En 1963, les artistes rock suisses se pressent au portillon pour aller enregistrer en France. Après Larry Greco et les Faux Frères, voici les Aiglons, groupe instrumental. Pour les candidats passés et futurs, l’exercice se concrétisa par une météo qui va du calme plat à la légère brise, mais avec les Aiglons elle se transforma quasiment en tempête. Ils feront ce que d’autres ne réussiront pas à faire, créer un tube qui aura une audience internationale, même avec un certain impact aux USA. Les débuts du groupe se passent à Lausanne. Ils sont cinq, tous encore mineurs, et passionnés de rock. Il y a Jean-Marc Blanc (claviers), Léon Francioli (guitare solo,), Laurent Florian (guitare rythmique), Antoine Ottino (guitare basse), Christian Schlatter (batterie, percussions). Avec les instruments achetés, on s’entraîne, on répète, mais on bosse avec application. Des groupes comme les Shadows ou les Spotnicks sont leurs références, mais ils ne veulent pas trop les coller note pour note, on préfère innover. Ils écrivent à Henri Leproux au Golf Drout et proposent leurs services. La réponse vient en retour, on les attends au début 1963. Ils font bonne impression, ils n’essaient pas trop de reprendre les tubes en vogue, leur démarche ne laisse pas les auditeurs insensibles. Ils sont approchés par un compatriote qui est directeur artistique chez Barclay. Ken Lean. S’il y a un producteur suisse qui a très modestement marché sur les traces de Phil Spector, c’est bien lui, il ne manque pas d’idées créatrices. Il leur décroche un contrat chez Barclay, et pour leur premier disque, ils inaugurent le sous-label Golf-Drouot. Il comprend trois titres originaux, mais c’est « Stalactite » composé par Jean-Marc Blanc qui s’en dégage immédiatement. Pour l’époque, c’est quelque chose d’assez original et créatif, cela ne ressemble en rien aux Fantômes ou autres groupe français du genre. Dans le style, c’est certainement un des instrumentaux le plus original de l’année. Le succès ne manque pas d’arriver, il est amplement mérite. Ils sont classés dans le hit parade de Salut les Copains, mais le titre déborde aussi dans d’autres pays, car le disque est aussi édité ailleurs. Aux USA, c’est le label Smash qui le publie, mais les Aiglons deviennent des Aigles (Eagles) dans la nomination américaine. Il reste sans doute la plus grosse vente jamais réalisée par un artiste suisse de la vague yéyé. Entre les originaux et les rééditions, on arrive au million de copies vendues. Les choses s’emballent assez vite, des tournées avec d’autres artistes, Hugues Aufray, les Sunlights, Evy, Chats Sauvages, et surtout Gene Vincent. Certaines de ces tournées sont un peu catastrophiques, mal organisées, dans certaines villes le concert n’est même pas annoncé. Mais l’enthousiasme chez les Aiglons est là, c’est presque une vie de rêve. Un deuxième disque est publié la même année avec « Panorama ». Le disque, un peu accouché dans la précipitation ne rencontre pas le même succès, mais c’est encore une très bonne vente. Les Aiglons se muent aussi en accompagnateurs, on les retrouve avec Tony Rank et Le Petit Prince pour deux publications qui resteront assez confidentielles. C’est encore une production Ken Lean, mais la dernière. Il semble avoir pour le moins un foutu caractère et le groupe le vire. C’est Jean Fernandez, qui travaille avec Eddy Mitchell, qui prend la relève. Un troisième disque est produit avec « Troïka », c’est le titre qui s’approche le plus de la magie de « Stalactite », mais il reste assez peu programmé sur les radios. Seul point positif, le reprise d’un titre des Fencemen / Billy Strange « Sunday Stranger » est choisi comme indicatif d’une émission de RTL « Bal 10-10 ». Les pochettes déjà imprimées seront affublées d’un autocollant qui rectifie le titre. Arrive ce qui sera peut-être le coup qu’il fallait tenter. Claude François les approche et leur propose le rôle d’accompagnateurs sur scène, un contrat de 2 ans est prévu. Net refus de certains parents, certains rappellent leur ouailles aux études, et l’affaire est enterrée, Un dernier disque avec un changement de personnel sort en 1965, presque anonymement, de ce fait le plus rare de la série. Le travail est bâclé, la photo de la pochette ne tient pas compte de changement de personnel et les titres sont probablement dans un mauvais ordre. Après cela, la séparation est définitive, seul Léon Francioli poursuivra une carrière dans la musique. Il est devenu un contrebassiste de jazz réputé, malheureusement décédé en 2016. Les autres poursuivront des carrières diverses, mais se retrouveront en 1992 pour enregistrer quelques titres. Certains repiqueront au truc occasionnellement dans d’autres formation, notamment Christian Schlatter et Antoine Ottino.
Premier EP 1963.
En 1963, les Daltons comme les Aiglons étaient déjà recherchés.
Stalactite. Un titre magique.
T’en Va Pas. C’est la reprise figurent sur le premier EP. Cette chanson est celle concourant pour la Suisse qui se classa 2ème au Grand Prix Eurovision en 1963 chantée par Abi Ofarim. La version ici est instrumentale.
Christine.
Marie Line. Egalement une création assez originale.
Deuxième EP 1963.
Panorama
Dans Le Vent.
De L’amour.
Expo 64, avec une petite interview. C’est la version instrumentale du titre « Ton Image » de leur collègue Tony Rank, qu’ils accompagnent d’ailleurs sur la version locale. Le titre est nommé « Expo 64 » en prévision de l’Expo Nationale Suisse qui aura lieu l’année suivante.
Troisième EP 1964.
Troïka. Titre qui marche le plus sur les traces de « Stalactite ».
Europa.
Tennessee. Un clip, mais il faut monter le son ou avoir l’oreille très fine,
Bal 10-10 (Sunday Stranger). Là, le son est un peu haut, attention les oreilles !
Quatrième EP 1964.
Patricia.
Documents.
Deux belles raretés en rapport avec les Aiglons.
Marijan, futur Michel Orso, réalisa en 1963 une version vocale de « Stalactite ». Il est accompagné par les Doodles qui travaillèrent aussi avec Christophe pour son premier EP sur le label Golf-Drouot.
Dans les reprises qui furent faites à l’époque, notons celle de cette organiste d’origine française qui enregistra cette version en Allemagne en 1966.
Tony Rank – Johnny Roulet à ses débuts est un autre chanteur suisse, aussi compositeur à ses heures, qui tenta de trouver gloire et fortune. Il débuta en 1957 en formant un duo amateur avec Gaston Schaefer, futur Faux Frères. Ensuite, il fait partie d’un groupe, les Dauphins (rien à voir avec le groupe français homonyme), dont il est le chanteur. Cela ne marche pas trop mal localement lors de concerts. Remarqué par Ken Lean, il a l’occasion de monter à Paris et décroche un contrat avec Barclay sous le nom de Tony Rank. Deux EP’s avec des orchestrations de Jean Bouchety voient le jour. Sur le premier on trouve « Ca C’est Bien Moi » une adaptation de « Ain’t That Just Like Me » des Coasters, popularisé en Angleterre par les Searchers et les Hollies. Encore un adaptation sur l’autre face, « Petite Fille », version française du tube de Billy J. Kramer et les Dakotas « Little Child », un « cadeau » des compositeurs originaux John Lennon et Paul McCartney. Il a quelques fans en Suisse et une assez brève popularité commençant lors de l’Exposition Nationale Suisse en 1964. La France semble l’avoir ignoré. Son second disque, assez obscur, ne décolle pas vraiment. Un troisième est prévu mais ne sera pas publié en EP, seul un single sera édité, il est accompagné cette fois-ci par les Aiglons. Se retirant peu à peu du showbiz, il fera une ultime tentative sur le label suisse Evasion en 1973 et brièvement un retour avec les Dauphins, toujours pour Evasion.
Voici ce que j’ai pu dénicher au point de vue discographie.
1965 – Ca C’est Bien Moi (Ain’t That Just Like Me). Original par les Coasters, popularisé par les Searchers et les Hollies en Angleterre.
1965 – S’il Est Vrai.
1965 – Je N’ai Pas Dit Mon Dernier Mot. Adaptation de « looking For My Baby » des Earls.
1965 – De Nouveau Je Souris. Adaptation d’une obscurité anglaise composée par deux membres des Mojos.
1965 – Ton Image (avec les Aiglons). Cette composition de Tony Rank est en fait le titre que les Aiglons avaient enregistré en instrumental sous le titre « Expo 64 ». La voie de Tony Rank a juste été ajoutée.
1973 – Tu Me Donnes Envie, sous le nom de John Vermont
1981 -Te Voici (Mean Woamn Blues) – Résurrection de Tony Rank et les Dauphins, un titre emprunté à Eddy Mitchell en live et assez pop.
*****
Bonjour M. Boss,
Le disque de Tony Rank avec la version de Petite Fille (Little Child) est assez rare
Il faut bien compter une trentaine d’euros …étrange que la France l’ai boudé , car ça tenait la route ….peut être trop de concurrence dans cette période
Bonne semaine
cooldan
Hello Cooldan,
Je pense que le marché était bien encombré, les places se vendaient à bon prix. Il y a toujours eu une certaine condescendance de la part des artistes français envers ceux qui venaient de Suisse, j’ai lu pas mal de témoignages allant dans ce sens. Barclay, comme avec Tony Rank, en a publié beaucoup, mais le but était surtout de vendre sur place dans le pays d’origine. Tony Rank n’était pas si mal, mais des comme lui il y en avait des dizaines en France. Mais même avec les collectionneurs suisses, Tony Rank n’est pas le sujet de conversation principal, il est un peu oublié, ce qui est moins le cas pour les Aiglons ou Larry Gréco. A titre d’information, le 3ème EP de Tony Rank, dont deux titres seulement furent publiés se trouve sur le CD du Club Dial en 1990, consacré majoritairement aux Aiglons,
Bonne suite de semaine.
Bonjour Boss
Les aiglons me rappellent de bons souvenirs, en particulier la tournée de Gene Vincent où ils passaient en première partie, avec plein d’autres d’ailleurs. Ils avaient eu du succès car le public les entendait bien par rapport aux autres, car ils étaient un groupe instrumental. En effet à l’époque certains groupes ne se déplaçaient pas avec une sono, et utilisaient celle de la salle. Dans la salle où j’étais il y avait une sono Bouyer avec un seul micro, elle était très peu puissante et avait déjà de l’âge. Gegène, je ne l’ai quasiment pas entendu, pourtant il braillait !
Je possède les 2 premiers 45t des Aiglons que tu présentes, je trouvais que le soliste Léon Francioli se débrouillait pas mal, il jouait très juste, dans son style.
Je n’ai pas acheté les suivants car très vite j’ai quitté le style « shadows » pour me tourner vers le rock anglo saxon puis retourner aux sources du blues.
A bientôt
Paul.
Hello Paul,
Merci pour ton témoignage intéressant. Ah les problèmes de sono ! Il est vrai qu’à l’époque c’était toute une histoire et souvent volumineux. Je n’ai jamais vu les Aiglons par contre Gene Vincent, oui, mais en 1967. Il était accompagné par un groupe qui s’appelait Rock And Roll Gang si je me souviens bien, et la sono était correcte. J’avais profité de son passage, mais comme toi je n’étais déjà plus trop dans le vieux rock, par contre j’avais assez bien aimé son « Bird Doggin' » sorti en 1966.. Le deuxième truc que j’ai vu un peu plus tard, c’est les Pretty Things, c’était plus dans mes cordes. Je les ai d’ailleurs revus 45 ans plus tard ! Enfin avoir vu Gene Vincent est un bon souvenir. J’avais l’impression que c’était déjà un grand-père pour moi, alors qu’il avait un peu plus de 30 ans.
Encore merci et à bientôt !