En passant

Bas nylons et dessous en chapitres (7)

UN SIECLE DE DESSOUS – Chapitre 6

Vidéo en grand format

Une chronique de presse de 1926 révèle l’influence qu’a pu avoir Joséphine Baker sur la mode, du moins sur le teint de la peau. La blancheur, alors de rigueur, cède le pas au bronzage. Depuis les choses n’ont pas tellement changé.

La paquebot dans lequel partit mon père en 1929 pour les USA

Bas nylons et rendez-vous au bagne

Un bagne qui ne manque pas de poivre

Le présent article n’a pas le but de vous parler du bagne du Cayenne sous tous ses aspects, mais d’en présenter un résumé en guise d’introduction à une affaire criminelle qui remua et passionna la France à la fin des années 20.

Dans l’imagerie populaire, Cayenne c’est le bagne. La réalité est un peu différente, car on désigne sous le nom de Cayenne un ensemble de lieux qui avaient bien la même vocation, punir, mais qui se situent dans la réalité à des endroits différents, parfois distants de dizaines de kilomètres.

La Guyane est une des nombreuses colonies que possédait la France en des temps reculés, mais qui reste encore aujourd’hui un département français. Cayenne était le nom le plus couramment usité pour le désigner dans son ensemble, en entendant ce mot tout le monde l’imaginait à peu près géographiquement sur la carte. Dans la réalité, la guyane se situe en dessus de la pointe nord du Brésil, avec à sa gauche, le Suriname, ancienne Guyane Hollandaise. Elle est baignée à l’est par l’océan Atlantique. Sa position est juste un peu en dessus de l’équateur.

La première implantation française remonte au début de XVI siècle sous Louis XII. Ce n’est que plus d’un siècle plus tard que Cayenne est fondée. Elle ne prendra vraiment vocation de bagne qu’après la révolution, pour les prisonniers politiques, et sera vraiment officialisé par Napoléon III après 1850. A partir de là, ce sera le bagne tel que nous le connaissons. Il sera progressivement fermé et abandonné entre 1938 et 1952.

La bagne de Cayenne a inspiré quelques chansons. Il est vrai que dans l’esprit du temps où il existait, il suscitait autant de crainte que de nostalgie en pensant à ceux qui avaient été envoyés.
Lucienne Boyer – La Belle. Chanson des années 1930, le titre sous-entend le mor d’argot qui désigne l’évasion, un rêve de tous les forçats. A Cayenne, faire une tentative d’évasion était relativement facile, mais la réussir beaucoup plus compliqué. Par la mer, il fallait posséder un bateau et savoir naviguer. Par terre, il fallait s’enfoncer dans la forêt tropicale hostile, épreuve très difficile et presque insurmontable.

Maurice Dulac – Les Bambous. Enregistré en 1970, un chanson qui parle d’un personnage imaginaire mort à Cayenne. Mais cela pourrait être l’histoire de beaucoup de déportés.

Les Idiots avec Soan – Cayenne. Vieille chanson anarchiste chantée par les bagnards de Cayenne. Elle existe aussi par le groupe punk Parabellum

Avec des fortunes diverses, les colonisateurs s’accaparèrent de territoires qui devenaient selon la chance paradis ou enfer. Pour la France, ce fut plutôt l’enfer, d’une part pour ceux qui y séjournèrent en tant que bagnards et de l’autre par le peu de facilité pour en faire un endroit habitable. Les temps modernes ont passablement changé la donne, mais il n’en a pas toujours été ainsi. Sous ces latitudes la nature règne en maîtresse, tout est luxuriant mais rempli de pièges comme les animaux, insectes, passablement dangereux pour l’homme. Les maladies du type fièvres y sont courantes, la lèpre y est présente. C’est juste si quand on construit une route dans la forêt vierge, les arbres ne repoussent pas immédiatement derrière. Ceux qui ont lu le livre de Raymond Maufrais, disparu pendant une exploration dans la forêt du Guyane, ainsi que celui de Paul Thomas qui se lança sur ses traces savent à quoi s’en tenir. C’est un paradis déguisé en enfer.

Devant ces difficultés, les candidats à l’émigration n’étaient pas tellement nombreux, et une des idées en y installant une bagne fut de le peupler, en forçant les détenus condamnés à la double peine d’y séjourner définitivement. La double peine s’appliquait à ceux qui avaient fini leur peine et devaient rester sur place en temps égal à celui de leur condamnation. Ceux condamnés à 8 ans ou plus, étaient définitivement bannis de la métropole, sans espoir de retour. On prévoyait certes de leur fournir des lopins de terre pour y installer des cultures diverses, de se marier, de faire venir sa famille, mais cela ne fonctionna jamais réellement. Environ 2000 femmes furent condamnées au bagne, elles étaient bien sûr dans un camp séparé. Rester au bagne, c’était y crever plus ou moins rapidement.

Même avec l’arrivée des bagnards, des centaines par année, la population locale a de la peine à croître, tant le taux de mortalité y est effrayant. Il faut bien penser que l’administration pénitentiaire n’a pas pour but de faire de la philosophie, un mort là-bas c’est juste une ligne dans un registre, on ne recherche pas la cause. Ainsi il s’établira une loi en dehors de celle du bagne,  qui profitera à certains au détriment des autres. Le fait d’avoir de l’argent permettra aux plus combinards d’avoir des postes peinards ou de profiter de nombreux avantages que la bagne n’offre en principe pas.

Les différentes prisons du bagne, aussi dit la guillotine sèche, se trouvaient principalement en trois lieux, auxquels étaient subordonnés de nombreux petits camps aux missions différentes :

Cayenne proprement dit se situe vers le milieu de la côte atlantique.

Saint-Laurent-du-Maroni, est beaucoup plus au nord, c’est là que débarquaient les bagnards partis de l’île de Ré.

Les îles du Salut, Royale, Diable, Saint-Josepf, à une dizaine de kilomètres de la côte au nord-est de Kourou.

Les îles du Salut. C’est plutôt des îlots. De gauche à droite Royale, Saint-Josepf, Diable.

Aller au Bagne

Pour finir au bagne, il fallait ne pas être condamné à mort. Il suffisait d’une condamnation pour meurtre, vol à main armée, et autres délits de droit commun. Ces prisonniers étaient soumis à la peine du doublage.

Les récidivistes condamnés à des peines plus légères pouvaient aussi y être envoyés. Selon les époques, il suffisait de quatre sentences à trois mois de prison ou plus pour devenir ce qui s’appelait un relégué, c’était l’exil à vie. C’est cette catégorie qui fit le plus militer pour l’abolition du bagne.

On pouvait aussi y aller pour des raisons politiques, complot, trahison, espionnage, Le plus célèbre fut le capitaine Dreyfus.

Arriver et vivre au bagne

L’arrivée à Saint-Laurent-du-Maroni, après trois à quatre semaines de navigation, était une étape transitoire. C’est le tri pour l’acheminement vers d’autres lieux. Seuls quelque chanceux pouvaient espérer y rester, le plus souvent pour des travaux administratifs, en général des hommes considérés comme peu dangereux et ne cherchant pas à s’évader. Ils avaient une certaine liberté de mouvement. C’était les plus chanceux.

Ceux dont on soupçonnait qu’ils tenteraient de s’évader, les récidivistes en la matière, étaient envoyés aux îles du Salut. Les îles étaient protégées naturellement par un courant très violant qui empêchait toute tentative de nager et de plus les requins n’y étaient pas rares.

Quand aux autres, ils étaient acheminés dans les divers camps, mais sont soumis au travail obligatoire, ce qui est souvent synonyme de mort lente selon les endroits où ils atterrissent. La camp de Charvein, à la sinistre réputation, était un lieu où l’on était presque certain de mourir.

Quelques vestiges du bagne

Cette photo est probablement une mise en scène pour touristes en mal de frissons. Les exécutions avaient lieu devant les détenus rassemblés afin d’impressionner.

Le bagne comme tout endroit qui vit avec un regard posé sur lui, a ses célébrités. On se rappelle de Papillon, Seznec, Dreyfus. Ces personnages écrivirent une page de son histoire, Papillon et son très controversé livre, Seznez qui n’aurait jamais dû y aller, Dreyfus qui fut broyé par la machine militaire. Contrairement à ce que l’on peut imaginer, le bagne ne fut pas réservé aux seuls personnages de modeste extraction avec un passé plus ou moins reluisant. A travers un cas un peu moins célèbre que les autres, nous allons voir que les bons bourgeois firent parfois le même voyage, Charles Barataud fut l’un d’entre eux. L’affaire Dreyfus divisa la France en deux, les pour et les contre, on peut aussi y lire, les pro et antisémites. Celle de Barataud mobilisa les petites gens contre les bourgeois, à la limite du clash social.

La ville de Limoges est pour toujours associée à la fabrication de la porcelaine. C’est justement dans une famille de la bourgeoisie locale qui fait des affaires dans cette industrie que naît le protagoniste des faits, Charles Barataud. Il naît en 1895 et l’on peut dire que les fées se sont bien penchées sur son berceau. Sa voie est toute tracée, il finira dans la gestion de l’entreprise familiale, tout en ayant fait les études recommandées aux fils de bonne famille. Il est officier de réserve et fréquente bien évidemment la haute société locale. Cette vie en apparence facile a aussi ses revers, la recherche de plaisirs nouveaux, sans trop d’interdits, l’amène a avoir une personnalité ambiguë.

Il consomme de la cocaïne, de l’héroïne, il est adapte du sexe libre, c’est un partouzard comme on dirait aujourd’hui. Il est aussi homosexuel, du moins il est bisexuel. Entre gens du même milieu on aurait tendance à croire que tout est permis, quelques billets de banques suffisent à faire taire le service des réclamations.

En 1927, le destin le rattrape, il est soupçonné du meurtre d’un chauffeur de taxi, affaire qui ne sera jamais complètement éclaircie. La justice désirant l’entendre sur ces faits, il avoue immédiatement. Il demande une seule faveur, celle de voir une dernière fois son père avant de se soumettre aux formalités. On ne saurait refuser cela à un haut personnage local, et on l’emmène au domicile familial. On lui accorde quelques minutes et la police sous la forme de deux inspecteurs, attend sagement dans le hall d’entrée, lorsqu’un coup de feu retentit. On se précipite et on découvre que Barataud vient de tuer son amant, Bertrand Peynet. « Nous avions décidé de mourir ensemble, je l’ai tué, je devais me suicider, mais je n’en ai pas eu le temps, ni le courage », déclare Barataud.

Par la suite, il niera toute implication dans sa mort, sans être tout à fait convaincant. Pour la justice, pas trop besoin de chercher trop loin, le meurtre de son amant est suffisant pour l’amener en cour d’assises.

Le procès qui débute à fin mai 1929, se pose vite en lutte des classes. On peut soupçonner la justice de faire preuve de tact lors de son déroulement, plus que si l’accusé avait été le dernier des derniers. Et puis la famille est, comme on dit, honorablement connue et tout ce beau monde, famille, juge, avocats, se connait bien. Pas question de faire d’esclandre, mais on ne peut quand même pas passer l’éponge. A travers son procès, c’est celui de la bourgeoisie toute entière, décadente et meurtrière, qui se fait et l’acte d’accusation est chargé. La fureur populaire faillit prendre d’assaut la prison de Limoges.

Dans le Petit Journal on parle du début de son procès. Il décrit assez bien ce que le personnage est devenu, un personnage qui est loin de sa superbe passée.

Dans l’Humanité, le ton est complètement différent, la principale accusée est la bourgeoisie.

Le procès n’éclaira pas grand chose, certains pensèrent que le meurtre de Peynet servit à cacher des choses beaucoup plus inavouables. Certains penseront que l’on ne chercha absolument pas d’approfondir le cas, qui sait même si parmi l’accusation, certains avaient un intérêt plus que certain à en rester là. On réussit quand même à lui trouver des circonstances atténuantes, on peut se demander lesquelles, probablement une pirouette pour ne pas les condamner à mort. Il n’échappa pas pour autant au bagne, auquel il fut envoyé à perpétuité.

Ce qu’il advint de lui, on le sait assez bien. Il atterrit à l’île Royale, celle où les détenus à surveiller de près sont incarcérés. Son instruction lui permet d’être commis aux écritures chez le commandant-adjoint. Il suscite bien évidemment le curiosité, on le sollicite, on sait qu’il a de l’argent ou on le suppose, mais il est aussi la cible de ceux qui ont des comptes à régler avec une certaine bourgeoisie. Il n’est pas vraiment préparé à subir ce genre de sort, mais il n’a pas d’autres moyens de l’éviter. Assez bizarrement, gracié en 1948, il préféra rester à Cayenne, mais il a ses raisons. Cela lui permet d’assouvir plus tranquillement son homosexualité, là-bas on est moins regardant et puis sa famille l’a bien sûr renié. Il mourut en 1961 sans avoir révélé d’autres secrets.

Avec le recul, il faut bien constater que le bagne n’est pas la page la plus glorieuse de l’histoire de France. Ceux qui finirent au bagne sont le plus souvent les victimes de pas de chance. Je ne suis pas un partisan du tout est excusable, mais il y certainement des déportés qui firent ce grand voyage sans autre raison que celle d’une justice implacable pour les plus démunis. Le journaliste Albert Londres, qui fut un pionnier de la suppression du bagne, mit en lumière que c’était bien pire que ce qu’imaginait le simple citoyen honnête.

Source Gallica, BNF, DP