Cécile de Rodt (1855 – 1929) est une voyageuse suisse qui entreprit un tour du monde en 1901. A cette époque, le monde peut sembler encore quelque chose d’un peu mystérieux d’autant plus que certains pays sont géographiquement très lointains. Ce n’est pas une aventurière, elle ne va pas se battre contre les Indiens, mais plutôt jouer à la touriste. A la suite de son voyage paraitra un livre publiée en 1904 qui contient des centaines de photos. De quoi se faire une idée de ce à quoi ressemblait le monde au début du 20ème siècle.
Découverte d’Hawaï suite
Après les principaux faits qui retracent l’histoire récente politique de l’ile, il s’agit maintenant d’ouvrir les yeux et de contempler la paysage, d’observer comment les gens vivent, partir explorer en touriste ce qui peut faire ou non, tout le charme d’une terre lointaine et inconnue pour la voyageuse. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’île connait une développement assez avancé, il y a déjà des tramways électrique dans la capitale.
L’hôtel que j’habite est situé dans un grand et beau jardin des tropiques; ses façades sont garnies de balcons le long desquels s’enchevêtre une végétation luxuriante. Dans le vestibule, de minuscules Chinois courent de droite et de gauche pour le service de la maison. J’appris plus tard à mes dépens, que ce sont de fieffés coquins; j’eus cependant grande envie d’en ramener un en Europe. Avant le déjeuner, nous nous mettons en route pour le Punch-bowl, volcan éteint, qui s’élève solitaire, à 150 mètres environ, au milieu d’une plaine. D’ici, nos regards plongent sur le grouillement des mâts, des voiles, des embarcations de toute espèce amarrées dans le port, des tours en bois, des toits plats, des blanches villas éparses dans un fouillis inextricable de plantes inconnues et étranges.
Transportée d’admiration devant cette végétation superbe, je cueillis une grande gerbe des fleurs qui me parurent les plus belles. Lorsque, arrivée à l’hôtel, j’exhibai ma moisson d’un air de triomphe, on me dit dédaigneusement: « Des lantanes! la plus mauvaise herbe de l’île. Il n’y a pas moyen de l’extirper.» Au lunch, nous trouvâmes M. L., notre compagnon de voyage, qui se joignit à nous pour aller en voiture à Pali.
Après le long voyage sur mer, pendant lequel je n’avais vu que le ciel et l’eau, j’appréciais doublement la beauté de toutes choses: les magnifiques buissons de croton aux fleurs multicolores, les haies d’hibiscus, les arbrisseaux épineux du cierge à grandes feuilles (cereus grandiflorus), plante de la famille des cactées dont la fleur s’épanouit la nuit et exhale un parfum suave, les étangs parsemés de nénuphars roses et bleus. Les enfants d’Hawaï ont la passion des fleurs; ils en garnissent leurs têtes et leurs chapeaux; souvent on les voit, le cou et le buste ceints de plusieurs guirlandes. En se disant adieu, les amis se parent mutuellement de chaînes odorantes; à l’hôpital, il y a un bouquet auprès de chaque lit. Des fleurs, des fleurs partout, dans la joie et dans la douleur!
J’admirai encore les couronnes jaunes de l’ilima royal, ainsi que les plumerias au parfum violent; leurs fleurs jaunâtres s’insèrent les unes dans les autres à la façon des lilas dont les enfants européens s’amusent à faire de longues chaînes. J’en ai vu tressées avec des œillets et avec les feuilles embaumées du meilé, plante odoriférante qui croît sur les hauteurs. Les indigènes ont un nom particulier pour ces ornements parfumés: ils les appellent leis
Nous voici dans la montagne. Une magnifique route, bordée de bananiers et de palmiers majestueux, parcourt une vallée où croissent à profusion des arbres de toute espèce et des fougères arborescentes; elle nous conduit au col de Nouanou Pali. A gauche et à droite, des parois de roches rougeâtres s’élèvent perpendiculairement à mille mètres. Le vent formidable qui soufflait dans ces parages nous permit à peine de jeter un regard sur les riantes demeures, sur les champs verdoyants de riz, de cannes à sucre, de taro, plante de la famille des aroidées, dont la racine très riche en fécule fournit aux Kanakes leur mets national: le poi. Entre deux chaînes de montagnes sauvages et déchirées, on aperçoit l’océan; de grandes vagues turbulentes viennent se briser contre les sombres écueils, d’où elles retombent en écume légère pour retourner vers l’immense étendue qui réflète les jeux de lumière du soleil et les ombres des nuages. La journée se termina à Waikiki, plage où, le soir, les habitants de Honoloulou viennent se promener et se baigner. Nous y passâmes de délicieuses soirées au clair de lune. Les nuits des tropiques sont incomparables: les étoiles scintillent, les fleurs répandent leurs parfums les plus suaves et souvent, par un ciel clair, une légère ondée vient rafraîchir la nature.
Honoloulou possède un grand nombre d’institutions d’utilité publique, fondées, pour la plupart, par les souverains de Hawaï. Citons plusieurs écoles, le Bernice Pauahi Bishop Muséum, très intéressante collection d’antiquités et de produits de l’art et de l’industrie modernes, une bibliothèque, un jardin botanique, des pépinières et un hôpital supérieurement organisé. Comme l’une des garde malades était ma compatriote — elle vient du canton d’Argovie — je pus visiter en détail le Queen’s hospital. Melle Wernly, venue toute jeune aux Etats-Unis, est plus Américaine que Suissesse. Elle habite avec cinq autres nurses une ravissante villa, voisine de l’hôpital; chacune y a une très jolie chambre, et toutes ensemble partagent un salon pourvu d’un piano, et une salle à manger. Les sœurs, servies chacune par un boy japonais, ont le blanchissage gratuit, sont logées et nourries aux frais de l’hôpital et reçoivent quarante dollars par semaine. Tous les six mois une des garde-malades doit se charger du service de nuit pendant un mois entier. Le jour elle a le loisir de dormir; son temps de veille fini, on lui accorde une semaine de vacances. Le Queen’s hospital est situé dans un parc de toute beauté. Une allée de palmiers majestueux conduit au bâtiment principal; on voit des cactus noueux qui atteignent la taille d’un pommier moyen.
Cet hôpital a été fondé par la reine Emma pour les malades indigènes. Aujourd’hui on y reçoit des Chinois, des Japonais, des Européens de toutes nations et de toutes confessions. Il y a des chambres de 12 à 14 lits et de plus petites à un ou deux lits pour les malades qui paient. La salle d’opération ainsi que la salle à manger sont grandes, bien aérées et proprement tenues. La ville de Honoloulou est, comme une capitale européenne, coupée en tous sens par des tramways électriques ou à chevaux. Une ligne de la première catégorie, construite au flanc d’une colline, aboutit à Pacific Height, d’où l’on aperçoit, à ses pieds, la chaîne si caractéristique du Punch-bowl, et la ville de Honoloulou pareille à un immense jardin d’où émergent quelques hautes maisons et les bâtiments publics. Pacific Height qui vient d’être ouvert aux promeneurs est encore inhabité; mais on prévoit que de gracieuses villas ne tarderont pas à venir se suspendre aux versants roses de la montagne.
Amazone Kanake
Une ligne de chemin de fer fait le tour de l’île; nous en profitons pour nous rendre à Waialma. A mi-chemin, nous apercevons Eva-Mill, une des plus grandes plantations de cannes à sucre du monde. Elle occupe 5000 ouvriers, chinois et japonais pour la plupart. A droite de la voie, s’élèvent de hautes roches perpendiculaires, inaccessibles, semble-t-il. Des chèvres sauvages en ont fait leur demeure;il s’y trouve de profondes cavernes dans lesquelles les anciens Kanakes ensevelissaient leurs morts. A notre gauche, l’océan, jamais las, roule ses flots dont la grande voix monte jusqu’à nous.
L’algorava est vraie bénédiction pour les hommes et pour le bétail; il prospère dans tous les terrains et produit une quantité prodigieuse de grains sucrés qui conviennent particulièrement aux chevaux. A six ans, il donne une récolte abondante et un bel ombrage. A Waialua, l’hôtel Haleiwa, jolie maison neuve avec de grands jardins, au bord de la mer, ne paraît pas attirer encore beaucoup de voyageurs. Au retour, nous jouîmes de la société de deux femmes kanakes, les plus volumineuses que j’aie jamais vues. Mes compagnons de voyage, ayant voulu les photographier à leur insu, furent pris sur le fait par les deux belles et accablés d’invectives parmi lesquelles celle de damned Dutchmen (maudits hollandais) était sans doute la moins injurieuse.
A suivre
Sources : Wikipédia, B.N.F, DP










