Nos disques mythiques (19)

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DEM BONES – DEM BONES – DEM T-BONES

En 1965, les fans des Yardbirds ne pouvaient presque pas passer à côté de ce disque, car il est assez directement lié à ce nom. D’abord parce que le fameux producteur russo-suisse Giorgio Gomelsky, en est aussi le producteur. Ensuite parce que le Yardbirds étaient le groupe résidentiel du Marquee Club, fonction qu’ils durent abandonner suite à leur succès grandissant. C’est ainsi que Gomelsky réussit à les remplacer par ses nouveaux poulains, Gary Farr & T-Bones. Etre sous sa houlette n’était pas une mauvaise chose, il donna aux Rolling Stones leurs premières chances. Il amena les Yardbirds à la gloire, un peu plus tard Julie Driscoll et Brian Auger, et encore plus tard il écrira une belle page avec le fameux groupe français, Magma. Son nom est indiscutablement lié à la musique progressive des années 70.

En comparaison Gary Farr (chanteur et fils d’un ancien champion de boxe) et son groupe furent relativement malchanceux, ils n’eurent pas l’ombre d’un succès qui naquit de la poignée de 45 tours qu’ils enregistrèrent. Le seul point visuel d’époque qui existe d’eux est ce 4 titres publié en Angleterre avec une photo prise en compagnie du squelette d’une de ces sympathiques bestioles préhistoriques qui mesuraient au moins dix mètres de haut. Il faillit y en avoir un second, en France. Le label Riviera qui distribuait alors les productions de Gomelsky pour l’Hexagone, édita un quatre titres du groupe, un peu différent en contenu, mais avec une photo des Yardbirds à la place des T-Bones.

La conception de cette édition anglaise offre des titres nouveaux pour les fans, bien qu’il s’agisse de quatre reprises venues du répertoire noir. Le titre le plus étonnant est « Get The Money », d’inspiration afro-cubaine et exploitation de la face B du titre le plus connu de Mongo Santamaria, « Watermelon Man ». La durée du morceau est assez exceptionnelle, près de cinq minutes. Rappelons qu’en 60-65, trois minutes c’était déjà presque long. Une particularité propre à ce titre et à ce disque, la version publiée ici comprend un fond vocal en espagnol au fil du morceau, absent sur les rééditions subséquentes. Pour le reste, nous trouvons « Deed and Deed I Do » (Bo Diddley); « I’m Louisiana Red » (Louisina Red); « Jumpback (Rufus Thomas).

Sans être révolutionnaire, le contenu est très plaisant. Une très belle illustration de ces musiciens anglais qui puisaient à la source de la musique noire, pour en faire des versions assez personnelles. Bien que certains titres ne manquant pas de punch, le son reste soft, jamais agressif. Gary Farr continua une carrière discrète en soliste ou comme chanteur du groupe Lion, dont le guitariste Robin Le Mesurier n’est autre que l’actuel guitariste de scène de Johnny Hallyday. Il est mort d’une maladie cardiaque en 1994.

C’est une pièce vraiment rare et très recherchée par les amateurs du genre. Un copie en bon état peut dépasser les 200 euros, beaucoup plus que le prix que je l’ai payée il y a 50 ans!

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La fameuse édition française avec la photo des Yardbirds. Egalement très cotée.

C’est la version du EP anglais, celui qui l’a mise en ligne possède visiblement le disque original

Comme le quatrième titre « Jumpback » n’est pas disponible sur YouTube, je vous mets à la place un titre intéressant que figurait sur un 45 tours anglais également puisé dans le répertoire noir, « How Many More Times », bien connu dans la version de Led Zeppelin.

Alexis Korner – Une légende dans la légende

Il faut un début à tout. Quand quelque chose se produit à l’autre bout du monde, si personne n’en parle aux antipodes, l’événement en restera certainement là. En musique, c’est pareil. Nous avons maintenant l’habitude d’être informé presque instantanément de chaque fait à travers le monde, à la vitesse de la lumière. Si on remonte quelques dizaines d’années en arrière, disons 1950, l’ensemble des médias étaient une série de moyens qui progressaient à une vitesse plus proche de celle de l’escargot. Quelques chaines de radios d’état, peu en avance sur leur temps, une télévision assez archaïque, quelques appareils domestiques qui permettaient de se faire une petite sérénade privée. Le fameux tourne-disques, d’abord en 78 tours et ensuite en 45 ou 33 tours, pièce d’un certain luxe social. Le support destiné à cet appareil, le disque, était au bon vouloir de vendeur qui voulait bien le proposer dans son magasin, les radios de le diffuser ou du quidam d’en faire profiter son entourage. Bref, on avançait prudemment et d’une manière très guidée. Toute la musique moderne doit son avènement à ses origines américaines, qui sont aussi une rencontre entre les ethnies blanches et noires. En Europe, le jazz a été considéré pendant longtemps et par une majorité, comme de la musique de sauvages. En Amérique, c’était un peu la même chose, mais on avait une longueur d’avance dans l’assimilation de cette musique. Discrètement d’abord, plus ouvertement ensuite, le jazz devint un langage commun qui sortit des ghettos. Il finit par arriver chez nous dans les années 30, dans une vision malgré tout assez édulcorée. Le blues authentique, son frère de sang, mit plus longtemps a conquérir un public européen et blanc et encore fallut-il quelques personnages d’envergure pour attirer l’attention sur lui. Incontestablement, le blues a débarqué en Angleterre d’abord, et le personnage clef de ce mouvement est Alexis Korner.
Alexis Korner est né à Paris d’un père Autrichien et d’une mère Grecque, en 1928. Il parcourt en famille la Suisse, l’Afrique du nord pour finalement atterrir en Angleterre en 1940, au début de la guerre. Rien de spécial pendant les dix années suivantes, sinon qu’il apprend à jouer du piano et de la guitare et perfectionne le chant.  En 1949, il intègre l’orchestre de Chris Barber, alors un musicien de jazz traditionnel très en vue pour les années 50, son véritable âge d’or. L’événement principal pour Korner, n’est pas tellement de faire partie de ce groupe, mais de rencontrer Cyril Davies, un harmoniciste, partenaire essentiel dans ce qu’il va mettre en train. Ils sont les deux mordus de blues et estiment que cette musique mérite d’être présentée de manière plus visible en Angleterre. Ils vont passer plusieurs années à faire tourner des artistes noirs, ouvrir un club dédié en 1955 et faire quelques disques assez confidentiels. L’essentiel reste toutefois leur acharnement à défendre la cause du blues pur et dur. Ils s’y emploient très bien et pour finir ils deviennent une attraction avec laquelle on veut s’accoquiner. Leur travail prendra encore plus de valeur quand le Alexis Korner Blues Incorporated sera fondé et un contrat chez Decca signé. Tournant autour de l’astre lumineux, on va retrouver quelques personnages qui vont devenir des têtes d’affiches plus tard, Mick Jagger, Long John Baldry, Jack Bruce, Ginger Baker, Graham Bond, Charlie Watts, Dick Heckstal-Smith, Rod Stewart, John Mayall, que du beau monde à faire frissonner les connaisseurs. Membres d’un instant ou d’un moment, ils sont là. Sa discographie sera loin d’être pléthorique pendant quelques années. Un premier album en 1962 pour Decca, « R&B From The Marquee », sera une belle introduction à son héritage musical. On y retrouve les premiers classiques de cette vision du blues revisité par cette Angleterre conservatrice en pensées, mais pas tellement en actes. Ce sera l’occasion pour John Baldry de s’essayer à quelques vocaux et surtout d’entendre la voix de Cyril Davies qui meurt prématurément en 1964.

Malheureusement, Decca ne semble pas avoir saisi toute l’importance du personnage et les titres des sessions suivantes attendront tois ans avant de voir le jour, surtout quand on s’apercevra que pas mal de monde se réclame élève de Korner, un certain Mick jagger par exemple. En 1964, c’est pour le label Oriole, moins en vue mais renommé, qu’un second album voit le jour, « At The Cavern ». C’est un résumé des concerts dans ce fameux endroit qui fit honneur aux Beatles. Les musiciens du moment sont sans doute moins prestigieux, ce qui n’enlève rien à la qualité, Davies est parti pour un ailleurs incertain. C’est encore un label secondaire, mais tout aussi prestigieux en devenir Transatlantic, qui leur offre un troisième album « Red Hot From Alex ». On sent très bien toutes les innovations que Korner tente d’apporter à ce blues si cher à son coeur. Il sera coiffé au poteau par le réputation grandissante de son ami John Mayall, qui oeuvre pour la même cause, cette fois-ci avec le soutien total de Decca qui a enfin compris l’importance du mouvement. Les années filent et Korner a l’occasion d’enregistrer d’autres albums, un par an. Mais si sa réputation est grande, les disques sont d’une présence plus confidentielle dans les bacs des disquaires. Il est vrai que le personnage est sans doute plus un homme de scène que de studio. En cinq ans, le paysage musical s’est tellement transformé, que la tradition revisitée et améliorée ne suffit plus. Korner en est bien conscient et il va à sa manière enfin connaître les honneurs du hit-parade. En 1970, avec quelques requins de studio, dont le chanteur Peter Thorup, il fonde le groupe CCS (Creative Consciousness Society), sorte de big band. Ils vont connaître le succès avec une reprise instrumentale du fameux « Whole Lotta Love » de Led Zeppelin couplé à une reprise de « Boom Boom » de John Lee Hooker, originale et succulente. Le célèbre Mickie Most, producteur efficace est derrière. Ils vont remettre cela avec un suite d’albums à la réputation flatteuse. Ils seront à quelque part les premiers à rendre hommage à Michael Jackson en reprenant « I Want You Back » des jeunes Jackson 5. Les années 70 défileront en voyant la légende se forger, CCS, des tas de disques avec des gens prestigieux, sans doute plus stars que lui, mais le nom de Korner domine le tout, c’est lui la vedette. Son ultime grande participation sera avec Rocket 88, qui préfigure de bien des années le Charlie Watts All Stars, une réunion de ce dernier avec Korner, Chris Farlowe, Ian Stewart et un tas d’autres, des musiciens de pointe à l’évidence. Ambiance très jazz. Un album marquera l’existence de ce groupe.
En 1984, l’homme avec la cigarette toujours au coin de la bouche, tousse une dernière fois. C’est une perte immense pour le monde des musiciens liés d’une manière ou d’une autre avec ce monument qu’on ne pourra jamais déboulonner de son socle.

Sans doute la première version de « Hoochie Coochie Man » enregistrés en Angleterre

CCS