd’hui, de retour dans ma patrie brumeuse et froide, je ne puis songer au bel archipel lointain sans que ces lignes de Mark Twain me reviennent à l’esprit:
«Je sens — en souvenir — les souffles embaumés de Hawaï rafraîchir mon front; le bruit des flots de l’Océan pacifique arrive encore à mes oreilles. Je vois les gracieux palmiers balancer leurs têtes au bord de la mer et, pareils à des îles, les sommets des montagnes poindre au-dessus des nuages. Je respire même encore le parfum des fleurs respirées là-bas, et leur arôme m’enivre comme jadis. »

Sur ces paroles se termine le séjour à Hawaï avec le chant du départ version locale. Extrait d’une partition cette célèbre chanson « Aloha » qui veut dire au-revoir. Ce fut d’ailleurs plus tard le titre d’un album d’Elvis Presley « Aloha From Hawaï ». Comme on peut le remarquer sur la partition, la composition en est attribuée à la reine Liliuokalani. Dans la logique d’un tour du monde d’est en ouest, la prochaine étape sera le Japon, pays encore plus mystérieux pour une Européenne.


A suivre

Sources : Wikipédia, B.N.F, DP

En passant

Voyage début de siècle (26)

Cécile de Rodt (1855 – 1929) est une voyageuse suisse qui entreprit un tour du monde en 1901. A cette époque, le monde peut sembler encore quelque chose d’un peu mystérieux d’autant plus que certains pays sont géographiquement très lointains. Ce n’est pas une aventurière, elle ne va pas se battre contre les Indiens, mais plutôt jouer à la touriste. A la suite de son voyage paraitra un livre publiée en 1904 qui contient des centaines de photos. De quoi se faire une idée de ce à quoi ressemblait le monde au début du 20ème siècle.

Découverte d’Hawaï suite

Même si l’on est à l’autre bout du monde, on n’en reste pas moins patriote. Elle mentionne le nom d’un Suisse qui prit part aux explorations de James Cook, originaire de la même ville qu’elle, Berne. Elle continue toutefois de nous parler de ses découvertes et ses explorations, notamment sur l’île de Kauaï. Mais son récit reste un résumé de ce qu’elle a vu sans toujours préciser l’endroit exact.

Lorsque Cook fit son dernier voyage, dans le but de trouver un passage entre l’Océan pacifique et l’Océan atlantique, il se trouvait un Suisse parmi ceux qui l’accompagnaient. Jean Waeber, peintre bernois, avait été désigné par le gouvernement anglais pour accompagner le grand explorateur et dessiner les sites et les habitants des pays qu’on allait découvrir. Le but principal de l’expédition ne fut pas atteint. Dans le détroit de Behring, où Cook se croyait arrivé à la réalisation de son rêve, il se vit soudain entouré par les glaces et obligé de faire voiles vers le sud. Il retomba sur les îles Sandwich qu’il avait découvertes une année auparavant; là, le trépas l’attendait. Du navire prêt à lever l’ancre, Waeber et ses compagnons assistèrent, terrifiés et impuissants, à l’horrible drame. Les dessins que Waeber rapporta de son voyage figurèrent dans un ouvrage publié par l’Amirauté. Ses travaux lui valurent le diplôme de membre de la Société royale des artistes. L’un de ses tableaux, un paysage, passa pour l’un
des meilleurs de l’exposition des Beaux-Arts à Londres, en 1788. Le peintre vivait dans cette ville et y mourut en 1793. Son talent et son travail acharné lui avaient valu, en Angleterre, une grande réputation et une situation très considérée. Toutefois il n’oublia jamais sa ville natale qu’il avait quittée fort jeune, et à laquelle il devait de la reconnaissance; c’était grâce à l’assistance morale et financière du gouvernement et de l’Abbaye des Marchands qu’il avait pu commencer ses études, à Berne d’abord, chez Aberli, puis, pendant cinq ans, à Paris. Waeber légua à l’abbaye une somme de cent livres sterling; de son vivant il lui avait donné déjà une collection de gravures ainsi que son portrait peint par lui-même, qui furent longtemps exposés dans la grande salle de l’Abbaye des Marchands.
La bibliothèque de la ville de Berne reçut les ustensiles, les vêtements et les armes des insulaires de la mer du Sud rapportés par Waeber; tous ces objets, dont plusieurs sont des exemplaires uniques — le Musée britannique lui-même ne les possède pas — sont conservés dans la collection ethnographique du Musée historique de Berne. Parmi les plus rares, se trouvent un manteau tissé entièrement avec les plumes rouges d’un tout petit oiseau des îles Hawaï, le lerthia coccinea, et un casque également en plumes. Ces deux pièces faisaient partie du costume d’apparat des anciens chefs hawaïens. Les vêtements de plumes étaient une spécialité des Hawaïens. Les indigènes les confectionnaient en fixant sur un filet à mailles serrées les plumes jaunes du drepanis pacifica ou 00, petit oiseau qui n’en porte que quelques-unes de cette couleur près des ailes. Quel massacre de ces gracieux animaux ne fallut-il pas faire pour tisser le manteau jaune de Kamehameha Ier, auquel on a travaillé pendant neuf générations, et que j’ai vu exposé au Bishop Museum à Honoloulou!
Le mamo, manteau dont le souverain ne se parait que dans les grandes solennités, était fait entièrement de plumes jaunes de l’oo et descendait jusqu’à la cheville. Les manteaux jaunes et rouges des princes étaient plus courts, ainsi que ceux, entièrement rouges, que portaient les prêtres.

Les dépouilles royales léguées par Wæber à sa ville natale proviennent certainement de cadeaux faits par les indigènes à Cook et à ses compagnons, qu’ils avaient pris pour des êtres surnaturels. Les blancs, toutefois, ne firent rien pour entretenir cette croyance et manquèrent d’égards envers les insulaires. Cook, lui-même, excita leur colère en faisant brûler, un jour qu’il manquait de bois, plusieurs idoles ainsi que la palissade qui entourait le temple. C’est probablement cette mesure arbitraire qui a coûté la vie au célèbre voyageur.
La mort tragique de Cook fit une telle impression en Europe que, pendant plusieurs années, aucun navire n’aborda plus sur ces îles, dont les paisibles habitants avaient acquis la réputation de féroces cannibales.
Mais revenons à la vallée de Waimea. Ses champs de riz d’un vert clair, ses étangs qui miroitent au soleil, ses cocotiers géants avec les minuscules huttes des indigènes à leur pied, forment un tableau d’une richesse de couleurs et d’un charme infinis.
La maison de mes compatriotes est située dans la plantation de Kakaha, au milieu d’une vaste prairie plantée de goyaviers et d’algoravas. C’est une jolie maison avec une véranda qui en fait le tour. On m’avait assigné ma demeure dans un cottage, à côté de l’habitation de mes hôtes; je ne tardai pas à faire la connaissance de mes nouveaux voisins, bruyants et caquetants, des martins tristes (acridotheros tristis) dont le nom répond aussi mal à leur caractère qu’à leur plumage. Le meina — c’est le nom que lui donnent les indigènes — vient des Indes et appartient à la famille des étourneaux. On me dépeignit son naturel sous les couleurs les plus noires: glouton et querelleur, cet oiseau, m’assura-t-on, aime à s’installer dans les nids des autres, qu’il en chasse à coups de bec. En fait de défauts, je ne pus constater chez le meina que sa grande loquacité. Le soir surtout, son caquetage est étourdissant; la nuit, au moindre bruit, il se réveille et bavarde à n’en pas finir.
De ma fenêtre, j’entendais la grande voix de la mer et je voyais la population cosmopolite de Kehaha se promener et s’amuser sur la plage. Les plantations occupent des Portugais, des Portoricains, des Chinois, des Japonais et quelques Kanakes. Ces derniers cependant ne travaillent que poussés par la plus grande misère. Les demeures des indigènes sont toujours ouvertes; on peut ainsi, sans indiscrétion, jeter un coup d’œil dans leur vie de famille et assister aux détails intimes de leur existence.
Ma visite au moulin à vapeur, où débute la fabrication du sucre, m’intéressa beaucoup. Je vis apporter des quantités énormes de cannes que l’on jette dans une machine pour y être broyées. Le liquide obtenu par cette opération est chauffé, clarifié au moyen de chaux et de gaz acide carbonique, après quoi on le cuit pendant trois ou quatre heures dans une chaudière. Le produit de cette cuisson, une mélasse épaisse, passe dans la machine centrifuge, qui la tourne avec une rapidité vertigineuse. Le sucre reste attaché aux parois du tamis, tandis que la mélasse liquide s’écoule et, cuite encore une fois, fournit une qualité de sucre inférieure. Le premier sucre, de couleur jaunâtre, est mis dans des tonnes et expédié aux raffineries de San-Francisco. Le moulin emploie comme combustible le résidu des cannes à sucre broyées et réduites en paille.

Indigènes dans les iris

A suivre

Sources : Wikipédia, B.N.F, DP