Il y a à peu près un quart de siècle, j’étais un soir dans un bistrot en train de manger avec une amie. Arrivent deux Américains qui s’installent à la table à côté dans le but évident de casser la croûte. Le serveur vient et leur tend la carte, nous étions en pleine période de chasse. J’ai bien vite compris que pour eux, le français c’était du chinois. Je leur demande si je peux les aider pour choisir un plat. Ils acceptent, contents d’avoir de l’aide. Je leur explique en quoi consiste la saison de la chasse, attraction qu’il n’avaient pas l’air de connaître dans leur Colorado natal. Je conseille un civet de chevreuil, plat que j’avais moi-même mangé et qui était particulièrement savoureux dans ce bistrot. Ils optent pour le civet et se régalent, sans en laisser une brique dans l’assiette. Pour me remercier, ils m’offrent un autre pousse-café, une grappa maison de première spécialité du restaurant côté liqueurs. La discussion s’engage et j’apprends la raison de leur présence en ville. Ils sont venus participer à un tournoi international d’escrime. J’aiguille la conversation sur ce que je connais le mieux au USA, la musique. Sans être des spécialistes, je vois qu’ils ont quand même quelques connaissances sur les mouvements musicaux de leur pays., mais très superficielles. Je pose la question jocker, connaissent-ils Tim Buckley ? Non ! Toute une éducation à refaire…
Remontons quelques trente ans en arrière. Je m’étais procuré en 1968, une compilation qui s’appelait « Off » éditée par Metronome en Allemagne et qui présentait un échantillonnage d’artistes enregistrant pour Elektra au USA. Il y en avait deux que je connaissais déjà, les Doors et Love. Parmi les inconnus je découvris un certain Tim Buckley qui y figurait avec « Song Slowly Song », je recherchai alors l’album où elle se trouvait, le premier album. C’est ainsi que je commençai une longue histoire d’amour avec celui que je considère comme un des plus grands, sinon le plus grand, des chanteurs américains.
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Je m’arrêterai sur le premier album, sans doute le plus magique, le plus ensorcelant. Il est sorti en 1966, on peut le classer dans une mouvance folk-rock, teintée de psychédélique. Toute la magie de Buckley s’y trouve, une voix qui peut couvrir 5 octaves, la joie, le cafard, la poésie. On peut y frissonner à l’écoute, mais sans en ressortir tout à fait innocent, ça reste collé à la peau. Buckley continua sa route, il croisa d’autres mouvements, l’expérimental, le jazz, la soul, il s’éclata une dernière fois d’une overdose en 1975, son dernier paradis artificiel…
Voici cet album, toutes les chansons sont des originaux de Buckley, dont certaines en collaboration avec Ralph Beckett. J’y ai glissé trois traductions françaises de ses textes, Buckley c’est aussi de la poésie. J’ai mis en tête « Song Slowly Song », peut-être la merveille de l’album, histoire d’amour avec peu de paroles et une mélodie ensorcelante.
Song Slowly Song Avec tes beaux cheveux Et tes seize ans Tu m'as embrassé alors que j'étais encore allongé Si je ne peux jamais te voir Alors je dormirai pour toujours Tout mon amour solitaire à tuer
Song Of The Magician Quand je chante, je peux tout amener sur l'aile S'envoler d'un air étourdissant Jusqu'au sol parce que je tiens à toi Tu seras l'amour et ton amour vivra Quand je souris, je séduis tout le temps et à chaque kilomètre Quand je marche dans le ciel De l'horloge de tes yeux Tu seras l'amour et ton amour vivra Je jette des sorts depuis le puits et je peux te parler de cloches. Écoute ma voix magique Apprends les airs des jouets d'enfants Tu seras l'amour et ton amour vivra Quand je mourrai, ne pleure pas, entends mon soupir qui passe. Après que je me sois transformé en vent J'essaierai de t'aider à te plier Tu seras l'amour et ton amour vivra
Strange Street Affair Under Blue Juste pour toi, avec tes mains ouvertes Attendant le contact de l'homme S'agrippant avec tes gants noircis Vous essayez de capturer toutes les colombes Qui s'enfuient dans La forêt devant vous Tu veux m'attraper et me mettre en cage maintenant Je me demande si tu te souviens combien C'était difficile de dire les noms Des rêves en miroir et des jeux trichés Et sur le mur Tu as encadré ton premier amant Ta forme m'intrigue avec sa lueur Je me souviendrai de toi, je le sais Même si j'ai oublié de verrouiller la chaîne Autour de toi avec une prière pour la pluie Pour apporter l'appel Pour te ramener dans mon lit
Durant les sixties, la discographie française de distingua par le nombre impressionnant de publications qui furent faites sous la forme de EP, c’est à dire quatre titres, deux par face. Le principe de base était un peu mercantile, on vendait deux fois plus de marchandise sur la réputation d’un titre principal ou d’un succès, le 45 tours simple avec deux titres était réservé à la promotion et aux jukeboxes. L’avantage principal de ces EP’s demeurait dans le fait que ces éditions étaient présentées dans une pochette avec le plus souvent une photo de l’artiste et un emballage cartonné et plastifié plus résistant à l’épreuve du temps. L’Angleterre et les USA eurent beaucoup moins recours à ce genre de publications. Le plus souvent, la règle était le 45 tours simple emballé dans une simple pochette à trous permettant de voir l’étiquette du disque. Aujourd’hui ces fameuses disques EP’s français, surtout ceux concernant des artistes étrangers, sont recherchés par les collectionneurs du monde entier car ils sont uniques dans leur genre et peuvent parfois atteindre des sommes folles s’ils sont très rares. Au fil des semaines, je vous en présenterai quelques uns parmi ceux qui attirent justement les collectionneurs. Ils seront présentés avec la pochette, éventuellement avec un scan de ma collection personnelle si je ne trouve rien de satisfaisant, les titres qu’ils contiennent, et le plus haut prix atteint par une enchère sur Ebay.
Certains de ces fameux EP’s édités en France durant les sixties furent réédités une ou plusieurs fois au vu de leurs succès. Il y a un ou deux cas qui sont célèbres. L’un d’entre eux concerne les Beatles. Une première publication en EP eut lieu en 1963 contenant deux de leurs succès anglais « From Me To You » et « Please Please Me ». En général, les maisons de disques faisaient un premier tirage qui servait de test, mais sans qu’on l’édite à des milliers d’exemplaires. Si le disque décollait dans les ventes, on en éditait une autre fournée, et ainsi de suite. Très souvent la différence entre deux éditions n’est pas toujours très visible, une date d’imprimerie, un nom d’imprimeur, un numéro de matrice, sont les seuls points qui permettent de les distinguer. En général, pour le collectionneur lambda, en avoir une ou l’autre copie est suffisant. Cette première édition concernant les Beatles, peut se distinguer entre deux faits assez visibles, l’étiquette du disque est bleue ou orange selon les éditions, le pochette est semblable. Mais en 1964, on ne sait trop pourquoi, Odeon ressortit le même disque avec une pochette complètement différente que l’on appellera par la suite « sandwich cover ». La mise en scène est typiquement française, les Beatles sont coiffés d’une casquette, d’un chapeau style Napoléon, d’un béret basque, et une casquette de gendarme. De plus ils tiennent chacun un de ces sandwiches baguette, qui donne le surnom à la pochette. Ce disque se vendit en très petites quantités et il est fort rare, il figure certainement dans le top 5 des recherches de collectionneurs. Il existe des contrefaçons ou des rééditions plus ou moins légales qui se repèrent à certains petits détails. Elles sont sans grande valeur, sinon d’ornement, et ne peuvent tromper un collectionneur averti.
The Beatles – Odeon EP SOE 3739. Publié en 1963. Meilleure enchère sur Ebay 130 euros, label bleu,
Une curiosité, le même disque mais sans aucune mention du nom, le verso est aussi partiellement imprimé, label orange. Il s’agit probablement d’une erreur d’impression qui aura échappé à l’oeil du contrôleur mais néanmoins en circulation. Meilleure enchère sur Ebay 850 euros.

La fameuse pochette sandwich, le numéro de référence est le même et le label orange. Meilleure enchère sur Ebay 3530 euros.
Bonjour M. Boss,
Tim Buckley , une voix très chaude et envoutante , je connaissais, sans trop explorer sa discographie.
La pochette Sandwich des Beatles , les deux labels (étiquettes sur le rond central du disque) bleus et orange auraient garnis cette pochette, et non seulement l’orange ? (ré-emploi, allez savoir? vu le peu de ce disque en circulation) …en effet ce disque est le cauchemar des collectionneurs , ce super 45 T quasiment introuvable aujourd’hui constitue sans nul doute la rareté absolue en ce qui concerne les pressages français des disques des Beatles .
La photo fut réalisée à Paris en janvier 1964 par Dezo Hoffmann (nom crédité au verso de la pochette)
bonne semaine
cooldan
Hello Cooldan,
En principe je pense que le fameux n’existe qu’avec le logo orange en original.. Le seul que j’ai vu était ainsi. Mais j’ai eu une discussion avec un vendeur qui prétendait l’avoir vendu avec un logo bleu. Mais comme il était un peu vantard, je pense qu’il ne l’a jamais eu, il a confondu avec la réédition. Toutefois, le fameuse série de EP vers 65-66 en 4 volumes MOE 21XXX a bel et bien un logo bleu. Certaines sources disent qu’une grande partie du tirage a fini à la presse, pour d’obscures raisons, peut-être une vente très modeste. Pas facile de s’y retrouver. Pour le reste, c’est en effet la rareté française absolue.
Bonne suite de semaine
Hello M. Boss,
Pour ce fameux Ep Sandwichs , non je ne pense pas que ce vendeur était vantard, je l’ai vu vu ( 2 fois), avec logo bleu également , vu sa rareté, je crois pas que le ou les vendeurs aient changé le disque à l’intérieur ! je pencherai plutôt comme je vous l’ai dit à un ré-emploi peut être diffusé à la presse pour de sombres raisons comme vous dites ??? …le mystère demeure, c’est ce qui fait son charme !!
La ré-édition de la pochette n’a jamais été vendue avec un disque , si c’est le cas, c’est frauduleux !
Bon dimanche, cooldan
Hello Cooldan,
Ce qui m’a surtout fait mettre en doute ce vendeur, c’est qu’il avait l’aire assez farfelu. Mais si vous l’avez vu, là j’y crois forcément.
Il n’en reste pas moins que c’est assez énigmatique. Le fait qu’il soit aussi rare a forcément une raison dont je ne connais pas le fin mot. Il faudrait pouvoir comparer plusieurs copies, mais on peut rêver !
Bonne semaine
Hello M. Boss,
Ce qui pourrait nous apporter une certaine vérité sur l’affaire « Sandwichs » ce serait de pouvoir récupérer la fiche de production de l’époque …mais ça c’est une autre histoire ! et à savoir si elle serait assez explicite ????
Bonne semaine
cooldan
Hello Cooldan,
En effet, ce serait bien.
Mais j’ai un théorie qui me semble satisfaisante.
Une quasi certitude, s’il a été réédité « normalement » en 1964, il devrait avoir le logo orange. La réédition des fameux 4 EP’s volumes 1,2,3,4 avec le logo bleu a été lancée en 1965 – 1966, on peut dire qu’en 1964, c’est l’orange qui prime.
Selon certaines sources, il y a eu qu’un tirage limité de la fameuse pochette, sans disques. destiné probablement à une future réédition qui n’a jamais eu lieu. Pour une raison ou pour une autre, quelques unes de ces pochettes se sont « évaporées » dans la nature, En fait, c’est la pochette qui est un collector et le disque qui correspondrait à cette réédition n’a jamais existé. Alors pour rendre plausible cette édition, certains ont mis dans la pochette le disque des premières éditions, logos bleu ou orange. Certaines copies qui furent vendues sur Ebay comme étant la fameuses édition ont un disque avec le logo bleu qui mentionne pour les droits d’auteur « D.R », ce qui correspond aux premiers pressages de la première édition, alors que les copies avec le logo orange mentionnent « BIEM ». S’il y a une copie logo bleu de ce truc avec mention « BIEM », alors oui, c’est sans doute une édition qui date bien de 1964. Mais cela existe-t-il vraiment datant de 1964? Je ne vois pas trop pourquoi un disque si rare aurait bénéficié de deux logos différents. Pour moi, le truc du disque emprunté aux éditions précédentes me paraît plausible, d’autant plus que le numéro de catalogue est le même. Vu la rareté de la chose, je pense que des collectionneurs, les premiers qui l’ont acheté l’ont fait en toute bonne foi, mais que certains vendeurs ont un peu « forcé la main ». Personnellement à l’époque, j’écumais déjà les bacs des disquaires je ne l’ai jamais vu, et je crois avoir vu toutes les publications d’alors, même la série volume 1 à 4 était visible dans une moindre mesure, les vendeurs proposaient tout ce qui pouvait être Beatles sans trop de distinction entre ce qui était nouveauté ou réédition. Je sais aussi que je n’ai jamais entendu parler de ce disque avant les années 1980, la première fois dans le livre vendu avec la compilation Eva « Sounds Of The Sixties ».
Encore une fois l’idéal serait de pouvoir comparer sur plusieurs exemplaires.
Voilà c’est une théorie, une de plus.
Bonne suite de semaine
Bonjour M. Boss,
Votre démonstration est très pertinente et je pars volontiers sur le fait que cette réédition avec disque n’a jamais existée , certaines pochettes ont peut être été distribuées ou évaporées dans la nature de façon volontaires (promo) ou pas par la firme ODEON (en France)
Quant au disque qui aurait pu être rajouté par la suite, c’est au petit bonheur de ceux qui l’ont fait : label bleu ou orange selon la récupération d’un disque de la pochette standard , tout en sachant que la pochette d’origine qui n’a jamais été modifiée depuis le départ, avait à l’intérieur un label bleu et ensuite orange
ref 7 SOE 3739 et même un label orange sans le 7 soit SOE 3739 .
La série volume 1 à 4 .a été surtout destinée au marché belge,
Cette théorie tient la route comme on dit ! maintenant il faut entretenir le mythe , et chacun est libre de faire son interprétation, ….ou alors la vérité est ailleurs, allez savoir …..
Mais si il y eu quand même une production avec disque, seule la feuille de production pourrait le justifier …ces archives existent elles encore ? ( Pathé Marconi EMI) il y avait sûrement un dépôt quelque part ( bibliothèque nationale ou autre ?)
Bonne suite de semaine
cooldan
Hello Cooldan,
La piste de la pochette promotionnelle est aussi possible. J’ai un EP d’Antoine (Les Elucubrations) qui est toute semblable à l’édition normale mais qui a au dos un découpage qui permet de rabattre le carton afin de mettre la pochette en présentation verticale dans une vitrine. Cette fameuse pochette a peut-être été éditée avec la même intention au départ, mais l’idée n’est allé jusqu’au bout, peut-être l’imprimeur a oublié de faire la découpe ou soudain ils ont changé d’avis. Cette pochette m’intrigue, car elle détonne complètement dans la production normale. Même dans les années 70 quand EMi a réédité certaines publications sixties françaises EP’s LP’s ils ont gardé le montagne pochette d’origine.
Il y a bien un objet disque déposé à la bibliothèque nationale en 1964 avec la fameuse référence, mais il faut aller sur place pour consulter et cela peut être la suite des rééditions précédentes avec première pochette.
La série en 4 volumes a aussi été distribuée en Suisse, ils se trouvent plus facilement là-bas, quand je dis facile, c’est à prendre avec des pincettes. Mais comme le pays avait très peu de production locale, on acceptait un peu toutes les provenances, les premiers arrivés étaient les premiers distribués.
Mais comme vous le dites, entretenons le mythe.
Bonne fin de semaine