En passant

Bas nylons et un second rôle

J’ai toujours eu une passion pour les seconds rôles au cinéma. Je considère qu’ils donnent souvent une saveur particulière à tel ou tel film. Ils sont indispensables au cinéma, car il ne peut pas aligner que des vedettes, alors il fait appel à ces plus ou moins anonymes aux cachets moindres. Ce sont souvent des acteurs qui viennent du théâtre, ils savent jouer et ont des disponibilités intéressantes spécialement pendant la journée, le théâtre étant plutôt actif en soirée. Parmi ces seconds rôles, même s’il ne joueront jamais le premier, il y a des acteurs qui ont presque un rang de vedette, tellement leurs apparitions sont nombreuses à travers l’histoire du cinéma. A force de les apercevoir, on en arrive même à les reconnaître dans la rue. Voici un de ces seconds rôles et un peu de son histoire, il a laissé sa marque dans le cinéma américain et anglais.

Le Cauchemar de Dracula (1957)

Cette personne vous l’avez très certainement vue sur un écran. Si vous êtes un fan des productions de la Hammer, qui contribuèrent à faire de Christopher Lee une star, vous arriverez peut-être à dire son nom. La scène dont est tirée l’image est extraite du « Cauchemar De Dracula », un film tourné en 1958 avec Christopher Lee, Peter Cushing, sous la direction de Terence Fisher. Si ce film a une importance relative dans l’histoire du cinéma, il contribua pour beaucoup à relancer le personnage de Dracula. On abandonne le côté morbide que lui donna Murnau dans le film muet de 1922, ou celui plus fantasque qu’interpréta Bela Lugosi plus tard.  Avec Christopher Lee, on introduit un côté sexy au personnage, il a l’air de moins sentir le tombeau que ses prédécesseurs. Comme il s’agit d’un film assez prisé par les amateurs, il y a quelque chance qu’il fasse partie de votre répertoire de films vus. Rappelez-vous la scène où les poursuivants de Dracula entrent dans une boutique de pompes funèbres. Le maître des lieux, personnage pittoresque à l’humour qui sied à sa profession est interprété par Miles Malleson. Nous y voila!! S’il fallait citer encore un film connu où il apparaît, reportons-nous avec presque les mêmes acteurs, la même maison de production et le même réalisateur dans « Le Chien Des Baskerville » de 1959. Considéré assez volontiers comme une des meilleures adaptations à l’écran du personnage de Sherlock Holmes, nous y retrouvons Miles Malleson. Cette fois-ci dans un rôle plus étendu, il incarne le prêtre du village où se situe l’action. Tout aussi débonnaire, il se passionne pour les araignées, le sherry, il est volontiers gaffeur et distrait.

Le Chien des Barkerville avec Christopher Lee (1959)

Le présenter de cette manière est réductif, car on pourrait penser qu’il était cantonné dans ces rôles là. C’est certes plutôt un second rôle qui apparaît dans plus d’une centaine de films, mais le personnage à un plus grande envergure. Il fut aussi un une écrivain, un scénariste, un acteur de théâtre, c’est même là qu’il fit ses débuts sur scène. Il est aussi connu pour avoir traduit Molière en anglais, son travail fait encore référence aujourd’hui.  Dans les années 1910, avec sa première femme, il fut aussi un militant de la condition féminine. Mais voyons plus en détail…

Il est né à Croydon, Angleterre, en 1888,  William Miles Malleson de son vrai nom. Il parfait son éducation à Cambridge. Là, il fait un premier coup d’éclat en faisant croire au cours d’une réception qu’il est le politicien attendu, alors qu’il n’a pas pu venir. Il faut bien se mettre dans l’idée qu’à l’époque on ne connaît pas forcément le visage des politiciens. Les journaux sont avares de photographies et la télévision n’existe bien sûr pas. Tout le monde n’y voit que du feu et c’est sans doute pour lui un premier succès en tant qu’acteur.

Stage Fright (1950) d’Alfred Hitchcock avec Marlene Dietrich

A défaut de se lancer dans le cinéma encore assez balbutiant, il se distingue dans le théâtre anglais comme acteur, suivi rapidement d’une envie d’écrire. En 1914, il est devient  l’un des nombreux soldats anglais qui s’engagent dans la guerre. Réformé, fort de ce qu’il a vu, il devient un pacifiste convaincu et ne changera jamais d’opinion. En 1915, il marie la fille d’un comte, Lady Constance Mary Annesley , qui essaye de se faire un nom d‘actrice sous le patronyme de Colette O’Neil.  En 1916, Malleson écrit deux pièces anti-guerre qui lui vaudront quelques ennuis « D Company », « Black ‘Ell  ». Elles sont saisies et considérées comme un insulte aux soldats anglais. Dans la réalité, la pièce se veut une réflexion sur la bêtise de la guerre, ce que l’auteur défendra constamment. Avec sa femme, il milite dans les milieux qui défendent la condition féminine. Leur mariage est conclu sous l’étiquette, alors pas très courante, d’union libre. Sa femme deviendra la maîtresse d’un activiste pacifique très connu, Bertrand Russel, Prix Nobel de littérature en 1951.  Ils divorcent en 1923.  Il se mariera encore deux fois, d’abord avec Joan Billson une physicienne spécialiste dans la contraception et partisane convaincue de l’avortement. Ensuite, à sa mort en 1956, Malleson épousera une actrice, productrice, réalisatrice Tatiana Lieven, de vingt ans sa cadette. Il est assez marrant de constater que cet acteur au double menton et au nez proéminent passe pour un séducteur, chose dont il semblerait coutumier selon la légende.

Il importe d’être Constant (1952) ici avec Margaret Rutherford connue pour ses rôles de Miss Marple

Mais c’est bien dans le cinéma que Malleson s’illustrera le mieux. A partir de 1921, il tourne dans son premier film, c’est bien sûr un film muet. A partir de là, il va devenir un personnage autre que celui que l’on connaît à ses débuts. Il va apparaître très souvent à l’écran, dans des rôles minimes, dans des rôles plus étendus, qui deviendront de plus en plus longs au fil de sa renommée grandissante. Souvent, il participe aux tournages en tant que dialoguiste, mais on ne peut s’empêcher de lui confier une petite apparition sur l’écran, pas toujours créditée au générique. Si certains films peuvent être classés films mineurs, par des réalisateurs de même veine, il n’en ira pas toujours ainsi. Un des premiers films que l’on peut prendre en considération est un film de 1931, une adaptation du « Signe des 4 » de Conan Doyle, toujours appréciée des spécialistes de Doyle. En 1935, il est appelé par Hitchcock pour tenir le rôle de directeur du théâtre dans un de ses films les plus en vue de sa période anglaise, « Les 39 Marches ». A partir de là, un cinéphile régulier n’oubliera pas son visage dans les multiples apparitions qu’il fera par la suite, même si sa curiosité ne va pas jusqu’à retenir son nom.  En arrière plan, il est très actif comme dialoguiste, scénariste, adaptateur.  On compte plus d’une quarantaine de ses collaborations dans cet exercice, spécialement dans les années 30 et 40, sans oublier qu’il apparaît parfois sur l’écran. Sa carrière devient plus internationale, il travaille aussi aux Etats-Unis, il oscillera toujours entre les deux. Il ne faut pas croire qu’il tourne seulement  avec des réalisateurs de seconde zone ou des acteurs peu connus. Il donnera la réplique à des plus grosses vedettes que lui et sera appelé par des réalisateurs de renom, dans des films à succès. Il entrera dans une sorte d’immortalité grâce à un film dont il est scénariste et acteur dans un rôle en vue. Il s’agit du « Voleur De Bagdad », 1940,  un film co-réalisé avec dans le rôle principal, le légendaire Conrad Veidt. Ce film fut un évènement à sortie, notamment par ses effets spéciaux et aussi tourné en couleur. Il remporta l’oscar des Academy Awards en 1941 aux USA. Pour ses apparitions, il joue le rôle du sultan,  qu’il imprégnait de son subtil jeu d’acteur. A partir de là, pendant 25 ans il ne va cesser d’être  accaparé principalement  par le cinéma.  Ce sera bien sûr spécialement comme acteur, plus de 70 rôles dont quelques uns pour la télévision. Il n’a pas un registre précis, il peut autant bien incarner un croque-mort, qu’un docteur. Il a souvent figuré dans des films fantastiques ou d’horreur. Mais on peut tout aussi bien le retrouver comme un paisible employé des chemins de fer ou le monsieur qui achète des revues coquines dans une librairie. Comme tout bon acteur de composition, son apparence physique peut changer d’un rôle à l’autre.  Il est crédible dans chacun d’eux. Dans ses premiers films, il peut avoir l’air d’un vieillard, alors que vers la fin de sa carrière il a l’air du retraité encore dans le coup. Il faut bien admettre que c’est dans les rôles où il met une pointe d’humour qu’il excelle.  La plupart du temps, il accapare l’écran au détriment des autres acteurs, on ne voit que lui. Il ne dédaigne pas tourner dans des films plutôt nouvelle vague dans les années 60. Dommage que l’on aie pas songé à lui pour le rôle du père comploteur dans le « Quatre Garçons Dans Le Vent » avec les Beatles. Il aurait certainement fait merveille! Sa dernière apparition remonte à 1965. Souffrant de problèmes de vue, il doit cesser ses activités. Il meurt en mars 1969.

Le Voyeur (1960)

Avec Miles Malleson, on découvre que le cinéma n’est pas fait que de vedettes. Les rôles secondaires sont absolument nécessaires à la grandeur d’un film, pour autant que le potentiel soit là. De plus, si ces rôles secondaires sont actifs dans la mise en place du film et d’un naturel doué, il y a tout à prendre. Malleson est un grand personnage à bien des égards, d’abord pour sa personnalité propre, militant dans des causes qui font avancer le genre humain vers un meilleur possible. L’homme de théâtre où il fit l’ossature de son jeu d’acteur. L’homme de lettres et culture, qui devait dans doute bien connaître le français puisqu’il a traduit Molière. Et puis l’acteur aux milles facettes,  celui que l’on trouve à la cour du roi ou dans les bas fonds de la ville. Il est à découvrir ou à redécouvrir. Si on aime le cinéma sans le connaître, on ne peut pas être sûr d’avoir tiré tout la rêverie et le plaisir qu’il peut nous apporter.

Le Cauchemar de Dracula, Miles Malleson en agent des pompes funèbres qui ne manque pas d’humour avec Peter Cishing et Michael Gough.

Avec l’habitude, on peut repère un acteur que l’on a déjà vu pas mal de fois. Ici Miles Malleson dans le film de Jules Dassin « Les Forbans de la nuit » avec Richard Widmark en 1950. J’ai vu ce film à la télévision il y a très longtemps et il m’avait semblé que c’était lui. L’acteur n’apparait que dans un tout petit rôle non crédité au générique. J’ai retrouvé cette séquence qui confirme ce que j’ai vu.

Un des fils de Miles Malleson a écrit un livre en anglais sur la famille et les ancêtres. Il fait la part belle au principal intéressé. Il est visible gratuitement sur Google Books en cliquant sur le lien ci-dessous

Filmographie sélective

  • 1933 : Le Parfait Accord (Perfect Understanding) de Cyril Gardner
  • 1934 : L’amour triomphe ou Drame à Hollywood (Falling in Love) de Monty Banks
  • 1935 : Les 39 Marches (The 39 Steps), d’Alfred Hitchcock
  • 1936 : Marie Tudor (Tudor Rose) de Robert Stevenson
  • 1937 : La Reine Victoria (Victoria the Great) d’Herbert Wilcox
  • 1940 : Le Voleur de Bagdad (The Thief of Bagdad) de Ludwig Berger, Michael Powell et Tim Whelan
  • 1942 : Thunder Rock de Roy Boulting
  • 1945 : Au cœur de la nuit (Dead of Night), d’Alberto Cavalcanti
  • 1947 : Erreurs amoureuses (While the Sun Shines) d’Anthony Asquith : Horton
  • 1948 : Les Ennemis amoureux (Woman Hater), de Terence Young
  • 1948 : Sarabande (Saraband for Dead Lovers) de Basil Dearden
  • 1949 : Noblesse oblige (Kind Hearts and Coronets), de Robert Hamer
  • 1950 : Le Grand Alibi (Stage Fright) d’Alfred Hitchcock
  • 1952 : The Happy Family de Muriel Box
  • 1952 : Il importe d’être Constant (The Importance of Being Earnest), de Anthony Asquith
  • 1953 : Capitaine Paradis (The Captain’s Paradise) d’Anthony Kimmins
  • 1956 : Dry Rot de Maurice Elvey
  • 1957 : Le Cauchemar de Dracula (Horror of Dracula), de Terence Fisher
  • 1957 : La Vallée de l’or noir (Campbell’s Kingdom), de Ralph Thomas
  • 1959 : Carlton-Browne of the F.O. de Roy Boulting et Jeffrey Dell
  • 1959 : Le Chien des Baskerville (The Hound of the Baskervilles), de Terence Fisher
  • 1960 : Le Voyeur (Peeping Tom) , de Michael Powell
  • 1960 : Le Jour où l’on dévalisa la banque d’Angleterre (The Day They Robbed the Bank of England), de John Guillermin
  • 1960 : Les Maîtresses de Dracula (The Brides of Dracula), de Terence Fisher
  • 1961 : Les Chevaliers du démon (The Hellfire Club), de Robert S. Baker et Monty Berman
  • 1962 : Le Fantôme de l’Opéra (The Phantom of the Opera) de Terence Fisher
  • 1964 : Passage à tabac (Murder ahoy) de George Pollock
  • 1964 : Les Premiers Hommes dans la Lune ( First men in the moon ) de Nathan Juran

En passant

Bas nylons et une drôle de charrette

Julien Duvivier (1896-1967) est un cinéaste que l’on peut considérer comme un des actes majeurs du cinéma, au moins vu sous l’angle français. Sa filmographie est inégale, le meilleur n’avoisine jamais le pire, tout au plus ses films sont plus ou moins réussis. Citons « Golgotha » (1935); « La Bandera » (1935); « La Belle Equipe » (1936); « Pépé Le Moko » (1937). Remarquons la présence dans ces films de Jean Gabin, auquel Duvivier apportera sa contribution à en faire un mythe, avec la complicité de Renoir et Carné. Après la guerre, la série des « Don Camillo » avec Fernandel lui vaudra un franc succès, en laissant dans l’ombre des films qui sont sans doute plus aboutis pour les cinéphiles. Tout le monde connaît Don Camillo, mais pas forcément Pépé Le Moko.
Le fantastique est assez peu abordé par le cinéma français d’alors. Les Allemands et dans une certaine mesure les Américains en sont plus friands. Ici, Duvivier reprend un thème déjà abordé aux temps du muet par le Suédois Victor Sjöström en 1920, celui de la mort qui vient chercher les vivants. Ce thème est visité de diverses manières selon les pays et les croyances. Chez les Bretons, c’est l’Ankou qui rôde avec sa faux et qui vient frapper à la porte. Ici c’est une charrette qui rôde le 31 décembre à minuit aux douze coups de l’horloge.  Le grincement de ses roues et sa vue épouvantent ceux qui connaissent sa signification. L’âme en peine élue devra errer en la conduisant jusqu’au prochain réveillon avant de connaître le repos éternel.
Le film se déroule dans un milieu populaire, misérable,  où les bons côtoient les mauvais. Dans les mauvais, on trouve David Holm (Pierre Fresnay), individu violent et ivrogne. Parmi ses copains de misère, David (Louis Jouvet) connaît la légende de la charrette et se garde bien de se trouver là où il ne faut pas. Une soeur salutiste (Marie Bell), tente de ramener David dans le droit chemin, mais celui-ci arrogant et fier tente de la dissuader par tous les moyens. Au fil des scènes, on contemple non sans en apprécier la saveur, comment tout ce petit monde tient son destin entre ses mains. Au fameux soir de la Saint Sylvestre, avant et pendant que la charrette apparaît, le destin  tournera les choses à sa manière.
Le films qui décrivent le milieu social des années 30 sont assez nombreux  dans le cinéma français de cette époque. On peut citer à juste titre « La Belle Equipe » du même cinéaste, « Le Jour Se Lève » de Marcel Carné, « La Bête Humaine » et « Le Crime De Monsieur Lange » de Jean Renoir. qui donnent un bon reflet de la condition ouvrière, pas toujours facile. Dans le film qui nous intéresse, en faisant abstraction du côté fantastique, on retrouve aussi cette étude. Pierre Fresnay quitte un peu ses rôles distingués pour aborder avec réussite, celui d’un personnage peu recommandable. Louis Jouvet est toujours égale à lui-même, il sait toujours donner du relief à ses rôles. Bien qu’il semble toujours avoir détesté le cinéma, on ne peut pas dire qu’il se contente d’y faire de la figuration. Parmi la distribution, on ne peut que se réjouir de la présence de Robert Le Vigan, un très grand second rôle. Il fut une vedette en devenir, mais brisa sa carrière en  suivant, hélas, Céline dans la collaboration.  Marie Bell est parfaite comme dans la plupart de ses films, presque un peu trop classe pour une dame qui voue sa vie à sauver des âmes.
Sans être le film absolu, « La Charrette Fantôme » mérite une redécouverte, d’abord parce que c’est un film fantastique et aussi pour le plaisir de retrouver une pléiade de bons acteurs qui conduisent le film de bout en bout.

La bande annonce.

Réalisateur: Julien Divivier
Sorti en 1940
Durée: 1h 50
Noir et blanc

Distribution

  • Louis Jouvet : Georges dit « l’étudiant », ami de David
  • Micheline Francey : sœur Edith, malade des poumons
  • Marie Bell : sœur Maria
  • Ariane Borg : Suzanne
  • Marie-Hélène Dasté : la prostituée
  • Andrée Mery : la vieille repentie
  • Mila Parély : Anna
  • Valentine Tessier : la capitaine Anderson
  • Madame Lherbay : la vieille qui meurt
  • Génia Vaury : une salutiste
  • Suzanne Morlot : une salutiste
  • Pierre Fresnay : David Holm, souffleur de verre, aigri et malade
  • Robert Le Vigan : le père Martin
  • René Génin : le père Éternel
  • Alexandre Rignault : le géant, vrai coupable du meurtre
  • Pierre Palau : M. Benoît
  • Jean Mercanton : Pierre Holm, frère de David, accusé à tort
  • Henri Nassiet : Gustave, un compagnon de David
  • Philippe Richard : le patron du cabaret
  • Georges Mauloy : le pasteur
  • Jean Joffre : le gardien de prison
  • Marcel Pérès : un consommateur
  • Jean Claudio : un enfant de David
  • Michel François : un autre enfant de David
  • Jean Buquet : un autre enfant de David
  • Jean Sylvain : un salutiste
  • et autres

DVD

En passant

Bas nylons et des monstres plutôt sympathiques

*****

La fameux film de Tod Browning « Freaks » (La Monstrueuse Parade – 1932) dont j’ai déjà parlé dans un poste, faisait en partie appel à des acteurs que l’on qualifiait de monstres ou du moins des personnes avec des particularités physiques ou difformités assez peu courantes. Le plus grand mérite de Browning est d’avoir humanisé ces acteurs et de leur faire jouer un rôle dans son film tout en faisant confiance en leur talent. D’après ce que l’on sait, le tournage entre les acteurs normaux et les autres n’a pratiquement posé aucun problème, tout le monde a formé une équipe soudée. On peut imager que Browning, en recrutant son personnel, à prévenu tout le monde sur ce qui les attendait. Pour une part, cela a permis à ces acteurs un peu spéciaux de s’assurer quelques revenus après le tournage. Le film est quand même une belle référence dans l’histoire du cinéma et par rebond dans la filmographie d’un interprète, même s’il fut assez descendu en flèche à sa sortie. Néanmoins, il provoqua quand même une vague non négligeable vers une prise de conscience certaine pour les défavorisés . Nous allons nous intéresser d’un peu plus près à ces « monstres », ce qu’ils devinrent par la suite, et qui ne furent pas moins que des précurseurs de la défense d’une cause humainement intéressante.

Harry Earles (1902-1985) – Daisy Earles (1907-1980)

Parmi les « monstres », il est celui qui a le rôle de vedette, même si les acteurs normaux sont de loin plus connus pour certains. L’intrigue tourne autour de sa personnalité et de ce qu’il fait. Il n’a pas de particularité physique rebutante, il est juste lilliputien, il mesure à peine un mètre. Il est Allemand, né en 1900 dans une famille de 7 enfants dont quatre sont atteints de la même maladie, le nanisme. A la différence des nains, les lilliputiens ont un corps parfaitement proportionné de la tête aux pieds. Sa soeur Daisy tourne également dans le film, elle est sa fiancée dans l’histoire. En fait, dans « Feaks » il n’en est pas à sa première apparition au ciné, il a déjà tourné avec Browning en 1925 dans « Le Club des trois » évidemment film muet. La complicité entre les deux est réelle, car c’est Earles qui fit connaître à Browning la nouvelle qui inspira son célèbre film. Avec ses trois soeurs et lui-même, ils devinrent assez célèbres en se produisant dans les films sous le nom de « La Maison des Poupées » et apparurent ensemble ou séparément dans des films célèbres comme « Le Magicien d’Oz » ou encore « Sous Le Plus Grand Chapiteau Du Monde ». Ils étaient aussi capables de chanter et danser. Au milieu des années 1950, ayant gagné passablement d’argent, ils se retirèrent en se firent construire une maison avec du mobilier en rapport avec leur taille. Ils moururent à des âges avancés entre 70 et 90 ans.

Daisy et Violet Hilton (1908-1969)

Pas de disgrâce physique, même plutôt jolies, pour les soeurs Hilton, si ce n’est qu’elles sont siamoises et attachées par le dos. Elles ne partagent pas d’organes vitaux. Elles naissent à Brighton en Angleterre en 1908. Leur mère étant célibataire, elles sont sont adoptées par la patronne de cette dernière. Elle leur apprend à chanter à danser, à jouer d’un instrument dès leur plus jeune âge et les produit ensuite à travers l’Europe et aux USA. En vérité, même si elles connaissent un franc succès, elles sont exploitées et reçoivent peu d’argent. A la mort de leur « protectrice », sa fille et son mari continuent de les exhiber et elles deviennent encore plus célèbres. Grâce à un avocat, elles parviennent à s’émanciper et peuvent profiter entièrement de l’argent qu’elles gagnent. Malheureusement leur âge d’or est un peu passé, le cinéma supplantant les spectacles de music-hall. Tant bien que mal, elles survécurent et tentèrent de tourner un film basé sur leur vie qui fut un échec. Elles se marièrent, un peu pour la gloriole avec des homosexuels, mariages qui furent assez éphémères. Elles passèrent leurs dernières années en travaillant dans un magasin à Charlotte en Caroline du Nord. Elles furent trouvées mortes à leur domicile en 1969, victimes de la grippe. Selon les conclusions du légiste, Violet serait morte deux jours après Daisy. On peut imaginer le dramatique de cette situation. Elles ne sont toutefois pas retombées complètement dans l’oubli, une comédie musicale s’inspire de leur histoire, ainsi que divers spectacles. La ville de Brighton possède un bus des transports publics baptisé en leur honneur et une plaque commémorative sera apposée sur leur maison natale.

Roscoe Ates (1895 -1962)

Il n’est pas véritablement un des monstres du film où il joue le mari d’une des soeurs Hilton. Affublé d’un bégaiement tenace durant son enfance mais qu’il arrivera à maîtriser ensuite. Il le reprend ici pour donner un aspect comique dans le film comme cette réplique qu’il adresse en une longue tirade à la Hilton qui n’est pas sa femme : « C’est toi qui boit et c’est ma femme qui la gueule de bois! ». Entre le cinéma et la télévision, il fait de très nombreuses apparitions.

Johnny Eck (1911-1991)

C’est l’homme sans jambes du film qui se déplace avec les mains. En fait, il possédait des jambes, mais incomplètes et atrophiées. Sa capacité mentale n’est pas atteinte.  Il avait un frère jumeau normalement constitué qui lui servira un peu de protecteur. Il ne manqua jamais de s’illustrer dans divers domaines comme la peinture, la sculpture, et fut même un musicien accompli et dirigea un orchestre. Il poussa même son envie de vivre comme les autres en se faisant construire une voiture de course. Même si son corps est diminué, son visage fait de lui presque un séducteur, chose dont il ne semblait pas se priver tous en ayant une forte dose d’humour. Comme on peut le penser, c’est surtout à travers le spectacle du cirque et de cabaret qu’il gagna, même assez largement sa vie. Bien sûr, son apparition dans le film de Browning lui donne cette petite touche d’immortalité. Il apparût dans trois films de Tarzan des années 1930.

Frances Belle O’Connor (1914-1982)

C’est la femme sans bras. Même si elle n’en possède pas, avec l’aide de ses pieds, elle mange, boit, fume et pratique même le tricot et la couture, ceci de manière très gracieuse. Artiste de cabaret, son apparition dans « Freaks » est probablement la seule qu’elle fit à l’cran. Elle mourut en Californie assez anonymement.

Schlitzie (1901-1971)

De tous les acteurs qui paraissent dans le film, c’est un de ceux qui parait le plus comme étant un monstre. et ne mesurant que 1,22 m. Difforme physiquement, surtout une tête assez disproportionnée, habillé en robe, bien qu’il s’agisse d’une personne du sexe mâle, vraisemblablement né Simon Metz. On lui prêtait un âge mental de trois ans, mais il était capable de faire des choses qui correspondaient à son âge mental. Il avait la réputation d’être très sociable, adorait imiter, chanter, et danser. De tous les acteurs du film, il est encore aujourd’hui, celui qui a le plus quelque chose qui ressemble à une sorte de culte. Personnage de fête foraine et de cirque, il rencontre un réel succès, tout en apparaissant dans quelques autres films. Adopté par un dresseur de chimpanzés qui devint son protecteur légal, il se retrouva dans un asile psychiatrique à la mort de celui-ci en 1965. Il fut récupéra par un ancien compagnon de route qui le remit dans le circuit du spectacle jusqu’é sa mort en 1971. Dans les année 1990, d’anciens fans font une collecte pour mettre une pierre tombale à l’endroit où il est enterré. La série « American Horror Story » lui rend hommage en recréant un personnage semblable.

Elvira Snow (1901-1976) & & Jenny Lee Snow (1912-1934)

Dans le film, elle jouent un rôle de soeurs jumelles, mais ne le sont pas réellement. Elles sont bien soeurs, mais avec plus de 10 ans de différence. Elles sont atteintes de microcéphalie, une maladie qui empêche le corps et surtout la tête de se développer normalement. Les facultés intellectuelles sont souvent limitées, mais ce n’est pas toujours le cas, L’espérance de vie peut aussi être raccourcie. Pour les soeurs Snow, on pourrait dire que c’est le cas une fois sur deux, car l’ainée mourut à 75 ans tandis que sa cadette dépassa à peine les 20 ans. Elles furent assez célèbres en se produisant en spectacle, et vers 1930 gagnaient 75 dollars la semaine, une somme presque énorme pour l’époque.

Josephine Joseph (1891-1966)

La personne qui apparaît sous ce nom dans le film a toujours entretenu un certain mystère sur la réalité de sa personne, elle serait une hermaphrodite. Ce qui est sûr, c’est que son visage était la moitié de celui d’un homme et l’autre moitié celui d’une femme, chose qu’elle entretenait avec soin en ajustant ses profils de manière adéquate. Le reste de son corps visible semblait correspondre à cette particularité, des bras et des jambes anatomiquement différents, mais son sexe réel serait entièrement féminin. Elle est née en Autriche et se maria avec son manager américain, ce qui semble indiquer son sexe féminin prépondérant, du moins sur son passeport. Elle travaillait des les cirques exploitant sa particularité physique. Il semble que son unique apparition au cinéma réside dans ce film.

Minnie Woolsey (1880-1960)

Elle souffre d’une maladie qui allie un trouble du squelette et une tête mince qui la fait ressembler à un oiseau vu de profil, d’où on tira son surnom de fille oiseau. Chauve, ayant aussi une assez mauvaise vue. Toutefois, elle avait des facultés intellectuelles normales. Elle mourut à 80 ans, probablement renversée par une voiture, alors qu’elle se produisait encore dans les shows. Elle le fit pratiquement sans interruption tout au long de sa vie.

Prince Randian (1871-1934)

C’est l’homme tronc que l’on voit dans le film allumer tout seul sa cigarette. Il était aussi capable de se déplacer en rampant, monter ou descendre des marches, tout cela sans bras, ni jambes. Originaire probablement de la Guyane, il était marié à une Indienne et eut cinq enfants. Il parlait couramment quatre langues dont le français. Il mourut d’une crise cardiaque.

Angelo Rossito (1908-1991)

Un autre lilliputien du film. De tous ceux qui figurent dans Freaks, à part les vedettes, il est celui qui a eu une très longue carrière au cinéma. Il tourna dans plis de soixante films et de nombreuses séries télévisées, plus d’une vingtaine. On peut le voir dans Mad Max, Le Fugitif, Beretta, l’Incroyable Hulk, Kung Fu.

Olga Roederick (1871-1945)

C’est la femme à barbe qui dans le film donne naissance à une fille qui a une barbe comme maman, Jene Barnell de son vrai nom, il semble que c’est sa seule apparition à l’écran. Elle se produisit dans toutes les attarctions possible et imaginales. Elle fut mariée quatre fois, dont la première fois à 14 ans selon ses dires.  Elle eut deux enfants de son premier mariage  qui moururent prématurément.