J’ai toujours eu une passion pour les seconds rôles au cinéma. Je considère qu’ils donnent souvent une saveur particulière à tel ou tel film. Ils sont indispensables au cinéma, car il ne peut pas aligner que des vedettes, alors il fait appel à ces plus ou moins anonymes aux cachets moindres. Ce sont souvent des acteurs qui viennent du théâtre, ils savent jouer et ont des disponibilités intéressantes spécialement pendant la journée, le théâtre étant plutôt actif en soirée. Parmi ces seconds rôles, même s’il ne joueront jamais le premier, il y a des acteurs qui ont presque un rang de vedette, tellement leurs apparitions sont nombreuses à travers l’histoire du cinéma. A force de les apercevoir, on en arrive même à les reconnaître dans la rue. Voici un de ces seconds rôles et un peu de son histoire, il a laissé sa marque dans le cinéma américain et anglais.
Le Cauchemar de Dracula (1957)
Cette personne vous l’avez très certainement vue sur un écran. Si vous êtes un fan des productions de la Hammer, qui contribuèrent à faire de Christopher Lee une star, vous arriverez peut-être à dire son nom. La scène dont est tirée l’image est extraite du « Cauchemar De Dracula », un film tourné en 1958 avec Christopher Lee, Peter Cushing, sous la direction de Terence Fisher. Si ce film a une importance relative dans l’histoire du cinéma, il contribua pour beaucoup à relancer le personnage de Dracula. On abandonne le côté morbide que lui donna Murnau dans le film muet de 1922, ou celui plus fantasque qu’interpréta Bela Lugosi plus tard. Avec Christopher Lee, on introduit un côté sexy au personnage, il a l’air de moins sentir le tombeau que ses prédécesseurs. Comme il s’agit d’un film assez prisé par les amateurs, il y a quelque chance qu’il fasse partie de votre répertoire de films vus. Rappelez-vous la scène où les poursuivants de Dracula entrent dans une boutique de pompes funèbres. Le maître des lieux, personnage pittoresque à l’humour qui sied à sa profession est interprété par Miles Malleson. Nous y voila!! S’il fallait citer encore un film connu où il apparaît, reportons-nous avec presque les mêmes acteurs, la même maison de production et le même réalisateur dans « Le Chien Des Baskerville » de 1959. Considéré assez volontiers comme une des meilleures adaptations à l’écran du personnage de Sherlock Holmes, nous y retrouvons Miles Malleson. Cette fois-ci dans un rôle plus étendu, il incarne le prêtre du village où se situe l’action. Tout aussi débonnaire, il se passionne pour les araignées, le sherry, il est volontiers gaffeur et distrait.
Le Chien des Barkerville avec Christopher Lee (1959)
Le présenter de cette manière est réductif, car on pourrait penser qu’il était cantonné dans ces rôles là. C’est certes plutôt un second rôle qui apparaît dans plus d’une centaine de films, mais le personnage à un plus grande envergure. Il fut aussi un une écrivain, un scénariste, un acteur de théâtre, c’est même là qu’il fit ses débuts sur scène. Il est aussi connu pour avoir traduit Molière en anglais, son travail fait encore référence aujourd’hui. Dans les années 1910, avec sa première femme, il fut aussi un militant de la condition féminine. Mais voyons plus en détail…
Il est né à Croydon, Angleterre, en 1888, William Miles Malleson de son vrai nom. Il parfait son éducation à Cambridge. Là, il fait un premier coup d’éclat en faisant croire au cours d’une réception qu’il est le politicien attendu, alors qu’il n’a pas pu venir. Il faut bien se mettre dans l’idée qu’à l’époque on ne connaît pas forcément le visage des politiciens. Les journaux sont avares de photographies et la télévision n’existe bien sûr pas. Tout le monde n’y voit que du feu et c’est sans doute pour lui un premier succès en tant qu’acteur.
Stage Fright (1950) d’Alfred Hitchcock avec Marlene Dietrich
A défaut de se lancer dans le cinéma encore assez balbutiant, il se distingue dans le théâtre anglais comme acteur, suivi rapidement d’une envie d’écrire. En 1914, il est devient l’un des nombreux soldats anglais qui s’engagent dans la guerre. Réformé, fort de ce qu’il a vu, il devient un pacifiste convaincu et ne changera jamais d’opinion. En 1915, il marie la fille d’un comte, Lady Constance Mary Annesley , qui essaye de se faire un nom d‘actrice sous le patronyme de Colette O’Neil. En 1916, Malleson écrit deux pièces anti-guerre qui lui vaudront quelques ennuis « D Company », « Black ‘Ell ». Elles sont saisies et considérées comme un insulte aux soldats anglais. Dans la réalité, la pièce se veut une réflexion sur la bêtise de la guerre, ce que l’auteur défendra constamment. Avec sa femme, il milite dans les milieux qui défendent la condition féminine. Leur mariage est conclu sous l’étiquette, alors pas très courante, d’union libre. Sa femme deviendra la maîtresse d’un activiste pacifique très connu, Bertrand Russel, Prix Nobel de littérature en 1951. Ils divorcent en 1923. Il se mariera encore deux fois, d’abord avec Joan Billson une physicienne spécialiste dans la contraception et partisane convaincue de l’avortement. Ensuite, à sa mort en 1956, Malleson épousera une actrice, productrice, réalisatrice Tatiana Lieven, de vingt ans sa cadette. Il est assez marrant de constater que cet acteur au double menton et au nez proéminent passe pour un séducteur, chose dont il semblerait coutumier selon la légende.
Il importe d’être Constant (1952) ici avec Margaret Rutherford connue pour ses rôles de Miss Marple
Mais c’est bien dans le cinéma que Malleson s’illustrera le mieux. A partir de 1921, il tourne dans son premier film, c’est bien sûr un film muet. A partir de là, il va devenir un personnage autre que celui que l’on connaît à ses débuts. Il va apparaître très souvent à l’écran, dans des rôles minimes, dans des rôles plus étendus, qui deviendront de plus en plus longs au fil de sa renommée grandissante. Souvent, il participe aux tournages en tant que dialoguiste, mais on ne peut s’empêcher de lui confier une petite apparition sur l’écran, pas toujours créditée au générique. Si certains films peuvent être classés films mineurs, par des réalisateurs de même veine, il n’en ira pas toujours ainsi. Un des premiers films que l’on peut prendre en considération est un film de 1931, une adaptation du « Signe des 4 » de Conan Doyle, toujours appréciée des spécialistes de Doyle. En 1935, il est appelé par Hitchcock pour tenir le rôle de directeur du théâtre dans un de ses films les plus en vue de sa période anglaise, « Les 39 Marches ». A partir de là, un cinéphile régulier n’oubliera pas son visage dans les multiples apparitions qu’il fera par la suite, même si sa curiosité ne va pas jusqu’à retenir son nom. En arrière plan, il est très actif comme dialoguiste, scénariste, adaptateur. On compte plus d’une quarantaine de ses collaborations dans cet exercice, spécialement dans les années 30 et 40, sans oublier qu’il apparaît parfois sur l’écran. Sa carrière devient plus internationale, il travaille aussi aux Etats-Unis, il oscillera toujours entre les deux. Il ne faut pas croire qu’il tourne seulement avec des réalisateurs de seconde zone ou des acteurs peu connus. Il donnera la réplique à des plus grosses vedettes que lui et sera appelé par des réalisateurs de renom, dans des films à succès. Il entrera dans une sorte d’immortalité grâce à un film dont il est scénariste et acteur dans un rôle en vue. Il s’agit du « Voleur De Bagdad », 1940, un film co-réalisé avec dans le rôle principal, le légendaire Conrad Veidt. Ce film fut un évènement à sortie, notamment par ses effets spéciaux et aussi tourné en couleur. Il remporta l’oscar des Academy Awards en 1941 aux USA. Pour ses apparitions, il joue le rôle du sultan, qu’il imprégnait de son subtil jeu d’acteur. A partir de là, pendant 25 ans il ne va cesser d’être accaparé principalement par le cinéma. Ce sera bien sûr spécialement comme acteur, plus de 70 rôles dont quelques uns pour la télévision. Il n’a pas un registre précis, il peut autant bien incarner un croque-mort, qu’un docteur. Il a souvent figuré dans des films fantastiques ou d’horreur. Mais on peut tout aussi bien le retrouver comme un paisible employé des chemins de fer ou le monsieur qui achète des revues coquines dans une librairie. Comme tout bon acteur de composition, son apparence physique peut changer d’un rôle à l’autre. Il est crédible dans chacun d’eux. Dans ses premiers films, il peut avoir l’air d’un vieillard, alors que vers la fin de sa carrière il a l’air du retraité encore dans le coup. Il faut bien admettre que c’est dans les rôles où il met une pointe d’humour qu’il excelle. La plupart du temps, il accapare l’écran au détriment des autres acteurs, on ne voit que lui. Il ne dédaigne pas tourner dans des films plutôt nouvelle vague dans les années 60. Dommage que l’on aie pas songé à lui pour le rôle du père comploteur dans le « Quatre Garçons Dans Le Vent » avec les Beatles. Il aurait certainement fait merveille! Sa dernière apparition remonte à 1965. Souffrant de problèmes de vue, il doit cesser ses activités. Il meurt en mars 1969.
Le Voyeur (1960)
Avec Miles Malleson, on découvre que le cinéma n’est pas fait que de vedettes. Les rôles secondaires sont absolument nécessaires à la grandeur d’un film, pour autant que le potentiel soit là. De plus, si ces rôles secondaires sont actifs dans la mise en place du film et d’un naturel doué, il y a tout à prendre. Malleson est un grand personnage à bien des égards, d’abord pour sa personnalité propre, militant dans des causes qui font avancer le genre humain vers un meilleur possible. L’homme de théâtre où il fit l’ossature de son jeu d’acteur. L’homme de lettres et culture, qui devait dans doute bien connaître le français puisqu’il a traduit Molière. Et puis l’acteur aux milles facettes, celui que l’on trouve à la cour du roi ou dans les bas fonds de la ville. Il est à découvrir ou à redécouvrir. Si on aime le cinéma sans le connaître, on ne peut pas être sûr d’avoir tiré tout la rêverie et le plaisir qu’il peut nous apporter.
Le Cauchemar de Dracula, Miles Malleson en agent des pompes funèbres qui ne manque pas d’humour avec Peter Cishing et Michael Gough.
Avec l’habitude, on peut repère un acteur que l’on a déjà vu pas mal de fois. Ici Miles Malleson dans le film de Jules Dassin « Les Forbans de la nuit » avec Richard Widmark en 1950. J’ai vu ce film à la télévision il y a très longtemps et il m’avait semblé que c’était lui. L’acteur n’apparait que dans un tout petit rôle non crédité au générique. J’ai retrouvé cette séquence qui confirme ce que j’ai vu.
Un des fils de Miles Malleson a écrit un livre en anglais sur la famille et les ancêtres. Il fait la part belle au principal intéressé. Il est visible gratuitement sur Google Books en cliquant sur le lien ci-dessous
Filmographie sélective
- 1933 : Le Parfait Accord (Perfect Understanding) de Cyril Gardner
- 1934 : L’amour triomphe ou Drame à Hollywood (Falling in Love) de Monty Banks
- 1935 : Les 39 Marches (The 39 Steps), d’Alfred Hitchcock
- 1936 : Marie Tudor (Tudor Rose) de Robert Stevenson
- 1937 : La Reine Victoria (Victoria the Great) d’Herbert Wilcox
- 1940 : Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad) de Ludwig Berger, Michael Powell et Tim Whelan
- 1942 : Thunder Rock de Roy Boulting
- 1945 : Au cœur de la nuit (Dead of Night), d’Alberto Cavalcanti
- 1947 : Erreurs amoureuses (While the Sun Shines) d’Anthony Asquith : Horton
- 1948 : Les Ennemis amoureux (Woman Hater), de Terence Young
- 1948 : Sarabande (Saraband for Dead Lovers) de Basil Dearden
- 1949 : Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets), de Robert Hamer
- 1950 : Le Grand Alibi (Stage Fright) d’Alfred Hitchcock
- 1952 : The Happy Family de Muriel Box
- 1952 : Il importe d’être Constant (The Importance of Being Earnest), de Anthony Asquith
- 1953 : Capitaine Paradis (The Captain’s Paradise) d’Anthony Kimmins
- 1956 : Dry Rot de Maurice Elvey
- 1957 : Le Cauchemar de Dracula (Horror of Dracula), de Terence Fisher
- 1957 : La Vallée de l’or noir (Campbell’s Kingdom), de Ralph Thomas
- 1959 : Carlton-Browne of the F.O. de Roy Boulting et Jeffrey Dell
- 1959 : Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), de Terence Fisher
- 1960 : Le Voyeur (Peeping Tom) , de Michael Powell
- 1960 : Le Jour où l’on dévalisa la banque d’Angleterre (The Day They Robbed the Bank of England), de John Guillermin
- 1960 : Les Maîtresses de Dracula (The Brides of Dracula), de Terence Fisher
- 1961 : Les Chevaliers du démon (The Hellfire Club), de Robert S. Baker et Monty Berman
- 1962 : Le Fantôme de l’Opéra (The Phantom of the Opera) de Terence Fisher
- 1964 : Passage à tabac (Murder ahoy) de George Pollock
- 1964 : Les Premiers Hommes dans la Lune ( First men in the moon ) de Nathan Juran