En passant

Inventaire musical à la Prévert (12)

Dans les chapitres précédents, je vous ai présenté une multitude d’artistes qui ont plus ou moins comptés dans l’avènement de la musique beat en Allemagne, tout ce qui a marché sur les traces des Beatles lorsque l’on sait que la ville de Hambourg a compté énormément dans leur ascension vers la gloire. Cette gloire une fois venue fut un des catalyseurs qui engendra un sorte de dévotion dans le pays qui hissa le beat allemand à un très bon niveau. Il sembla même aux Anglais que l’Allemagne était presque un tremplin nécessaire pour avoir du succès en Angleterre. Bien entendu, je vous ai parlé des artistes anglais qui eurent plus ou moins un événement particulier lié avec Allemagne, ce qui n’est de loin pas le cas pour tous. Plein d’autres anglais eurent du succès en Allemagne sans pour autant avoir fait quelque chose de particulier pour le rencontrer, c’est un peu du hasard. Un groupe comme les Creation, groupe qui deviendra par la suite une icône des sixties, n’eurent presque aucun succès en Angleterre, mais décrochèrent quand même un relent de célébrité en Allemagne où leur discographie est assez abondante, il existe même deux albums d’époque édités là-bas, deux beau collectors. La connexion à l’Allemagne s’arrête là. A côté de cela, l’Allemagne fonctionna aussi comme les autres pays. Une multitude d’artistes locaux, dans une catégorie appartenant à la variété pure, eurent du succès et furent même des stars. Il y a Gitte, Heino, Peter Kraus, Howard Carpendale, le petit Heintje, sorte d’enfant prodige vocal, Rex Gildo et des tas d’autres. On peut les comparer a nos vedettes de variétés françaises, artistes que l’on peu aimer ou détester, mais qui laissent des traces plus par la grandeur de leurs succès que par un style qui marque l’histoire musicale.

The Smoke – Les Smoke furent à moitié dans le même cas que les Cration. et leur célèbre « My Friend Jack » cartonna très fort en Allemagne et aussi en France. La chanson a aussi une histoire qui n’est sans doute pas étrangère au succès sous d’autres cieux. Bien qu’enregistré en Angleterre, le disque fut interdit sur les ondes de la BBC. On y trouva une allusion à la drogue dans les paroles « Mon ami Jack mange des morceaux de sucre », pratique usitée parfois par les drogués pour absorber la drogue en imbibant un sucre. Le doute ne profite pas à l’accusé, car il existe une autre prise de la chanson qui est beaucoup explicite au niveau des paroles, l’ami Jack a quelques visions qui sont autres que celles que l’on peut avoir en suçant des pastilles à la menthe. Cette version sortira plus tard. Le seul album d’origine qui existe d’eux est bel et bien allemand et le groupe recentra périodiquement sa carrière dans ce pays, en enregistrant d’autres disques spécialement ciblés pour le marché allemand. Une fois le groupe dissous, on retrouvera l’un des membres derrière la machine disco Boney M. Si vous connaissez un peu le sujet, vous aurez remarque qu’une reprise de leur emblématique « My Friend Jack » figure sur un de leurs 45 tours. Ce n’est en rien du hasard. Le groupe donnera quand même de ses nouvelles en se reformant occasionnellement, enregistrant aussi une nouvelle version de son hit en 1976.
Voyons un peu ces enregistrements qui étaient plus particulièrement destinés au marché allemand. Avec le temps ils apparaissent comme ceux d’un groupe plutôt novateur, comme leur hit le démontre. Et puis cerise sur la gâteau, leur discographie est entièrement composée de titre originaux.

Pour le plaisir le tube pour la TV allemande. C’est en playback.

1968 – Sydney Girl. Beau titre au goût psychédélique.

La face B – It Could Be Wonderful. Très bon également.

1972 – Sugar Man.

La face B – That’s What I Want.

1972 – Jack Is Back.

1974 – Shagalagalu.

La face B – Gimme Good Loving.

Le tube version 1976.

La fameuse version alternée avec les paroles plus suggestives, la guitare est aussi plus « agressive » dans cette mouture.

Je vous ai déjà présenté quelques uns des artistes anglais, issus du mouvement beat, qui avaient enregistré en allemand, mais il y en a encore d’autres, une multitude. En voici une autre revue.

The Spencer Davis Group. Tout d’abord commençons par un hommage, Spencer Davis est décédé le 19 octobre à l’âge de 81 ans des suites d’une pneumonie. Il fait partie de ces quelques personnages avec qui j’ai eu l’occasion d’échanger quelques mots, même de boire une verre avec lui. Il y a parfois des bizarreries dans la vie. En ouvrant au hasard une pile de 45 tours, je suis tombé sur un disque qu’il m’avait signé lors de notre rencontre. Je me suis dis, tiens je vais aller voir ce qu’il devient. C’est ainsi que j’ai appris qu’il était parti pour le grand voyage.  R.I.P. Mr Davis.
Peu s’en souviennent, mais le Spencer Davis Group a enregistré deux titres en allemand. En plus d’être un guitariste, Spencer Davis était polyglotte, il parlait anglais évidemment, mais aussi l’allemand, le français, l’espagnol. Alors enregistrer une chanson en allemand était une gageure. Pour la première, ils choisirent un vieil air allemand arrangé de manière moderne « Det War Ein Schöne Berg ». Et un peu plus tard, un titre assez surprenant dans leur discographie, que nous verrons ensuite. Je reviendrai plus en détail sur le groupe dans un futur article. Il a une grande importance dans l’UK Blues Boom.

1966 – Det War Ein Schöne Berg.

1968 – Ici, il s’agit du Spencer Davis Group après le départ de Stevie Winwood, remplacé par Eddie Hardin. On leur fait enregistrer en allemand, un titre très à contre courant de leurs habitudes, une reprise de la comédie musicale « Hair », le célèbre « Aquarius » qui devient « Der Wasserman ».

En live, il y a trois ans, son immortelle création « Don’T Want You No More ».

The Merseybats – Sans être un groupe qui fit de l’ombre aux Beatles, les Merseybeats, au nom évocateur, connurent quand même quelques succès mémorables, le plus mémorable reste « I Think Of You ». Accouplé à un autre de leurs hits « It’s Love That Really Counts », ils enregistrèrent une version germanique de ces titres, sur le playback de l’enregistrement original. C’est un disque très rare, sans doute le plus rare de leur discographie.

1964 – Nur Du Allen (I Think Of You).

Nur Liebe Zählt (It’s Love That Really Counts).

The Honeycombs – On se souvient particulièrement de ce groupe pour deux raisons. La première, une fille tenait la batterie, chose pas si courante à l’époque. Le seconde, moins visible, c’est que c’est la dernière fois que le producteur qui est derrière tout ça, Joe Meek, aura une de ses production classée à la première place du hit parade anglais avec « Have I The Right ». Le groupe, lui-même, ne renouvellera pas ce succès. Ils profitèrent de leur succès pour enregistrer les deux faces de leur single à succès en version allemande. Le playback du succès anglais est employé pour l’adaptation, par contre l’autre face « Please Don’t Pretend Again » est différente de l’original. Il arrive que l’on aperçoive encore une incarnation du groupe dans les circuits nostalgiques, à part la batteuse Honey Lantree, décédée en 2018.

1964 – Hab Ich Das Recht (Have I The Right).

Du Sollst Nicht Traurig Sein (Please Don’t Pretend Again).

Faisons un tour chez nos artistes français qui ont enregistré en allemand, une en particulier.

Dalida – En Allemagne au cours des années d’après guerre, un peu comme en France, il y avait une certaine demande pour des musiques un peu exotiques, l’Italie pouvait tout à fait répondre à ce critère. Ce n’était pas encore les grandes ruées germaniques vers les plages de l’Adriatique, mais on en rêvait un peu. La musique pouvait en donner une petite idée, à défaut de mieux. Dans les années 1950, vers la fin, Dalida fut la première à s’attaquer d’une manière conséquente au marché allemand. Pendant une vingtaine d’années, elle alimenta assez régulièrement en enregistrements, des chansons destinées au public allemand. Bien évidemment, les chansons en français furent les plus nombreuses, mais n’oublions pas qu’elle avait du succès en Italie, elle enregistra évidemment en italien, mais encore en anglais, égyptien, espagnol, flamand, libanais, hébreu, japonais. La discographie allemande a ses particularités, une partie reprend sa discographie française, mais aussi des titres souvent très connus pour nous, dont elle n’est pas la créatrice, mais qui sont recyclés en version allemande ou en exclusivité pour l’Allemagne. Ces titres dans ces versions apparaissent peu ou pas dans sa discographie française. Un exemple connu de tous les fans de Dalida. En 1959, elle « pique » la fameuse histoire de Scoubidou à Sacha Distel, l’enregistre en allemand. Il finit inséré sur un EP Barclay avec trois titres aussi chantés en allemand. Il est destiné à l’export vers l’Allemagne avec un texte de présentation dans la langue du pays. A cette époque, ce sont les disques Ariola qui distribuent Dalida, mais Barclay tente le coup en passant un peu par la bande. Ce fut un peu un coup d’épée dans l’eau, car Ariola sort sa propre édition avec un ordre de titres différent. Je ne sais pas à quel canal de distribution il a été confié, mais visiblement le travail ne fut pas à la hauteur, c’est un des trucs les plus rares de la discographie de Dalida, ce qui n’est pas toujours le cas de bien des publications de l’autre côté du Rhin. Si toutes les publications du genre ne furent pas des succès fracassants, au moins quatre d’entre elles connurent une belle consécration, dont deux furent no 1.
J’ai toujours eu avec Dalida, un rapport fait de haine et surtout d’amour. Dans mes jeunes années années, on n’y échappait pas, on ouvrait la radio et Dalida était là. La première chanson que je me rappelle avoir entendue est « Bambino ». A priori, Dalida représente un peu tout ce que je n’aime pas trop dans la musique, je n’ai pas dit je déteste, la variété en tubes. Mais voilà, Dalida c’est quelque chose de particulier, d’autre. Une vraie chanteuse, une sirène assurément, un petit quelque chose qu’on ne trouve pas ailleurs, mais dont elle semble amplement pourvue. Quand on est comme moi à moitié italien, il y a une sorte d’appel qui ne saurait rester sans réponse quand elle chante et que l’on boit du chianti. En dehors de toute prise de position partisane, il faut bien lui attribuer le fait qu’elle est une des grandes chanteuses du 20ème siècle, et pas simplement le dire à la manière d’un fan pour qui sa vedette préférée est la plus grande du monde. Professionnelle, elle l’a toujours été, s’adaptant aux modes quand elle se présentaient. A 30 ans elle twistait, à presque 50 balais elle s’est mise au disco, et pas dans une chaise roulante. Sur scène, sa gestuelle est parfaite, on devine l’actrice qu’elle désirait être à ses débuts. Dans mon jardin, je cultive un peu Dalida, peut-être parce qu’elle est la première chanteuse dont je me rappelle les chansons, peut-être parce que je ne l’ai jamais vue, peut-être parce que c’est comme ça. Ce qui est sûr, c’est que j’ai toute une pile de Dalida dans ma collection, ce qui est aussi sûr, c’est que quand j’ai rencontré ma femme, la première chose qui j’ai remarqué chez elle, c’est une certaine ressemblance avec Dalida.
Nous allons visiter quelques clips concernant sa carrière allemande, certains sont des montages avec des vidéos qui n’ont aucun rapport avec la chanson. J’ai fait une sélection sur la presque cinquantaine de chansons en allemand qu’il existe d’elle.

1959 – Scoubidou – Sa reprise du tube de Sacha Distel, sur le EP destiné à l’Allemagne, par la suite il est titré « Apfel Und Birne » dans la discographie allemande.

La rare édition francaise.

La beaucoup plus courante édition allemande. Vrai clip.

Sur le même EP figure une reprise allemande de « Ciao Ciao Bambina » de Dominoco Modugno, qui devient « Tschau Tschau Bambina ».

1959 – Am Tag Als Der regen Kam. Son premier grand succès en allemand classé no 1.  Une reprise de la chanson de Gilbert Bécaud « Le Jour Où La Pluie Viendra »-

1959 – Buenas Noches Mi Amor. La titre original est conservé, mais il est interprété en allemand. Vrai clip.

1960 – Glaub And Mich. Version allemande de « Sur Ma Vie » de Charles Aznavour. Faux clip.

Orfeu – Version allemande de « La Chanson D’Orphée » du film Orfeu Negro, une mélodie très contagieuse en 1960.

1960 – Milord. Second no 1 allemand pour Dalida, bien sûr la reprise du titre d’Edith Piaf. Barclay tenta une nouvelle fois d’imposer un pressage français au public allemand en mettant en évidence la version allemande du célèbre « Enfants Du Pirée », une autre mélodie très contagieuse en 1960. Sa version de Milord y figure aussi mais en petites lettres. C’est aussi un EP assez rare, mais moins recherché que le précédent.

Das Mädchen Von Piräus. Faux Clip.

On trouve aussi une version allemande de « Les Gitans ».

1960 – Du Bist Romantica. La chanson qui triompha au Festival de San Remo en 1960 via Tony Dallara. les versions françaises de Dalida, les Compagnons De La Chanson, Bob Azzam sont les plus connues. Faux clip.

1961 – Der Joe Hat Mir Das Herz. Version allemande de « Nuits D’Espagne » le « Spanish Harlem » de Ben E King, une des premières composition de fameux Phil Spector à rencontrer le succès.

1961 – Pepe. Une chanson américaine tirée de la comédie musicale du même nom, dont un peu tout le monde connaît la mélodie. C’est aussi un grand succès pour Dalida en Allemagne (no 3). Il en existe de multiples versions dans un tas de langues.

1962 – Ich War Ein Nar – Une des chansons qui est une création typiquement allemande, sans équivalent français.

1964 – Wenn Die Soldaten. Une chanson inspirée d’une musique militaire allemande, aussi chantée par Marlène Dietrich. Sans équivalent français à ma connaissance, c’est un bel exemple de pur Dalida quand elle fait de la chanson un peu triste. Ce titre existe en pressage français sur un très très rare single jukebox

1965 – Version allemande du tube de Nino Rosso « Il Silencio », en fait aussi une musique d’origine militaire. En français c’est « Bonsoir Mon Amour ». Faux clip.

1966 – Nie. Version allemande de « Eux », je crois que c’est la chanson de Dalida que j’ai le plus écoutée, en version française évidemment. C’est le yéyé Danyel Gérard qui l’a écrite. Le version française date de 1964.

1968 – An Jeden Tag. Version allemande du « Temps Des Fleurs » le tube créé par Mary Hopkin « Those Were The Days », première signature du label Apple des Beatles. Faux clip.

1969 – Petruschka. En allemand une version de « Casatchok ». Vrai clip.

1974 – Er War Gerade 18  Jahr, Le bien connu « Il Venait D’Avoir 18 Ans ». La chanson dans sa version allemande a été un grand retour vers le gros succès en Allemagne. Vrai clip.

1975 – Mein Liber Herr – Le titre en français est le même. Dans le clip il y une petite interview en anglais pour la TV allemande, c’est pittoresque. Vrai clip.

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