Un pélerinage au Show Room Cervin

Paris étale ses rues sans idées géométriques précises. Les réverbères repoussent la nuit pour mieux la noircir là où ils ne règnent pas. C’est l’heure de pointe et pourtant tout est calme. Un carrefour, quelques personnes, juste des ombres qui passent sous la pluie fine. Une petite pente, premiers contreforts de Montmartre, quelques pas, voici les lieux. Une affiche collée à une vitrine m’affirme que je suis arrivé au bon endroit. J’y vois la fille, poupée couchée sur papier dans une invite toute fétichiste, identique à celle pliée en quatre au fond de ma poche, invitation à venir ici. C’est fermé, mais il y a du monde à l’intérieur. A travers la vitre, je vois pour la première fois le maître des lieux, Monsieur Riquet, bien comme je l’imaginais. Il est à quelque part un personnage qui force mon admiration.  On m’ouvre complaisamment la porte en me souhaitant le bonsoir. On s’informe de ma personne. Un modeste semblant de notoriété m’a précédé, on semble me connaître et surtout m’apprécier, j’en suis flatté. La glace fond , très vite. L’eau qui en coule va m’entraîner au long d’un long fleuve dont les berges sont en nylon. Quelques mains habiles l’ont cueilli pour en faire des bas, parures indispensables en ces lieux magiques.

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Me voici au paradis, je rêve!

J’y retrouve dans un premier temps, une vieille connaissance, mon ami Claude, le photographe et saxophoniste jazzy. Un ami que je n’avais jamais vu auparavant et pourtant notre premier contact remonte a presque dix ans, grandeur et décadence d’Internet. Il fallait bien que cela se concrétise une fois, l’occasion était trop belle pour ne pas partager ensemble nos diverses passions, dont les plus fortes justifient notre présence en ces lieux. Merci à lui. C’est maintenant une sorte de sosie épicurien et nous aurons bien souvent l’occasion au long des ces soirées, d’installer une belle complicité. Merci pour elle. Voici Serge Massal, le manager, l’homme pour qui la technique n’a pas de secrets. Il m’emmène très aimablement à la découverte des lieux, Des mannequins qui n’ont qu’une jambe, mais non nulle cruauté, ils ont le coeur en bakelite. Ils attendent le commentaire du guide et l’écoute du visiteur. Ici ou là, il souligne un petit détail dont la réalisation a fait appel au savoir d’un autre âge. Savoir, dont juste quelques uns se rappellent. Oui, Cervin c’est aussi cela. Dans cette France qui est capable d’envoyer des trains presque aussi vite que des avions, on avait failli perdre une page de la bible de la mode, juste avant l’ouverture du  premier sceau de l’apocalypse, le collant. L’art d’un raffinement d’élégance, qui pendant des décennies vit tant de regards complaisants errer sur les jambes féminines, je parle bien sûr du bas diminué. Ici il existe, il renaît, il paraît, mais ne disparaît pas de la panoplie de celles qui l’ont adopté. Tiens justement en voici une, quelle belle démarche, quel spectacle, ces coutures qui montent à l’assaut dune paire de jambes au galbe parfait. Sans doute mes yeux doivent pétiller d’un éclat vif, ce n’est pas le champagne, pas encore, bientôt. Imaginons la rencontre des deux, quand l’heure se fera plus vieille, velours à l’intérieur en mille gouttelettes de nectar doré, nylon à l’extérieur en mille teintes qui s’irisent dans la lumière ambiante. Les anges passent. Que de réjouissances à venir…


Ce soir ils ne sont pas que sur un présentoir

Si le Show Room est un lieu magique, cela ne tient pas seulement aux kilomètres de nylon tissé qui ornent les présentoirs. On y vient aussi pour la musique, déjà quelques accords montent des pianos qui ne semblent faits que pour le meilleur boogie woogie. Diable, Jean-Pierre Bertrand connaît la musique, la sienne. Diable, lui convient bien, c’est ce que semble penser l’instrument sous ses doigts au jeu infernal. On m’avait prévenu, il envoûte les amateurs, dont je suis bien évidemment. J’en oublie presque le reste. Le buffet, soigneusement présenté, nous offre ses petites merveilles. On y grignote ces petites choses qui ravissent le palais, pas forcément la ligne. Mais pour l’instant la seule ligne qui a de l’importance, c’est celle du train qui m’a amené ici, peu importe qu’on l’aie entendu siffler ou qu’il sifflas trois fois, je suis là! Nylon ou musique, je suis les deux, le crissement de l’un ne va pas sans les accords de l’autre. Si le gosier réclame sa part, il sera satisfait. Quelques bouteilles aux étiquettes prestigieuses, alignés comme des soldats à la parade, n’attendent que les ordres de l’adjudant Tire-Bouchon pour révéler qu’ils sont de première classe. Pour les amateurs de breuvages venus d’Ecosse, il y a de quoi faire frémir les palais les plus exigeants. Mais le roi reste sans doute le champagne, celui des fêtes et des festins, lui qui sait si bien rapprocher les moments de plénitude pour les conjuguer à la puissance dix. Le fête commence pour les uns, se poursuit pour les autres, la fin, c’est plus tard beaucoup plus tard, on espère jamais, Cervin toujours.


Une Pénélope moderne est passée par là

Ils attendent vos jambes Mesdames! Ne les décevez pas!

Tout d’abord, première rencontre, féminine celle-là. Celle à qui je dois un peu, même beaucoup, ma présence ici, Miss X. Rencontre enfin dirais-je, depuis quelques mois nous échangions une correspondance de bon ton entre amateurs de belles choses, celle qui relève le défi de l’élégance et celui qui admire. Entre défenseurs de la même cause, nous étions faits pour nous rencontrer, eh bien c’est arrivé. Il y a parfois loin entre passer du virtuel au réel. C’est une sorte de risque qui n’est pas toujours donné gagnant. Je crois que je peux dire sans rougir que nous avons très bien concrétisé notre rencontre, une belle poursuite à la recherche d’un idéal partagé.

Les salles se sont emplies d’une foule où je découvre petit à petit des inconnus que je connaissais, un peu. Les autoroutes de monde moderne, celles où l’on se déplace presque à la vitesse de la lumière aux hasards des carrefours codés de l’informatique, ont soulevé un voile du mystère. Pour certains, je n’existe que par les mots, leur regard est bien incapable de me matérialiser à travers mes mots. Quelquefois il me semble que ces mots arrivent à toucher quelques personnes. Le défilé peut commencer, parfois avec des jambes en nylon qui viennent à ma rencontre, parfois plus masculines, mais toutes avec la même sympathie. Merci de vous être approchés de moi, pour un mot gentil ou un sourire, les deux vont droit dans ma lumière.

Jolie Dame, le menu est-il à votre convenance?

Au Speak Easy, Jean-Pierre Bertrand, difficile de l’avoir net, il bouge tellement!

La vague humaine gagne en amplitude. Je m’imprègne d’elle. Elle arrive au rivage de mon regard en vaguelettes chaudes et caressantes. Je m’imagine un moulin à vent dont les pales seraient des jambes nylonées, poussées par une brise légère. Dans la  préférence de la ronde de mes yeux, je m’attarde sur celle-ci ou celle-là, jusque au moment où aspirée par les nues, elle est remplacée par une autre.  Ce moulin m’est bien utile , il sert à filer  le  nylon de ma toile mentale, alors araignée bien paisible et pacifique, j’attends qu’ils viennent se poser. Je découvre le visage de quelques fidèles visiteurs, amis bloggeurs, qui viennent à moi, l’air ravi. Je suis particulièrement flatté par les visiteuses. Elles ont deviné que j’abordais ma passion pour le nylon avec un regard plus admiratif que lubrique, heureusement nous sommes quelques uns à la faire. Chose merveilleuse, elles n’ont aucune gêne à parler de bas, porte-jarretelles et autres accessoires qui n’ont plus tellement de secrets pour elles. Parmi toutes ces aimables représentantes du féminisme préservé, je citerai en autres,  Miss Legs, Sandrine, Ghislaine. J’ai malheureusement oublié le nom de certaines, qu’elles me pardonnent, mais rien ne les empêchent de se rappeler à mon bon souvenir. Pour les messieurs, il y a bien sûr l’incontournable Gentleman W et quelques autres dont j’ai fait la connaissance sur les lieux. Le sympathique rocker belge Patrick Ouchene, qui excelle en géographie et plus spécialement dans la musique rétro, encore plus quand elle parle de bas nylon. Jean-Marc, l’ami des clopes fumées sur le trottoir devant l’entrée, mais aussi et surtout un formidable agent publicitaire pour moi. Merci l’ami! Et puis aussi le pianiste diabolique, Jean-Pierre Bertrand, avec qui j’ai partagé avec bonheur mes connaissances musicales mêlées aux siennes, de quoi refaire le monde. Mais rendez-vous est déjà pris pour un plus tard et je m’en réjouis déjà.

Du rêve à la réalité

Merci à ces aimables personnes qui ont bien voulu poser sous mon oeil inquisiteur

Et puis il y a aussi quelques dames ou demoiselles qui ont fait partie de mon voyage, elle se reconnaîtront, et si je ne parle pas d’elles ici plus en détail, c’est que j’en parlerai plus longuement par la suite, ici même. Juste un détail, elles portent des bas nylon et le font savoir…
Paris, tes soirs et tes bas nylons me collent à la peau. J’emporte avec moi dans ce train qui file à grande vitesse, une valise pleine de souvenirs, une montagne de souvenirs.  La pluie de mon âme qui érodera  le roc de cette  forteresse, entraînera vers la mer des songes, les grains de sable de ces reliques  merveilleuses. Assis sur la rive paisible, je vous reverrai tous, Cervin, Sodibas, et son équipe formidable, les amies, les amis, anciens et nouveaux, les musiciens, tous ceux qui étaient là, qui m’ont accueilli comme si si j’étais plus qu’un simple passant, une ombre sortie de la nuit pour y retourner. Mais qui sait, nous nous reverrons peut-être au delà de mes rêves. En tout cas,  moi qui ne prie guère, je joins mes mains en espérant serrer les vôtres à nouveau.

Jean-Pierre Bertrand qui joue plus vite que son ombre

18 réflexions sur “Un pélerinage au Show Room Cervin

  1. Voilà de jolies photos qui nous réchauffent le coeur en ce jour si froid. Merci à vous pour nous faire partager cette soirée. Merci à toutes ces charmantes amoureuses des bas nylon.
    Cordialement.

  2. Un bien joli carnet de voyage, une soirée riche en belles rencontres ! J’ai vraiment été flattée de vous connaître « pour de vrai », et désormais chaque fois que je reviens flâner avec délice sur vos pages, votre accent résonne lorsque je dévore vos articles ;))
    Bises soyeuses à vous et merci pour ce beau récit !

    • Merci à vous ma chère Legs,

      Je n’en fus pas moins flatté de vous rencontrer, croyez le bien. Une dose de réalité après les virtuel, c’est toujours bien agréable. Paris vu sous cet angle charmant, c’est quand même autre chose que la Tour Eiffel. Il m’en restera de bien agréables souvenirs, soyez en sûre. Le vôtre,celui de toutes ces belles rencontres dédiées à la féminité, quelle belle source d’inspiration pour de futurs articles.
      Bises soyeuses à vous aussi et encore merci pour votre commentaire, j’apprécie.

  3. Magnifique reportage cher Monsieur, dans la lignée je me souviens de celui, entre autres, que vous aviez écrit il y a quelques temps déjà sur l’histoire de jolies choses nylonnées… Nous aurions pu nous croisier dans le Swowroom Cervin, mais finalement je viens d’y faire aussi une belle visite, amitiés.

    • Merci Monsieur Valmont,

      Oui en effet dommage que nous ne mous soyons pas croisés au Showwroom. Mais, disons que ce n’est qu’une partie remise.

      Alors à un bientôt futur et encore merci pour votre comentaire.

      Amitiés

  4. C’est à réel plaisir d’accueillir de vrais passionnés. Je vois que vous avez trouver votre bonheur et j’en suis ravie. Cet endroit est fait pour vous.

    Au plaisir de vous revoir 🙂

    Bon dimanche

    • Chère Sandrine,

      Je vous remercie pour la vrai passionné, mais je crois que cette définition convient assez bien au profil de ma personne. En effet, j’ai trouvé mon bonheur dans un endroit, comme vous le dites, fait pour moi.
      Je crois pouvoir dire que l’on aura l’occasion de se revoir et je m’en réjouis déjà
      Encore merci pour l’accueil formidable que j’ai reçu.
      Bien à vous

  5. Ô Toulouse comme dirait un chanteur que vous connaissez sans doute. Je ne connais pas cette ville, mais ce n’est pas sans quelques regrets. Dans l’illusion du sud, comme dirait un autre chanteur, Marocain celui-là. Ah si un jour vous nous concoctez quelque chose, je fais le voyage. L’ambiance jazzy m’irait très bien, j’en suis friand, mais à peu près toutes le musiques me conviennent, j’en parle passablement à travers mon blog.

    Merci à vous pour cet aimable commentaire

  6. Bonsoir Boss,

    Je ne sais pas s’il est d’usage de « déterrer » d’anciens billets, mais je viens de lire celui-ci, attiré sans doute par la mention de Cervin, en pensant le lier à l’article à (re)venir chez moi sur l’Arsoie… mais la lecture m’a fait comprendre plusieurs choses :
    – je ne suis pas un grand expert de votre prose, mais dans cet article elle est particulièrement agréable, les mots glissent… bref, je vais éviter l’analogie qui me vient spontannément, elle est trop évidente… je vais plutôt poursuivre dans les prochains jours ma lecture de vos anciens articles
    – cet article ne complèterait finalement pas utilement un article parlant exclusivement de l’entreprise Cervin, vu qu’il parle d’un endroit qui si j’ai tout bien suivi n’existe plus aujourd’hui
    – mais, et c’est pour moi le plus important, j’ai un gros creux dans mon Histoire ! J’ai les articles de l’ancien site de Claude, qui ont commencé à revenir chez moi. Ils parlent de Sodibas, qui commençait son activité à l’époque. Ils parlent de Cervin, ils parlent du Club 50-60. Ils parlent d’Yves Riquet. Mais ils s’arrêtent quand le site s’était arrêté, en 2006. J’ai mes articles, qui parlent de ce que j’ai pu effleurer de mon côté, l’ébauche d’une esquisse du nylon en 2024 et ce qui se trouve autour. Mais je n’ai rien, en dehors des vidéos de la chaîne Nylonpur, qui parle du Paris Boogie Speakeasy, je suppose que c’est de cet endroit qu’il est question ici. Rien pour raconter cette décennie 2010 où j’avais anesthésié cette partie de moi. Je trouverais dommage de laisser cette histoire de côté… mais je n’ai pas eu le privilège de connaître cet endroit, je n’aurais donc rien à en dire par moi-même…
    Merci, Boss, pour cette petite visite que vous avez si bien racontée !

    • Hello anagrys,

      Vous pouvez déterrer tous les articles que vous désirez, il sont là pour cela. Cela arrive de temps en temps, mais c’est peu visible pour les visiteurs sauf pour moi.
      C’est bien le Speakeasy dont il s’agit dans l’article. Mais vous avez raison l’endroit n’existe plus en tant que tel. C’était un peu Mr Riquet qui en était l’animateur surtout côté musical, car il était assez branché sur le sujet. Quand j’ai passé, le pianiste de service était Jean-Pierre Bertrand, c’est une assez grosse pointure dans le jazz. J’ai bien entendu discuté musique avec lui. Le monde étant petit, il s’est avéré que nous avions un ami en commun. Tout aussi marrant, lors d’un voyage en Bretagne, j’ai discuté avec une dame assez âgée et elle s’est mise à parler d’un pianiste qui jouait du boogie-woogie dont elle avait assisté à un de ses concerts. Mais elle ne se rappelait plus son nom. J’avais une photo de lui sur mon téléphone, je la lui ai montrée, c’était bien le même musicien.
      J’avais croisé l’animateur du Club 50-60, c’était à Bobino en 1989 lors d’une soirée organisée par la revue dans laquelle j’écrivais. Il avait ave lui deux belles femmes à la mode des années 50, mais cela s’arrêtait là, il était présent comme spectateur pas pour faire un show. Dommage.
      Content que vous appréciiez ma prose, mais mon récit se devait d’être présenté avec une certaine élégance, comme les personnes qui étaient présentes. Je n’allais pas les décevoir en racontant n’importe quoi. J’avais fait un tas de photos, mais je n’en ai publié que quelques-unes, certaines dames m’avaient demandé de ne pas les publier, elles acceptaient néanmoins d’être photographiées. Enfin on ne peut pas tout avoir.
      Continuez vous explorations et commentez, je pense que vous allez encore faire quelques découvertes. Et surtout continuez votre démarche, il finira bien par en sortir quelque chose.

  7. Ping : Sodibas : l’aventure du bas couture – Chemin de soie

    • Bonsoir Lily,
      Merci pour votre commentaire et votre visite. Vous êtes toujours la bienvenue. A l’occasion, je referai un peu de pub pour votre blog, vous le méritez, vous êtes fidèle au poste, bravo !
      Passez une bonne semaine.

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