En passant

Paris, par-ci, par-là (6)

Descendons les Champs-Elysées pour finalement parvenir place de la Concorde. Bien sûr, la première chose qui saute aux yeux c’est l’obélisque. Mais peu de gens connaissent l’histoire de cette place, surtout pas les touristes, sans parler d’une chose très grande, visible, que pratiquement personne ne remarque. Non il ne s’agit pas de l’obélisque, c’est encore plus grand. Comme on peut le lire dans les livres religieux, au début il n’y avait rien. C’est bien le cas de cette place, qui devient une vague esplanade au 18ème siècle. En 1748, on décide un peu de meubler en projetant d’élever une statue équestre de Louis XV, hommage au roi qui a failli avaler son extrait de naissance à Metz. Comme on est pas trop pressé, elle ne sera vraiment visible qu’une quinzaine d’années plus tard, mais le roi étant devenu très impopulaire, elle suscite plutôt quolibets et railleries.
Un premier coup de semonce, préfigurant le déclin la royauté, se produit le 30 mai 1770. Si le roi n’est plus en faveur, on ne déteste pas encore son fils, le futur Louis XVI. Justement il se marie avec une certaine Marie-Antoinette. Sur la place en cours d’aménagement, on décide d’offrir une fête au peuple de Paris, avec feu d’artifice final. Le peuple se presse, c’est noir de monde. Un tir d’artifice mal ajusté provoque un mouvement de panique, on déplore 132 morts sur la place au début du mouvement, mais des décomptes ultérieurs font grossir les chiffre à près de 700 morts. Ah il commence bien le futur règne du roi serrurier.
En 1772, la place est achevée et ressemble un peu à celle que nous connaissons aujourd’hui pour les dimensions. Les années suivantes sont celles qui mènent à la révolution. En 1789, l’année doit vous dire quelque chose, l’endroit devient un lieu de réunions agité et surtout il y aura assez d’espace pour y mettre une guillotine avec les spectateurs. Elle changera de place plusieurs fois, mais c’est bien là que seront exécutés Louis XVI (21 janvier 1793) et Marie-Antoinette (16 octobre 1793). On renversera la statue de Louis XV, que l’on remplace par une statue de la Liberté et on la renommera place de la Révolution.

La plaque de la place Louis XVI existe encore mais effacée


La place de la Concorde trouvera son nom en 1795, mais il ne faut pas voir l’endroit comme la plaque tournante des événements parisiens, ni un endroit au nom définitif. On pourrait même ajouter ironiquement qu’on ne sait pas trop quoi en faire. Les temps sont troubles, il y a des républicains, mais encore des royalistes, la guillotine a coupé des têtes pour un oui ou un non, mais rien n’est vraiment résolu. La France connaîtra quelques régimes assez différents, le Directoire, le Consulat, l’Empire, la Restauration. Les têtes couronnées, celles qui règneront vraiment, seront Napoléon 1er (1804 – 1814 puis brièvement en 1815); Louis XVIII (brièvement en 1814 puis 1815 – 1824); Charles X (1824 – 1830); Louis-Philippe 1er (1830 – 1848); Napoléon III (1852 – 1870). Cela vaudra à la place plusieurs changements de nom, elle deviendra place Louis XV, place Louis XVI, place de la Charte, elle reprendra son nom définitif de Concorde en 1830 à l’instauration de la monarchie de Juillet en 1830.
Mais l’événement qui va lui donner un aspect significatif se produit en 1831. Le vice-roi d’Egypte Méhémet Ali décide de donner en cadeau deux obélisques à la France, celles qui trônent à l’entré du temple de Louxor à Thèbes. Ce genre de cadeau est nettement moins transportable qu’une caisse de dattes, encore chance qu’il n’ait pas songé à la pyramide de Khéops. Bien entendu cela ne se refuse pas, bonne entente oblige. La livraison est prévue en deux temps, la seconde après avoir livré la première à Paris. L’obélisque pèse 230 tonnes pour 23 mètres de haut, à laquelle il faut ajouter les 240 tonnes du piédestal. Son sommet est donc à 33,37 m de hauteur. Autant dire dire que la poste de l’époque ne prend pas le colis en charge même dûment affranchi. La seule solution, le bateau. On a encore le temps, elle n’arrive qu’à fin 1933, mais on ne sait pas trop où la mettre. C’est alors que Louis-Philippe a une idée, la mettre sur la place de la Concorde. L’idée lui plait, car après la valse des statues que l’on érige pour mieux les enlever après, l’obélisque n’a pas de symbole politique. Alors c’est parti, il y a du boulot, elle finira complètement dressée le 25 octobre 1836. La seconde ne fut jamais livrée, il fallut attendre presque 150 ans pour que la France dise clairement qu’elle renonçait à cette dernière. Historiquement, comme nous l’apprend la petite histoire, ce ne fut pas vraiment la première obélisque à trôner sur la place. En février 1784, des suites d’un hiver terrible, le peuple de Paris en éleva une, mais en… neige! Ce fut en l’honneur de Louis XVI qui y alla de sa bourse pour soulager un peu les misères du petit peuple très exposé aux rigueurs de l’hiver.
A partir de là la place subira quelques aménagements qui peu à peu conduiront à son aspect actuel. Mais il est vrai que si vous y allez aujourd’hui, la première chose que vous remarquerez c’est l’obélisque. C’est de très loin le monument le plus ancien de Paris, il date du XIII siècle avant J.-C., époque ou Paris ressemblait à une marécage chichement peuplé.
Après ce bref résumé de l’histoire de cette place, il nous reste un point à mentionner dont je parle au début de l’article, cette chose très grande, plus grande que l’obélisque, bien visible et que personne ne remarque.
C’est une vieille idée émise par l’astronome Camille Flammarion, celle de se servir de la place pour en faire un cadran solaire, l’obélisque en étant ce qu’on appelle le gnomon. Elle mit longtemps à être finalisée, mais le 21 juin 1999 dernier solstice d’été du siècle, c’est chose faite. En parcourant la place vous allez en cherchant bien découvrir sur le sol une suite de lignes plus ou moins visibles avec des chiffres romains de VII à XVII en bout de ligne. L’ombre projetée par l’obélisque vers les chiffres indique l’heure qu’il est. Il faut relativiser sa précision car pour être exact toute l’année, il faudrait qu’elle soit inclinée en direction du nord polaire à 49 degrés, qui est la latitude de Paris, or elle est verticale. Ce cadran n’est donc précis qu’à certaines dates de l’année. mais le fait est qu’il existe.

Sources . Wikipédia, B.N.F, Street view, DP

En passant

Paris, par-ci, par-là (5)

Allons dans un endroit de Paris très facile à trouver, les Champs-Elysées. Pourtant, même si tout peut sembler immuable, les choses changent et même assez rapidement. Il faut avoir un certain âge pour le remarquer. Une personne âgée de 20 ans aujourd’hui et descendant l’avenue, arrivée au nos 52-60 va bien remarquer qu’il existe une succursale des Galeries Lafayette. Mais sait-elle qu’il n’y a pas si longtemps, il y avait un autre temple de la consommation, le Virgin Megastore?
Inauguré en 1988, il sera pendant un quart de siècle un endroit où flâner et faire des trouvailles axées sur les médias, livres, disques, cd’s, dv’s, électronique, ordinateurs. J’ai quelque peu fréquenté l’endroit lors de mes escapades parisiennes. Une chose dont je me souviens très bien lors de ma première visite, la musique diffusée quand je suis entré, c’était ceci…

La raison principale de mes visites reste dans l’immense choix que proposaient les rayons. Moi qui suis plutôt un amateur d’obscurités, je trouvais assez facilement ce genre de choses. Même l’obscure réédition d’un obscur label du fin fond du Nebraska, je la trouvais. Une chose pas déplaisante non plus, le décor était assez somptueux, l’idée du temple est assez juste. La dernière fois que j’y suis allé, c’était un peu en coup de vent, sans présumer que c’était ma dernière visite. Nous sommes en 2012. J’étais parti en Bretagne et sur le chemin du retour, nous avions un arrêt de 4 heures à Paris. Le car nous a déposé en haut des Champs vers 10 heures et nous reprenait Place de la Concorde à 14 heures. C’était suffisant pour aller faire une petite visite au Virgin. C’est justement là que j’ai eu ma petite séquence humour de la journée. Je me suis baladé dans les rayons et approcha l’heure du déjeuner. N’ayant pas trop de temps à perdre, j’ai décidé de manger sur place, car je savais qu’il y avait un restaurant au premier étage. J’entre dans les lieux et une charmante hôtesse m’accueille : « Vous avez réservé ? » Je me suis mis à rire et lui disant que je n’avais pas vu que j’étais à la Tour d’Argent, tout en me moquant un peu du snobisme parisien. Réserver pour manger dans un endroit où la cuisine tient plus du fastfood que de la gastronomie, faut quand même pas trop pousser. Elle m’a quand même installé à une table et j’ai pu manger, pas trop mal d’ailleurs. Bye bye Virgin Magastore, je crois que j’ai encore un sac à quelque part avec ton logo, c’est sûrement un collector !

De temps en temps, ce serait bien que le concierge de la Toile fasse son boulot, annonce visible actuellement…

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N’allons pas trop loin, remontons une centaine de mètres l’avenue en restant du même côté. Arrêtons-nous au no 72. Je vais vous parler d’une petite aventure vécue il y a une trentaine d’années, dans l’endroit illustré sur la photo, l’entrée coté Champs se trouve au fond. Il se nomme Galerie des Arcades, il a un peu changé, mais on reconnaît encore. Par un bel après-midi je léchais les vitrines, comme on dit. Sans faire vraiment attention, tout à l’autre bout, je vis un bonhomme avec une serviette qui regardait quelque chose dans une vitrine. Comme il n’y avait presque personne, il était d’autant plus repérable. A un moment donné, il est parti pour revenir un peu après. Parfois on hésite sur un achat, c’est normal. Là où j’ai commencé d’être intrigué, c’est qu’il a plusieurs fois recommencé son manège. Je me suis douté qu’il y avait quelque chose de bizarre dans son comportement et je me suis approché pour essayer de comprendre. La boutique qui l’intéressait était en fait un magasin de lingerie, mais de là à faire un cirque pareil, il y a un pas. Il m’est arrivé de regarder une vitrine de lingerie, on regarde et c’est tout. Je me suis planqué dans un coin pour comprendre. Le monsieur tellement  absorbé pas sa quête n’a pas fait attention à moi. C’est alors que j’ai tout compris. Dans l’unique vitrine de la boutique, le fond était fait de bandes en papier crêpe, pendus par des ficelles. Un ventilateur rotatif posé sur le comptoir, faisait voler les papiers, permettant une vision momentanée à l’intérieur. Il y avait justement une cliente qui était en train d’examiner des soutiens-gorge avec la gérante. Le bonhomme pour ne pas se faire repérer, s’en allait et revenait pour noyer le poisson. C’est là qu’il avait tort, car sinon je n’aurais jamais fait attention à lui. A chacun son truc. Inutile d’aller vous rincer l’oeil sur place, cette boutique n’existe plus. Pour autant que ma mémoire soit fidèle, la boutique se trouvait là où une célèbre marque de montres s’expose, à droite sur la photo. Cher Monsieur qu’êtes-vous devenu ?


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Traversons l’avenue, attention de ne pas vous faire écraser. Descendons un petit peu et vous allez trouver tout de suite une rue qui part sur votre droite, la rue Marbeuf. Allons jusqu’au no 21. C’est un bistrot, le Bistro Marbeuf. A moins d’avoir envie d’une gratinée à l’oignon, inutile d’y entrer, vous n’y verrez rien de spécial et pourtant il y a bien longtemps…
Nous allons faire appel aux souvenirs d’un acteur de cinéma, même si ce n’est pas une star, vous avez certainement vu subrepticement sa binette dans l’un ou l’autre des quelques 600 films où il apparaît. C’est peut-être le troisième couteau le plus célèbre du cinéma français et il s’appelle Dominique Zardi (1930-2009). Acteur, journaliste, écrivain, compositeur, il a touché à pas mal de choses, mais il lui est arrivé une drôle d’histoire qu’il raconte lui-même et qui se passe justement dans ce bistrot qu’il fréquentait occasionnellement, il y a une petite cinquantaine d’années, la date exacte n’est pas précisée.
Zardi décide d’aller casser une croûte dans ce fameux restaurant. Il offre une certaine discrétion, même s’il n’est pas Alain Delon, sa figure est quand même relativement connue, c’est donc l’endroit idéal pour être tranquille. Il est en train de manger quand on lui tape sur l’épaule.
– C’est toi Zardi?
Il se fâche presque, furieux d’avoir été reconnu.
Il regarde l’inconnu, très élégant, très bcbg.
– Oui c’est moi. qu’est-ce que tu veux?
– Rien, je peux t’offrir une verre?
– Je suis déjà en train de le boire et j’aimerais être tranquille.
Le mec ne dit rien et se tire sur la pointe des pieds.
Quand il quitte le restaurant, il est sur le trottoir et interpelle Zardi :
– Si tu veux on peut manger ensemble un de ces jours.
Il dit oui, plus pour se débarrasser de lui qu’autre chose.
Zardi a soudain un flash, le mec en face de lui, c’est Jacques Mesrine.
Sans doute un peu par défi, et certain que le mec ne voulait pas le truander, il accepte l’invitation. Ils discutèrent de cinéma, de polars, Mesrine apparait comme un mec ayant une très grande culture cinématographie et littéraire.
Ce fut quand même une drôle de rencontre…

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Sources . Wikipédia, B.N.F, Street view, DP